Le géant américain va profiter des bornes Wifi publics et de la plateforme big data développée dans les villes par Sidewalk Labs, filiale du groupe, pour y étendre son emprise.
Pour ceux qui auraient jusqu’alors réussi l’exploit de l’éviter, il faudra peut-être penser à abandonner le combat. Car après les navigateurs Internet, les boîtes mail et les smartphones, Google investit les villes. Et Sidewalk Labs, la filiale de la maison mère du géant Alphabet, vient à peine de commencer à équiper le centre de New York de bornes Wifi intelligentes qu’elle développe déjà une nouvelle plateforme big data dédiée aux transports, Flow, dans les 7 communes finalistes (dont San Francisco et Austin) du challenge smart city américain, lancé en partenariat avec les autorités du pays.
Les officiels du pays de l’Oncle Sam affirment avoir été séduits par l’expérience de l’entreprise de Google : “Sidewalk Labs était le mieux placé pour nous aider à comprendre comment résoudre les problèmes de congestion dans les centres-villes. Flow est la première plateforme capable d’utiliser la data et les outils analytics pour identifier les zones où le trafic pose problème et celles où il faudra développer de nouveaux services de transport en commun”, affirme Jon Romano, directeur des communications stratégiques du département du Transport des Etats-Unis, organisateur du Smart City Challenge.
“Notre ambition est de tester Flow dans des villes moyennes pour déterminer un modèle de smart city qui pourra ensuite être dupliqué. Nous avons besoin de ce genre d’initiatives car dans 30 ans nos villes aurons 30 millions d’habitants supplémentaires et leurs infrastructures vieillissantes ne pourront pas les supporter”, précise-t-il.
“Cela permettra à Google de comprendre avant les autres ce dont le marché aura besoin”
Une nécessité qui fait aussi les affaires du spin-off de Google. Le gouvernement américain a besoin de sa technologie et offre ainsi à Sidewalk Labs un accès libre aux données des villes : “Toutes les données qui permettent de mieux comprendre comment vivent les gens intéressent forcément Google. Non seulement l’entreprise crée une relation privilégiée avec les villes, mais en plus cela lui permettra de comprendre avant les autres ce dont le marché aura besoin demain. Elle pourra ainsi améliorer le système embarqué de sa voiture autonome grâce aux données de trafic, par exemple”, explique Yaron Steinfeld, consultant smart city du cabinet de conseil Ptolemus.
Mais cela ne s’arrête pas là. Le vainqueur du challenge smart city américain, qui sera annoncé fin juin 2016, se verra non seulement doté de 40 millions de dollars pour devenir “intelligent” en trois ans, mais aussi de 100 bornes Wifi connectées fournies par l’entreprise créée en 2015. Ces “Links”, comme les appelle la filiale d’Alphabet, fournissent un Internet sans fil gratuit à très haut débit ainsi que plusieurs services connectés sur des tablettes Android, forcément. En cours de déploiement à New York depuis janvier 2016, ils seront bientôt déjà plus de 500 à jalonner les trottoirs de la 3e et de la 8e avenue. 7 500 kiosques équiperont à terme le tronc central de la “Big Apple”.
Ce projet LinkNYC, mené par Intersection, filiale de Sidewalk Labs, avec deux autres géants américains du secteur, Qualcomm et CIVIQ Smartscape, va permettre une couverture inédite en Internet très haut débit. Et pour Google, plus de connexion rime avec plus d’opportunités commerciales : “Ce projet est l’occasion pour eux d’amener plus de gens en ligne, et donc plus de clients pour les services de la marque. Ces bornes vont aussi agir comme des capteurs connectés et permettront à Google de récupérer de la data sur toutes les personnes connectées, et plus seulement sur les seuls utilisateurs d’Android”, avance Yaron Steinfeld.
“Où que l’on aille à New York, cela entre dans le périmètre de Google. C’est très intéressant pour eux car cela touche à leur cœur de métier : la publicité. Ils pourront ainsi mieux comprendre les habitudes des passants et leur proposer des annonces encore plus ciblées”, observe Alexandre Winter, cofondateur de la start-up française spécialisée dans l’analyse de données Placemeter, basée dans la ville américaine.
Et selon lui, le système échapperait à toute méfiance de la part des utilisateurs : “Quand le bénéfice d’utilisation est là, on se laisse pister. La mairie comme les habitants profitent évidemment de LinkNYC, qui leur est très bénéfique dans une ville aux infrastructures assez archaïques. Mais ce lien entre identité physique et identité en ligne est potentiellement dangereux”, remarque-t-il.
Sidewalk Labs, fournisseur de Wifi gratuit à Paris ?
“La citée est aux yeux de Google une masse de données inutilisée. Après être devenu la première régie publicitaire du monde, ils veulent conquérir ce centre de pouvoir majeur qu’est la ville et trouver de nouveaux territoires digitaux pour accroître leur business et exploiter ainsi tout ce qui peut devenir de l’information monétisable”, renchérit Guillaume Crunelle, associé chez Deloitte, cabinet de conseil et d’audit.
“Uber est arrivé en moins de deux ans en Europe sans que personne ne s’en inquiète. Sidewalk Labs a aussi vocation à traverser l’Atlantique et ils proposeront leurs solutions partout où ils le pourront. Ils prendront alors l’espace que l’on veut bien leur laisser”, prévient-il.
“La citée est aux yeux de Google une masse de données inutilisée”
Une source proche du dossier affirme même que la filiale du groupe de Google pourrait même répondre à l’appel public à manifestation d’intentions de la mairie de Paris pour le développement d’un réseau Wifi public gratuit.
Reste à savoir, selon Matthieu Noël, consultant chez Ptolemus, si les ambitions du géant de l’informatique ne finiront pas par se heurter à la méfiance des autorités publiques et des usagers : “Google devra être plus consciencieux en ce qui concerne les données personnelles et le respect de la vie privée s’il souhaite travailler directement avec les villes. S’ils font ce qu’ils font avec Gmail, par exemple, beaucoup seront déçus. Et s’ils parient trop sur la publicité, ils pourraient bien perdre cette partie.”
avec JDN