Le prix du sucre sur le marché mondial est passé d’un niveau record d’environ 23 cents la livre (lb) il y a un an à peine, pour chuter à 12-13 cents en début d’année et s’ancrer depuis quelques mois dans une fourchette allant de 13 à 15 cents, a-t-il été rappelé hier matin lors de la 22ème Journée de l’Association française de la canne à sucre.
Son président, Benoît Coquelet, directeur général du groupe Somdiaa qui réalise quelque 99% de son chiffre d’affaires en Afrique (Cameroun, Tchad, Togo, Gabon, Côte d’Ivoire, Congo, Réunion, RCA), dont 67% dans le sucre, avec des parts de marchés allant de 70 à 90%, nous livre son analyse du marché durant l’année 2017.
Quel bilan tirez-vous du marché du sucre en 2017 en Afrique ?
En Afrique, sur la filière sucre, l’année 2017 a plutôt été une bonne année malgré une récolte mitigée. Les rendements en canne ont été relativement bons mais la richesse en sucre plutôt faible, à l’instar des résultats des campagnes de l’hémisphère sud, ce qui fait de 2017 une campagne moyenne.
Comment cela se traduit-il en chiffres ?
Difficile à dire entre l’Afrique du Nord, l’Afrique sub-saharienne et l’Afrique du sud, mais disons que le déficit reste là. Les 10 millions de tonnes qui manquent en Afrique ne vont pas se résorber et ne se résorberont pas dans les années à venir même si certains pays font ou ont engagé des efforts exceptionnels mais dont les résultats tardent à se faire ressentir. Je veux parler par là du Nigeria qui a pour objectif de combler son déficit sucrier qui est de 1,5 Mt de sucre. Ils ont engagé un master plan il y a maintenant plus de 5 ans mais ce master plan tarde à se concrétiser et la production reste toujours très limitée, en dessous de 50 000 t de sucre. Le chemin à parcourir est encore très long.
Au prix actuel du sucre, est-ce intéressant pour l’Afrique de produire du sucre ?
Bien sur ! Parce que le sucre sur le marché international reste un marché d’excédent. Effectivement, la campagne actuelle est excédentaire, la prochaine le sera probablement aussi, mais les deux précédentes étaient déficitaires. Donc l’indépendance sucrière de l’Afrique est un enjeu de taille. Tous les consommateurs africains ont beaucoup à gagner à ce que l’Afrique continue d’investir dans la production de sucre.
Il y a beaucoup d’investissements dans les barrages, dans l’énergie, etc. en Afrique actuellement. Peut-on concevoir qu’à terme l’Afrique sub-saharienne ait ce rôle de l’Algérie décrit aujourd’hui aux Journées de l’Afcas, d’être une plateforme de transformation pour l’exportation ?
Ca me parait difficile. Pourquoi l’Algérie joue-t-elle ce rôle aujourd’hui ? Parce qu’elle a des tarifs très avantageux et des coûts de production, en termes énergétiques, nuls. C’est ce qui fait son principal avantage. Ce n’est pas autre chose.
Comme pourrait le faire le Nigeria…
Le Nigeria, aujourd’hui, a des raffineries qui importent du sucre du Brésil et d’ailleurs, et le transforme parce qu’ils ont des coûts énergétiques très faibles. De même pour les raffineries que vous voyez s’installer dans les pays du Golfe. Donc, c’est un modèle mais qui me semble ne pas être durable pour l’Afrique. La raffinerie n’est pas une forme d’autosuffisance. En raffinant, vous restez dépendant du sucre que vous importez. L’Afrique a les moyens, elle dispose de terres et d’eau pour être demain autosuffisante même si le chemin est encore très long.
Vous estimez le prix du sucre à combien en 2018 ?
