LES INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES EN LICE
L’innovation technologique, on en parle de plus en plus dans tous les milieux. Mais que renferme cette notion qui semble faire l’unanimité ? Innover, c’est réussir le pari de lancer de nouveaux produits (l’iPod, la voiture hybride…), de nouveaux services (le Wi-Fi, le paiement par mobile…) ou de nouvelles sources de matière première ou d’énergie (plastiques recyclés, géothermie…). Il peut s’agir aussi de nouveaux modes d’organisation (le flux tendu…), de nouvelles méthodes (la vente en ligne…) et procédés (la cuisson sous vide…). Pour faire court, on peut accepter que l’innovation, consiste à “intégrer le meilleur des connaissances dans un produit ou service créatif qui permet d’aller plus loin dans la satisfaction des individus.” Quel que soit le domaine auquel on applique le terme, une innovation est une nouveauté. C’est quelque chose qui tranche avec ce qui était fait, pensé, dit, avant l’arrivé de cette innovation. C’est quelque chose qui n’était pas fait, un niveau qui n’était pas atteint avant.
ETAT DES LIEUX DE L’AGRICULTURE ET BESOIN DE TECHNOLOGIES INNOVANTES
Si l’agriculture représente le maillon principal de l’économie ivoirienne, elle s’inscrit encore essentiellement dans le cadre de petites exploitations familiales, sans accès aux méthodes modernes de production. En effet, la production agricole, animale et halieutique ainsi que les ressources humaines qui font, entre autres, l’importance du secteur agricole ivoirien, reposent sur de petites exploitations familiales non spécialisées, peu capitalisées, et engagées dans la pluri – activité aussi bien agricole que non agricole. Ces exploitations restent aussi caractérisées par le sous équipement, le faible accès au peu de ressources financières disponibles, notamment celles dites à moyen et long terme, aux innovations technologiques et à l’information sur les marchés. Dans de telles conditions, ces exploitations ont un niveau de productivité faible qui les place dans une situation de précarité et de survie. Intégrées comme telles dans le marché mondial, à travers certains produits de base (café, cacao, coton, huile de palme, caoutchouc naturel, banane, ananas, mangue, etc.), ces exploitations ivoiriennes font face à la concurrence des agricultures beaucoup plus productives, et ce dans un environnement économique et technique caractérisé par la baisse des prix des produits agricoles. L’accès très difficile au crédit, conjugué à l’absence de financements à moyen et long termes, limitent les capacités des exploitants agricoles qui ne peuvent de ce fait améliorer quantitativement et qualitativement leurs productions. En outre, la faible rémunération de leurs produits ne procure pas aux producteurs les ressources nécessaires pour vivre décemment à fortiori pour investir, ce qui a des répercussions sur les ressources naturelles. A ce tableau peu reluisant, il faut ajouter l’insuffisance d’infrastructures socio-économiques en milieu rural qui rend les conditions de vie difficiles, limite les possibilités de valoriser les progrès techniques et de développer les échanges. Par conséquent, les menaces qui pèsent sur leurs activités telles l’exode, les risques climatiques, l’épuisement de certaines ressources naturelles exigent d’eux une forte mobilisation.
L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE, UNE APPROCHE SALVATRICE?
L’innovation technologique apparaît comme un élément cardinal pour l’agriculture ivoirienne, et ce à plusieurs titres. D’abord parce que les techniques nouvelles sont le gage d’une amélioration et d’une augmentation de la productivité. L’innovation est notamment présente à travers la sélection variétale (production végétale), la sélection de race (production animale) les itinéraires techniques de culture, etc. Ainsi, le processus qui est mis en place s’attache à repérer, parmi les variétés ou races nouvelles, celles qui répondent le mieux à des critères d’environnement (adaptation au climat, au sol), de production, de résistance aux maladies et d’optimisation de la récolte ou d’élevage (par le choix de plantes ou bêtes à fort potentiel de rendement). Fondement d’un meilleur rendement, l’innovation technologique signifie aussi la possibilité pour la Côte d’Ivoire de parvenir à l’auto-suffisance alimentaire, objectif qui renoue avec le sens profond de l’agriculture, et qui devrait être au premier chef des préoccupations de tout pays. Le caractère saisonnier et éminemment périssable des denrées agricoles, notamment alimentaires, la nécessité, pour la plupart de ces denrées, d’être débarassées de certains éléments indésirables pour satisfaire les besoins et les exigences croissantes de consommation humaine et animale, l’urbanisation progressive, tendant à éloigner les zones de production des centres de grande consommation, etc., confèrent à ce phénomène d’innovation technologique, une acuité particulière, en raison des limites des technologies traditionnelles.
