Dans cette tribune exclusive pour La Tribune Afrique, Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD) revient sur les enjeux stratégiques dont est porteur le secteur agricole pour l’industrialisation et le développement des pays africains. L’agriculture figure en effet au second rang des priorités de l’institution panafricaine et c’est dans ce cadre que l’édition 2017 des Assemblées annuelles de la BAD qui se dérouleront à Ahmedabad en Inde du 22 au 26 mai, a été placée sous le thème : «Transformer l’agriculture pour créer de la richesse en Afrique».
Aucune région au monde ne s’est jamais industrialisée sans transformer son secteur agricole. Pour les économies africaines, l’agriculture – qui représente 16,2 % du PIB du continent et fournit du travail à plus de 60 % de sa population – est la clé de l’accélération de la croissance, de la diversification et de la création d’emplois.
Mais, ce secteur a toujours enregistré de faibles performances. Les rendements céréaliers y sont nettement inférieurs à la moyenne mondiale. Les intrants agricoles modernes, comme les semences améliorées, la mécanisation et les systèmes d’irrigation, s’avèrent encore très limités.
Par le passé, l’agriculture était perçue, non pas comme un secteur créateur de richesses, mais comme le moyen, pour les organisations de développement humanitaire, de lutter contre la pauvreté. Or l’agriculture africaine recèle un formidable potentiel, notamment en matière d’investissements. Quelque 65 % de toutes les terres arables non cultivées dans le monde se trouvent en Afrique. D’ici à une génération, quand le continent pourra se nourrir par lui-même, il sera également en mesure de nourrir les neuf milliards de personnes que comptera la planète en 2050.
Hélas, à mésestimer son agriculture, l’Afrique gaspille quantité d’argent et de ressources. L’importation de denrées alimentaires, par exemple, représente chaque année 35 milliards de dollars en devises étrangères, un montant qui devrait franchir les 100 milliards par an d’ici à 2030.
Ce faisant, l’Afrique grève son avenir économique. Elle importe la nourriture qu’elle devrait produire elle-même. Elle exporte -souvent vers les pays développés- les emplois qu’elle devrait préserver et développer. Et elle paie au prix fort les denrées de base, subissant les fluctuations du marché mondial.
Investir pour libérer le potentiel africain
Le secteur alimentaire et agroalimentaire devrait bondir de 330 milliards de dollars aujourd’hui à 1 000 milliards de dollars, d’ici à 2030 -n’oublions pas non plus les quelques deux milliards de personnes supplémentaires qui devront se nourrir et se vêtir. Entreprises et investisseurs africains doivent saisir cette opportunité et libérer ce potentiel pour l’Afrique et les Africains.
L’Afrique doit commencer par traiter l’agriculture comme un secteur d’activités commerciales et s’inspirer sans plus tarder des expériences menées ailleurs, comme en Asie du Sud-Est dont la croissance économique rapide s’est appuyée sur une industrie agroalimentaire et agro-industrielle forte.
La formule de transformation est bien celle-ci : associée à des capacités industrielles, de fabrication et de transformation, l’agriculture se traduit en un développement économique fort et durable qui crée de la richesse dans tous les pans de l’économie.
L’Afrique ne peut se permettre de manquer les occasions de créer de tels liens, où et quand que ce soit. Nous devons réduire les pertes tout le long de la filière alimentaire, c’est-à-dire depuis l’exploitation agricole jusqu’à la vente de détail, en passant par le stockage, le transport et la transformation.
Pour stimuler l’agro-industrialisation, nous devons être capables de financer l’agriculture, pour en libérer le potentiel et en faire un secteur d’activités sur le continent. Dans le cadre de sa stratégie “Nourrir l’Afrique”, la Banque africaine de développement va investir 24 milliards de dollars dans l’agriculture et le secteur agroalimentaire dans les dix prochaines années. C’est 400 % de plus que le niveau de financement actuel, qui s’élève à 600 millions de dollars par an.
Au cœur de cette stratégie figurent 700 millions de dollars destinés à financer le programme phare «Technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique», qui vise à développer les technologies agricoles pour atteindre des millions d’agriculteurs africains dans les dix ans à venir.
En Afrique, faire coopérer le secteur financier et le secteur agricole n’a pas toujours été chose aisée. Aussi, la stratégie de la Banque a-t-elle également pour objectif majeur d’accélérer le financement commercial de l’agriculture. Malgré son poids, le secteur agricole reçoit moins de 3 % du total des financements octroyés par le secteur bancaire.
Les instruments de partage des risques pourraient résoudre ce problème en répartissant les risques relatifs aux prêts que les banques commerciales allouent au secteur agricole. Les institutions de financement du développement et les banques multilatérales de développement doivent créer des facilités de partage des risques dans chacun des pays africains pour exercer un effet de levier sur les financements agricoles. La Banque africaine de développement donne le ton en s’inspirant d’un programme de partage des risques particulièrement probant que j’ai défendu quand j’étais ministre de l’Agriculture au Nigéria.
Le manque d’infrastructures, un handicap à surmonter
Développer les infrastructures en milieu rural est capital pour la transformation du secteur agricole -accès à l’électricité et à l’eau, routes et voies ferrées pour le transport des denrées alimentaires brutes et transformées, notamment.
Le manque d’infrastructures accroît le coût de l’activité économique, dissuadant les entreprises agroalimentaires de s’installer en zone rurale. Les autorités doivent offrir à ces entreprises des avantages, aux plans fiscal et des infrastructures, pour les encourager à déménager dans les zones rurales, plus près des lieux de production que de consommation.
Pour ce faire, l’on peut créer des zones agro-industrielles et des zones de transformation des cultures vivrières dans les régions rurales. Associées à des infrastructures améliorées -routes, installations hydriques et électriques, voire des logements appropriés, ces zones permettront de réduire les coûts opérationnels pour les entreprises privées du secteur agroalimentaire.
Elles créeront de nouveaux marchés pour les agriculteurs, multiplieront les opportunités économiques en milieu rural, stimuleront l’emploi et y attireront des investissements nationaux et étrangers. Outre les coûts opérationnels, cela réduira aussi fortement le niveau élevé de pertes après récolte qu’enregistre aujourd’hui le continent. Au fur et à mesure que les revenus agricoles augmenteront, les zones rurales, aujourd’hui délaissées se mueront en lieux de prospérité économique.
Notre objectif est simple : soutenir le développement agro-industriel massif sur tout le continent africain. Une fois cet objectif atteint, l’Afrique aura pris la place qui lui revient en tant que puissance mondiale dans la production alimentaire. Elle pourrait tout aussi bien nourrira la planète entière. La transformation économique pour laquelle nous œuvrons tous aura alors été pleinement atteinte.
Avec latribune