La Libye commémore le cinquième anniversaire du début de l’intervention menée par la France de 2011. Le bilan y est aujourd’hui catastrophique, le pays étant en proie à une instabilité politique et sécuritaire sans précédent.
Malgré la mise en place d’un gouvernement d’union nationale le 12 mars, la situation dans laquelle est plongée la Libye semble décidément perdurer. Si la vie dans le pays était chaotique depuis le soulèvement de 2011 soutenu par les puissances occidentales, et la mort de Mouammar Kadhafi, à cause de la prolifération des armes et des milices qui s’en est suivie, le pays a ensuite véritablement basculé dans une guerre civile en 2014.
La Libye, de la révolution à la guerre civile
Pour comprendre la transformation progressive d’une société en mutation post-révolutionnaire à un pays en proie à une véritable guerre civile, il faut remonter longtemps en arrière :
Après les élections du 7 juillet 2012 la Libye est gouvernée par le Congrès général national (CGN), premier organe législatif élu qui remplace le Conseil national de transition présidé par un islamiste modéré, Mohamed Youssef el-Megaryef, jusqu’à sa démission le 28 mai 2013.
Les islamistes contrôlent l’assemblée et Nouri Bousahmein préside le CGN (chef de l’État), élu le 25 juin 2013. Le CGN décide d’appliquer la charia au pays en décembre 2013 et de prolonger sa mandature au delà du terme prévu (janvier 2014), étendant unilatéralement son pouvoir.
Le 14 février 2014, le général Khalifa Haftar, ancien haut gradé du régime de Kadhafi, ordonne la dissolution du CGN et en appelle à la formation d’un comité de gouvernement intérimaire pour superviser de nouvelles élections. Le CGN ignore ses demandes et dénonce une tentative de «coup d’État».
Le 11 mars, le Premier ministre Ali Zeidan, jugé incapable d’assurer la sécurité en Libye et de reprendre le contrôle des installations pétrolières tombées aux mains de groupes armés depuis juillet 2013, est destitué par le CGN et prend la fuite.
L’intérim est assuré par Abdallah al-Thani. Le général Haftar entame alors une tentative de reconquête des zones passées aux mains de groupes armés salafistes à Bengazhi tandis que des milices rivales s’affrontent pour le contrôle de l’aéroport de Tripoli. Dans chacun des deux cas, ce sont finalement des milices islamiques qui s’imposent sur le terrain.
Le 13 août 2014, la Chambre des représentants adopte une loi portant sur la dissolution de toutes les milices officiellement reconnues, financées et formées après la révolution de février 2011. Sur les 104 représentants présents, 102 d’entre eux ont voté en faveur de la résolution.
Une date limite fixée au 31 décembre 2014 est donnée pour la mise en œuvre de la loi. Le même jour, la Chambre appelle également l’ONU et le Conseil de sécurité à intervenir en Libye pour protéger les civils et les institutions gouvernementales. Le 6 novembre, la Cour suprême fait invalider les élections législatives de juin 2014.
En mai 2014, une offensive est lancée dans la ville de Benghazi, berceau des révolutionnaires islamistes, afin de la libérer du joug de ces derniers qui y menaient des assassinats contre les forces de sécurité et les militaires.
Lire aussi : Pour le président nigérian, l’instabilité en Libye est une «bombe à retardement»
Baptisée «Karama» («dignité NDLR»), l’offensive est menée par le général Haftar que le gouvernement de l’époque refuse d’appuyer. Censée durer quelques semaines, elle est toujours en cours et aujourd’hui a transformé la seconde ville du pays en un véritable champ de bataille.
Puis vient le mois de juillet 2014. C’est alors qu’une coalition de brigades prénommée «Fajr Libya» («Aube de la Libye») se présente comme étant l’unique garante de la révolution de 2011. Il s’agit en fait d’une association de milices à l’idéologie islamiste, originaire de la ville de Misrata dans l’Est du pays.
«Fajr Libya» fait aussi partie d’une branche d’Al-Qaïda dirigée par AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique). La coalition s’est également alliée à des groupes armés islamistes comme al-Jammaa al-Libiya, al-Moukatila ou Ansar al-Charia, considérée comme une organisation terroriste par l’ONU.
Evidemment, cette coalition se met à combattre avec acharnement les membres de l’opération Karama et soutient l’organisation «Ansar al-Charia».