TECHNOLOGIES TRADITIONNELLES
Depuis longtemps, des technologies existent en milieu rural et agricole. Ces méthodes traditionnelles sont des dispositifs ou des techniques longtemps connus et habituellement utilisés par les paysans. Elles dépendent de la variété, de la durée de conservation espérée, des conditions climatiques, des quantités et du temps disponible pour la mise en stock, ainsi que des habitudes locales. Les méthodes les plus fréquentes sont : la conservation en buttes, en fosse, en vrac sur le sol, sur plate-forme, sur claies, en cabane et dans un grenier en argile. Le but des structures de conservation est d’assurer une protection contre les facteurs climatiques (pluie, soleil, température et humidité relative), contre les parasites (insectes, champignons, bactéries et nématodes), les prédateurs (rongeurs, bœufs, etc.), et les vols. Bien que les structures de conservation sous leurs formes traditionnelles soient fréquemment utilisées, les pertes postrécolte des produits agricoles restent toujours élevées et fluctuent entre 25 et 60 %. Des actions en vue de réduire ces pertes post-récolte et accroître l’accessibilité aux innovations technologiques de conservation, surtout en milieu rural, ont conduit à développer des méthodes de conservation ne demandant pas de technologies sophistiquées et dont l’amélioration est parfois inspirée de la conservation traditionnelle. Au nombre des structures de conservation, l’on peut citer la conservation en étagère ou rayonnage simple, la claie verticale améliorée, la plate forme améliorée, la hutte surélevée et la fosse améliorée. Les traitements appliqués aux tubercules dont le dégermage régulier, l’utilisation de l’acide gibbérellique et le curing ont vu le jour.
DES RESULTATS PROBANTS DES TECHNOLOGIES MISES AU POINT
De nombreuses technologies ont été mises au point par la recherche dont les principales sont relatives à la production végétale, à la gestion des ressources naturelles, à la production animale et halieutique, à la transformation des produits agricoles, au domaine de la gestion des exploitations, etc.
– La production végétale
Les technologies améliorées développées sur la production végétale concernent les variétés de céréales sèches, de riz, des fruits et légumes, des racines et plantes à tubercules, de cacaoyer précoce, ainsi que les bonnes pratiques culturales (semis à sec, etc. et de récoltes) ; il s’agit généralement de matériel végétal aux caractéristiques désirables pour le contexte de production : rendement élevé, cycle court, résistance aux maladies et à la sécheresse, bonne qualité pour la transformation, bon goût, etc. Ainsi, le cacao ‘’Mercédès’’ à productivité précoce et à haut rendement a été mis au point par le CNRA, il y a près d’une décennie. Dans le cadre du transfert des technologies de gestion de la maladie du Swollen shoot qui ménace la cacaoculture ivoirienne, des fiches pédagogiques pour la formation des producteurs sur des parcelles pilotes ont été élaborées et validées. 834 agents de vulgarisation ont été formés sur les mesures de gestion de la maladie afin de les transmettre aux producteurs. 537 parcelles pilotes ont à cet effet, été mises en place, et ont permis de former 10996 producteurs. Des supports d’actualisation des données sur la maladie du Swollen shoot mises à la disposition des zones depuis le mois de mars 2012, permettent aujourd’hui d’avoir des informations précises sur la localisation et l’état des vergers atteints par la maladie, ainsi que son évolution. La mise en œuvre du PPAAO/WAAPP en Côte d’Ivoire, a permis au Centre National de Spécialisation (CNS) d’introduire dans le milieu rural, deux
(2) variétés améliorées de bananiers plantains à haut rendement, tolérantes à la cercosporiose, comparativement à la variété traditionnelle, à savoir le FHIA 21 et le PITA 3, ainsi que deux variétés de manioc, Bocou I et II. Le projet a aussi permis d’une part de renforcer les capacités techniques des producteurs en matière de conduite de la culture pure de bananiers plantains et d’autre part de diffuser une (1) technologie de multiplication végétative du plantain (MSD). Tous les tests conduits sur ces deux variétés de bananier et de manoic ont été concluant tant dans les laboratoires de la recherche, que sur le terrain. Les premiers régimes de bananes et de tubercules de manioc sont déjà sortis des plantations et font partie des mets des populations ivoiriennes.
