Le journal “Le Monde”, associé au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) de Washington, dévoile cette semaine via ses “Panama Papers” que des personnalités du monde entier ont créé ou utilisé des sociétés basées dans des paradis fiscaux. Dans le lot, les Français ne sont pas en reste.
Séisme dans les finances exotiques. Cette première semaine d’avril, le journal Le Monde, sous la houlette du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) de Washington et du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung — destinataire de la fuite de données qui a permis cette vaste enquête —, déchire un large coin de voile du monde de la finance offshore, de ses paradis fiscaux, voire de l’évasion fiscale à grande échelle que ceux-ci permettent. L’ICIJ et Le Monde, ainsi que 106 autres rédactions de 76 pays, ont eu accès à 11,5 millions de fichiers provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Parmi les personnalités qui y ont eu recours, il y a des proches de Vladimir Poutine, de Bachar al-Assad, le Premier ministre islandais et des footballeurs comme Lionel Messi. Mais la France n’est pas en reste.
► Platini, Cahuzac, Balkany…
Le Monde révèle ainsi que Michel Platini, l’ancienne étoile du football français, déjà impliqué dans un scandale de corruption au sein de l’UEFA, possède lui aussi une société prête-nom au Panama. Selon les informations du quotidien, l’ex-numéro 10 des Bleus administre discrétement une société depuis le 6 décembre 2007, nommé Balney Enterprises Corp. Toujours active, celle-ci détient un compte à la banque suisse Baring Brothers Sturdza SA, rebaptisée en janvier Eric Sturdza et sise à Genève.
“Je réside en Suisse depuis 2007, tous mes comptes, toutes mes participations et comptes bancaires sont connus des autorités suisses, je n’ai pas d’autres choses à ajouter. S’ils veulent des informations sur cette société, qu’ils interrogent ma banque”, a fait savoir Michel Platini par la voix d’un de ses communicants.
La boîte de production Premières Lignes, qui produit l’émission “Cash Investigation” sur France 2, a elle aussi mis les mains dans ce cambouis offshore. Partenaire de l’ICIJ, l’émission “Paradis fiscaux : le casse du siècle”, diffusée ce mardi 5 avril, y est consacrée. Sur son site Internet, le boîte de production a promis de dévoiler des informations sur trois autres personnalités connues des Français. Il y a d’abord Jérôme Cahuzac, démissionnaire du ministère des Finances pour cause d’évasion fiscale. Aussi Patrick Balkany, le député-maire de Levallois-Perret, déjà dans le viseur de la justice pour des problèmes de déclarations de patrimoine. Enfin le nom de Patrick Drahi, l’homme d’affaires propriétaire de Libération et de L’Express, apparaîtrait aussi dans la base de données du cabinet panaméen.
► Patrick Drahi dément toute évasion fiscale[Edit lundi 4 avril] Cité dans l’enquête “Panama Papers”, Patrick Drahi a démenti ce lundi avoir utilisé une société panaméenne à des fins d’évasion fiscale. Le groupe Altice (maison mère de SFR, dont il est le principal propriétaire) reconnaît avoir eu recours à une société enregistrée au Panama mais “dans des conditions parfaitement légales” et “sans aucune incidence fiscale“, insiste-il dans un communiqué, menaçant de poursuites toute association de son patron “avec des situations frauduleuses” dans cette enquête. Altice “a recouru à une société panaméenne, entre novembre 2008 et décembre 2010, dans laquelle ni M. Patrick Drahi ni le groupe Altice n’ont jamais détenu, directement ou indirectement, de participation“, souligne le communiqué. Cette société panaméenne “a été utilisée sur des opérations accessoires pour des raisons de stricte confidentialité et dans des conditions parfaitement légales, sans aucune incidence fiscale, et a fortiori étrangères, de près ou de loin, à toute fin d’évasion, de dissimulation, ou d’optimisation fiscale“, poursuit-il. Patrick Drahi est, lui, un résident fiscal suisse.
Les retombées en France ne s’arrrêtent pas là. Côté politique, le directeur du Monde Jérôme Fenoglio a mentionné ce lundi matin sur France Inter l’implication d’un “grand parti national français”…
► Des proches de Marine et Jean-Marie Le Pen cités[Edit mardi 5 avril] Le Monde publie bel et bien un article intitulé “Du bon usage du offshore par les proches de Marine Le Pen”. Celui-ci évoque “un système de dissimulation d’avoirs financiers, organisé dans des centres offshore d’Asie et des Caraïbes par le premier cercle de fidèles de la présidente du Front national, au premier rang desquels l’homme d’affaires Frédéric Chatillon et l’expert-comptable Nicolas Crochet“, homme chargé de la comptabilité des candidats FN aux législatives en 2012.
>> Des proches de Marine Le Pen cités dans les “Panama Papers”
► Haro sur la Société générale
Enfin, dans le volet économique des “Panama Papers”, on retrouve le nom de la Société générale. La banque française arrive même, selon ces révélations, à la cinquième position dans le classement des banques qui ont créé “le plus grand nombre de sociétés offshore par l’entremise” du cabinet panaméen mis en cause dans l’affaire. Si le groupe affirme “encadrer strictement l’usage que clients peuvent faire” de ces sociétés, il est accusé d’avoir menti sur ses activités au Panama et plusieurs élus de gauche réclament aujourd’hui sa mise sous tutelle ainsi que des poursuites judiciaires.
>> “Panama Papers” : Mélenchon réclame “la mise sous tutelle” de la Société générale
Le roman des errements de la France vis-à-vis du Panama
L’éclatement de l’affaire des “Panama Papers” a mis au jour au passage l’ambiguïté des responsables politiques français vis-à-vis du petit paradis fiscal. En 2012, Nicolas Sarkozy le faisait sortir de la liste noire de l’OCDE par la grâce d’un accord fiscal, obtenu après que le Panama a fait pression sur les entreprises françaises investissant sur son territoire (Alstom, Compagnie du Rhône…). A l’époque, plusieurs parlementaires s’étaient étonnés de la précipitation du processus, certains soulignant que le Panama ne satisfaisait pas toutes les conditions pour être considéré comme “propre”.
Quatre ans jour pour jour plus tard, le ministre des Finances Michel Sapin a annoncé ce mardi que la petite république d’Amérique centrale allait être réinscrite sur la liste française “des Etats et territoires non-coopératifs (ETNC) en matière fiscale”. Mais en février dernier, c’est pourtant ce même Michel Sapin qui avait reçu son homologue panaméen… pour lui annoncer sa future décision ? Pas vraiment : le lendemain, une réunion plénière du Groupe d’action financière (Gafi), où la France a toute sa part, faisait au contraire descendre la pression d’un cran en sortant le Panama de sa liste grise !
avec marianne