Moi, je ne vois rien ; je ne fais qu’écouter ce que les spécialistes disent. Les spécialistes disent que l’année 2018/19 sera encore excédentaire, que le ratio stock sur consommation va encore augmenter et, mécaniquement, dans ce cas là, les sucres soit continuent à baisser, soit ils restent bas. Donc on est devant une année 2018 avec des cours qui se situeront autour de 13 à 14 cents la livre (lb). Et une prime au sucre raffiné qui va rester faible, autour de $ 60 à $70 compte tenu du fait que l’Europe dispose de quantités très importantes et disponibles pour l’exportation. Par conséquent, le raffinage de sucre ne sera plus probablement une opération aussi rentable qu’elle l’a été auparavant.
Mais aux niveaux actuels de prix, l’Europe va-t-elle continuer à beaucoup de produire de sucre?
Je pense que ce n’est pas l’Europe qui va répondre. Ce sont les agriculteurs. Tant qu’ils ont des prix garantis élevés et tant que les coopératives leur donnent des prix élevés pour leur betterave, ils n’ont aucune raison de changer. Mais les coopératives vont atteindre leurs limites aussi. Probablement pas cette année, mais l’année prochaine. Car si les cours restent bas, vont-ils être capables de garantir ces prix? S’ils ne garantissent pas les prix, les agriculteurs se tourneront peut-être vers d’autres cultures.
Quels ont été les facteurs clés en 2017, en Afrique de l’Ouest, selon vous ?
En terme d’investissements, le point qui aurait dû être souligné c’est l’investissement au Nigeria, ce qui n’a pas été le cas. Car la grande majorité des usines existantes ont des programmes d’investissement extrêmement agressifs, de manière à pouvoir satisfaire la demande de leur marché.
S’agissant du groupe Somdiaa, combien a-t-il investi cette année dans les filières africaines ?
Le groupe Somdiaa a investi € 100 millions dans la filière sucre cette année, tous pays confondus en Afrique sub-saharienne et toute étapes confondues, c’est-à-dire au niveau agricole, au niveau de la mécanisation car c’est un mouvement qui est irréversible aujourd’hui. Le groupe s’engage aussi dans le développement durable, et bien sur au niveau industriel. Donc ce sont des accroissements de superficies, des implantations d’irrigation, des projets de modernisation, afin d’être capable de satisfaire le marché.
Dans un pays plus que dans un autre ?
L’investissement est à peu près également réparti avec des pays majeurs comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Congo. Mais tous les pays reçoivent leur quote-part d’investissement, tels que les pays de dimension plus modeste en termes de production comme le Tchad, le Gabon et la Centrafrique.
Que prévoyez-vous comme investissements en 2018 ?
Pour le groupe, c’est plus de € 130 millions d’investissement avec des projets importants dans la valorisation des céréales locales, à hauteur de € 30 millions. Là encore, nous avons un modèle qui s’appuie sur les productions à l’intérieur des pays d’Afrique où nous exerçons et qui ont pour but de commercialiser les produits finis dans ces mêmes pays d’Afrique. Il s’agit donc de valorisation des céréales locales qui s’appuiera également sur le développement de la filière alimentation animale pour accompagner la croissance de l’élevage qui est extrêmement important dans tous les pays d’Afrique.
Donc on est à € 30 millions pour la valorisation des céréales locales, ce qui n’est qu’une première étape d’un mouvement beaucoup plus large, avec une vision globale sur ces céréales, sur l’élevage et sur l’alimentation animale.
Un mot sur cette grande vision ?
C’est une vision qui va s’appuyer sur des productions comme le maïs, le sorgho, le mil et qui vont être destinées à trois marchés: le marché des industriels, le marché des éleveurs et le marché des consommateurs, des ménages, à travers des farines issues des céréales, des aliments pour animaux et des gritz pour les brasseries.
Avez-vous des objectifs de volumes ?
Notre objectif de volume à terme est d’écraser 400 000 t de maïs, toutes régions confondues. Ce qui est relativement significatif.
Avec commodafrica