Vingt et un ans après la guerre Chirac-Balladur, la plupart des chiraquiens historiques soutiennent des rivaux à Nicolas Sarkozy dans la primaire de la droite. Pas vraiment un hasard.
Mercredi soir, au meeting de François Fillon au cirque d’Hiver à Paris, le député Serge Grouard a eu un mot pour Jacques Chirac dont l’état de santé fait couler beaucoup de tweets. « Je rappellerai qu’il a été le premier des grands de ce monde à alerter sur l’écologie« , explique le parlementaire, en charge de l’élaboration du projet du candidat Fillon à la primaire de la droite. Il y a vingt-et-un ans, Serge Grouard travaillait déjà pour la campagne de 1995 dans « l’équipe projet » de celui qui allait devenir président de la République.
A l’époque, Hervé Gaymard dirige cette cellule qui planche alors sur la réduction de la « fracture sociale ». L’ancien ministre savoyard occupe aujourd’hui exactement la même fonction auprès d’Alain Juppé. Et de fait, parmi les chiraquiens historiques, ils sont nombreux à reprendre du service pour l’un des candidats à la primaire. A condition qu’il ne s’agisse pas de Nicolas Sarkozy, à l’époque porte-parole de la campagne d’Edouard Balladur, l’ennemi juré. Comme si vingt ans après, les clivages anciens autour de Jacques Chirac étaient encore l’une des clés de compréhension de la campagne de la primaire 2016.
Des directeurs de campagne chiraquiens
Les exemples sont nombreux. L’actuel directeur de campagne de François Fillon, Patrick Stefanini, n’était autre que le directeur de campagne de Jacques Chirac en 1995. Aujourd’hui directeur des services auprès de la chiraquienne Valérie Pécresse, il avait été condamné à dix mois de prison avec sursis dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris.
Autre directeur de campagne, Jérôme Grand d’Esnon dirige la campagne de Bruno Le Maire. Lui aussi a bien connu Jacques Chirac pour avoir été le directeur des affaires juridiques à la mairie de Paris en 1995 puis conseiller technique à l’Elysée en 2001, en charge des questions juridiques. En 2006, il a aidé, en vain, Dominique de Villepin à se présenter à la présidentielle et justifie ainsi son engagement: « Pour une campagne anti-Sarkozy, je rapplique immédiatement! »
« Clivages idéologiques et de tempérament »
Autre figure de la chiraquie, Jérôme Peyrat a dirigé les relations internationales de la mairie de Paris pendant quatre ans sous Jacques Chirac avant de le suivre à l’Elysée pour devenir conseiller chargé de la presse étrangère puis porte-parole adjoint de la présidence de la République. C’est lui qui dirige désormais la campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet. Enfin, après avoir dirigé le service juridique du RPR entre 1997 et 2002, Gilles Boyer assure la direction de campagne d’Alain Juppé.
Autant d’engagements de chiraquiens qui ont comme point commun de ne pas être au service de Nicolas Sarkozy. Selon Patrick Stefanini, l’explication tient à la fois « de clivages idéologiques et de tempérament ». « La façon dont Chirac faisait campagne n’a rien à voir avec celle de Sarkozy, estime-t-il. Chirac avait été traumatisé par l’affaire du ‘bruit et de l’odeur’. Il n’était donc plus très versé sur l’islam et l’immigration. » Un marqueur que l’on retrouve dans la controverse entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sur « l’identité heureuse ».
« L’idée du rassemblement prévalait »
« Pour Jacques Chirac, l’idée du rassemblement des Français prévalait. C’est ce qui le différencie le plus de Nicolas Sarkozy », confie à L’Express une figure de la chiraquie qui s’apprête à rendre public son soutien à Alain Juppé. « Il existe un continuum idéologique » entre l’ancien président de la République et le maire de Bordeaux, analyse cette personne.
Il existe bien évidemment des exceptions à la règle dont les plus notables sont le ralliement des très chiraquiens François Baroin et Christian Jacob à Nicolas Sarkozy. Mais la rancoeur personnelle du premier à l’égard d’Alain Juppé, qui ne l’a pas reconduit en 1995 comme porte-parole du gouvernement dans le second exécutif, constitue un singulier et puissant moteur d’explication.
« Ceux qui étaient en 1995 avec Jacques Chirac partagent un fond gaullien, c’est-à-dire la volonté de rassembler plus que de cliver », abonde Serge Grouard, en référence à Nicolas Sarkozy. « Les gens sont à cran en ce moment. Il faut donc être responsable dans ses propos. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut un projet mollasson… »
« Lui non plus ne se préoccupait pas des sondages »
Jean-François Copé est bien de cet avis. Celui qui fut le porte-parole du gouvernement durant le second mandat de Jacques Chirac, se revendique du chiraquisme, tout en assumant un projet de « droite décomplexée ». Une filiation « de caractère, plus que de programmes », confie l’ancien président des Républicains à L’Express. « Jacques Chirac avait une tenue que ses successeurs n’ont jamais eue », dézingue-t-il.
« Dans la campagne de la primaire, je pense beaucoup à sa solidité. En 1995, lui non plus ne se préoccupait pas des sondages [initialement favorables à Edouard Balladur] et remplissait pourtant les salles. » « Et je suis le seul ‘Chirac boy’ à ne pas avoir été à la soupe », conclut Jean-François Copé qui n’a pas occupé de fonctions ministérielles pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Décidément, en matière de chiraquisme, c’est l’indépendance vis-à-vis de Nicolas Sarkozy qui donne le la.
avec lexpress