A Tripoli, «Fajr Libya» attaque les brigades de Zintan, fief bédouin du nord-ouest du pays qui soutient le général Khalifa Haftar. En août, après des semaines de combats les premiers finissent par chasser les forces de Haftar, tandis que les délégations diplomatiques fuient la région les unes après les autres.
Deux gouvernements inconciliables pour une union nationale qui tient sur un fil …
Entre-temps, en juin, les élections législatives ont eu lieu. Le nouveau parlement, la Chambre des représentants (CdR) se réunit à Tobrouk, à l’Est du pays. «Fajr Libya», après avoir chassé les forces du général Haftar, refuse de reconnaître la CdR et demande au Congrès Général National (CGN), élu en 2012, de rester au pouvoir. La CdR se rapproche des forces de Khalifa Haftar, qui s’autoproclament alors «Armée nationale libyenne». La rupture est alors bel et bien faîte.
Suite à ces événements, deux gouvernements inconciliables voient le jour et se livrent une bataille politique et médiatique acharnée. C’est à celui qui parviendra le premier à être reconnu par la communauté internationale et l’Occident.
Malgré l’existence «sur le papier» de ces deux gouvernements distincts, aucune loi ou mesure n’est réellement mise en place, les conditions du pays, divisé et en proie aux luttes armées, étant tout simplement beaucoup trop chaotiques. L’espoir de voir la paix et l’ordre revenir en Libye paraît s’estomper davantage.
Depuis septembre 2014, les Nations-Unies ont travaillé à un accord de paix entre les deux clans et un gouvernement d’unité nationale a été proposé le 8 octobre 2015. Les longs mois de négociations sous l’égide de l’Unsmil, la mission de l’ONU en Libye, les violences et la crise économique ont fracturé chaque clan.
Le 12 mars 2016, le conseil présidentiel, organisme composé de membres de factions rivales, a finalement proclamé l’entrée en fonction du gouvernement d’union nationale que l’ONU appelle de ses voeux.
Dans un communiqué diffusé le 12 mars, le conseil présidentiel a appelé les institutions libyennes «à prendre contact immédiatement avec le gouvernement d’union afin de mettre en place les modalités de passation des pouvoirs de manière pacifique et organisée».
En outre, le conseil présidentiel a appelé la communauté internationale, les organisations internationales et régionales, en particulier l’ONU, la Ligue arabe, l’Organisation de la conférence islamique, l’Union africaine et l’Union européenne «à cesser toute relation avec les autorités exécutives ne découlant pas du gouvernement d’union».
Ainsi, le 11 mars 2016, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a demandé à l’Union européenne de sanctionner les dirigeants des Parlements rivaux, qui sont Khalifa al-Ghowel et Nouri Bousahmein pour Tripoli et Aguila Salah Issa pour Tobrouk.
Depuis le début du chaos en 2014, les violences en Libye ont fait plus de 4100 morts selon l’organisation Libya Body Count qui relève également une situation chaotique dans le domaine de la santé et de l’éducation. Les populations des petites villes souffrent régulièrement de pénuries d’essence et de monnaie.
… Et au milieu, Daesh
La situation chaotique dans laquelle se trouve le pays est une aubaine pour l’Etat islamique, qui après un léger recul en Syrie et en Irak, depuis le début des frappes occidentales, voit dans la Libye un nouveau fief pour ses combattants et nouvelles recrues.
Arrivée en Libye en octobre 2014, l’organisation détient aujourd’hui une zone d’environ 270 kilomètres de côtes méditerranéennes, pile entre les territoires des deux gouvernements libyens. Les terroristes y contrôlent plusieurs infrastructures de premier plan : aéroport, ports, centrales électriques, raffineries.
Des cellules sont également installées à Tripoli, Khoms et Sabratha dans l’ouest, à Benghazi et Derna dans l’est, à Sebha dans le sud. Sans force d’opposition et alimentée par l’anarchie ambiante, Daesh gagne du terrain en Libye.
En janvier dernier, lors d’une attaque survenue à Sidra, à l’Ouest de Ras Lanouf, le plus important site pétrolier de Libye, des combattants de l’Etat islamique ont mis le feu à plusieurs pipelines. Ces attaques auraient pu être vraisemblablement perpétrées par Daesh pour prendre le contrôle de l’infrastructure pétrolière du pays.