-Production animale et halieutique
Les technologies développées en élevage visent à résoudre les problèmes de santé, d’alimentation et d’amélioration génétique et ceux relatifs au pâturage et à la gestion des troupeaux. Les plus adoptées sont les vaccins contre les maladies infectieuses, celles relatives à l’alimentation ont été timidement adoptées tandis que les technologies concernant l’amélioration génétique (insémination artificielle) balbutient encore. Pour lever cette difficulté et dans le cadre de la mise en œuvre du PPAAO/WAAPP concernant la Filière Porcine, une ferme d’amélioration génétique a été installée à Azaguié. Les premières expérimentations sont en cours, pour la production de géniteurs performants à mettre à la disposition des éleveurs. En outre, l’environnement sanitaire de l’élevage porcin étant caractérisé par la prévalence des pathologies enzootiques courantes telles que les parasitoses internes et externes, les maladies bactériennes et certaines maladies virales, qui ont entraîné de nombreuses mortalités notamment avant et après le sevrage des porcelets, le FIRCA a initié l’actualisation des programmes de prophylaxie en élevage moderne de porcs en Côte d’Ivoire, dans le cadre de la mise en œuvre des activités du PPAAO/WAAPP ( phase 1.b). Ce travail a permis l’élaboration de fiches techniques qui vont servir à diffuser des technologies de lutte ou de prévention des pathologies majeures en élevage porcin en Côte d’Ivoire. Dans, le domaine de la pêche et de l’aquaculture, les technologies développées concernent la sélection d’espèces productives et à haute valeur commerciale, l’amélioration du fumage et du séchage et la gestion des étangs aquacoles.
– Dans le domaine de la transformation des produits
Les technologies dans le domaine Agroalimentaire sont essentiellement (i) la mise au point de techniques de transformation des produits bruts en d’autres produits plus fins et variés et (ii) la mise au point d’équipements de transformation des produits. Les productions fruitières ivoiriennes sont assez diversifiées et abondantes tout au long de l’année. Les productions exportées sont constituées principalement de banane dessert, de l’ananas, de la papaye et du mangoustan. Plus de 100 000 t de mangues fraiches dont environ 10% de la production sont exportés sur le marché européen. Le reste des fruits est déversé sur le marché local avec des pertes oscillant autour de 30 à 40%, le plus souvent liées à de nombreux facteurs biologiques (bactéries, champignons) et physiques (chocs, empilement, etc.) de dégradation. Au regard de la persistance de l’incertitude du marché international d’une part, et pour juguler les nombreuses difficultés de conservation et de commercialisation des fruits, la transformation constitue la seule alternative crédible pour mieux valoriser les fruits en Côte d’Ivoire. La conservation de la mangue fraîche dans les meilleures conditions est onéreuse et difficile en l’absence d’infrastructures appropriées (chaine de froid, irradiation, etc.). La transformation de la mangue fraîche apparait donc comme une alternative pour réduire les pertes post récolte et améliorer le revenu des producteurs. Pour faciliter la transformation de la mangue, le FIRCA a inscrit dans son programme annuel d’actions 2013 (PAA 2013), soutenu par le Programme de Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO/ WAAPP), un projet de création d’unités pilotes de transformation de la mangue dans les coopératives de producteurs de mangue de Korhogo, Sinématiali, Ferkessédougou, Boundiali, Tengréla et Odienné. Cette transformation contribuera à rallonger la vie des fruits, à atténuer la détérioration des excédents de production, à créer de nombreux emplois et par voie de conséquence, à améliorer significativement les revenus des producteurs. – Dans le domaine de la Gestion des Exploitations Dans le domaine de la gestion des exploitations, on peut citer (i) le conseil de gestion aux producteurs basé sur les résultats techniques et économiques (budgets) de l’exploitation. Le conseil porte sur l’équipement, la gestion des stocks ou la conduite des cultures et des troupeaux et (ii) le warrantage qui est une technique de financement expérimentée avec succès dans certains pays. Le warrantage consiste, pour les producteurs individuels ou les organisations de producteurs, à mettre en garantie leurs productions pour bénéficier d’un crédit qui finance une activité génératrice de revenus pendant la saison sèche. Une fois, le crédit remboursé grâce aux bénéfices de cette activité, la banque libère le stock de vivres et l’OPA ou le paysan vend alors tout ou partie de son stock qui a entretemps augmenté de valeur. L’argent de la vente permet l’achat d’intrants pour la campagne suivante. Les Institutions de Micro Finance (IMF) et les OPA portent une attention croissante au warrantage Cette innovation permet aux producteurs de bénéficier de plus en plus de ce dont ils ont le plus besoin pour investir, à savoir le crédit qui leur est pratiquement inaccessible dans le contexte classique des banques commerciales.
CONCLUSION
Les technologies déjà développées, mettent à la disposition des coopératives de producteurs et des opérateurs économiques, des outils simples et faciles d’application, susceptibles d’apporter une plus value à l’ensemble des acteurs de toute la chaîne de valeur de production. Les contraintes qui pourraient survenir au cours de leur application peuvent sans doute, être levées par la formation et l’encadrement des acteurs des filières concernées. Ces techniques innovantes ont fait leurs preuves, cependant, il faut qu’elles puissent, le plus largement possible, être mises au service de la population agricole. Afin d’obtenir de meilleurs résultats, une synergie est nécessaire entre les innovations matérielles, les innovations de savoirs, et les pratiques et compétences locales. Mais l’innovation organisationnelle ou institutionnelle doit également s’y intégrer pour former une stratégie d’ensemble, afin de booster l’agriculture ivoirienne et la rendre plus compétitive.