Il convient de rappeler que le Département de la Défense des Etats-Unis a indiqué que le nombre de terroristes de Daesh en Irak et en Syrie se situait désormais entre 19 000 et 25 000, alors qu’il était de 30 000 lors du dernier décompte.
Récemment, les officiels américains ont annoncé un afflux massif vers la Libye, où le nombre de combattants atteindrait désormais 5 000, soit le double du précédent bilan.
Fin janvier, le ministre de la Défense français Jean-Yves Le Drian expliquait son inquiétude de la présence de Daesh à seulement 350 kilomètres de l’île italienne de Lampedusa, qui est le point d’arrivée pour des milliers de migrants et de réfugiés fuyant la Libye pour atteindre l’Union européenne.
Pour lui, la Libye serait ainsi un point clef pour les djihadistes voulant se rendre sur le sol européen pour y commettre des attentats. «Lorsque le beau temps va arriver en Méditerranée, il y a des risques de passage de combattants qui pourraient se mélanger à des réfugiés. C’est un risque majeur», avait expliqué le ministre français.
Pendant ce temps, la vie continue …
La vie quotidienne des Libyens est aujourd’hui aussi dangereuse que maussade. Les commerces tirent leur rideau de fer dès que le crépuscule pointe le bout de son nez, la vie nocturne est inexistante.
Lorsqu’ils n’ont pas d’autre choix que de se déplacer à la nuit tombée, les tripolitains et habitants de toutes les grandes villes de Libye le font munis d’une arme, prêts à dégainer. Car les kidnappings sont quotidiens.
«Le terrorisme, les combats disséminés dans le pays, l’insuffisant déploiement des forces de sécurité gouvernementales, la prolifération des armes et la présence de différents groupes armés imposent la plus grande prudence et une vigilance permanente, notamment lors des déplacements, lesquels sont formellement déconseillés», peut-on lire par exemple sur le site francediplomatie.gouv.
Le site ajoute que ce contexte favorise par ailleurs «le développement de la délinquance et de la criminalité de droit commun (braquages, «carjackings»).
Pourtant, le pays a bien essayé de se remettre sur pieds après les événements de 2011. Il avait même misé sur un nouveau secteur, celui du tourisme :
En 2013, le ministère libyen du Tourisme avait chargé l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme) de l’aider à mettre en oeuvre un plan d’action destiné à reconstruire le secteur touristique et, par là, à augmenter le revenu national, à créer des emplois, à renforcer la cohésion nationale et à améliorer l’image internationale du pays.
La Libye comptait ainsi sur le tourisme pour reconstruire le pays «grâce à ses richesses naturelles, culturelles et archéologiques, dont cinq sites du Patrimoine mondial de l’UNESCO», avait déclaré le ministère du Tourisme à l’époque.
Mais aujourd’hui, l’activité touristique est au point mort. Les hôtels sont vidés de leurs occupants et/ou transformés en quartiers généraux pour combattants armés. Les aéroports ne fonctionnent plus et les infrastructures de transports sont archaïques voire inexistantes.
De plus, avec le début de la guerre civile, les diplomaties étrangères et occidentales ont quitté le pays les unes après les autres. Depuis le 30 juillet 2014, les locaux del’Ambassade de France à Tripoli sont par exemple fermés et les intérêts français ne sont plus représentés en Libye depuis la fermeture de l’Ambassade d’Italie à Tripoli, en février 2015.
Les risques d’enlèvement en Libye sont bien réels, comme a pu le montrer l’enlèvement à Tripoli de l’Ambassadeur de Jordanie en Libye le 15 avril 2014.
Les récents événements ont un impact sur les structures sanitaires libyennes dont la qualité est plus que médiocre. Le pays souffre, en outre, d’un déficit de personnel médical. Les autorités françaises annoncent qu’il est déconseillé de bénéficier de la moindre intervention chirurgicale en Libye, la sécurité transfusionnelle n’y étant pas garantie.
Migrations et déplacements
Au vu du chaos ambiant dans le pays, un nombre record de migrants et de demandeurs d’asile se sont lancés sur la route du continent européen au départ de la Libye. En 2014, 60 000 d’entre eux ont atteint les côtes italiennes.
L’opération de sauvetage à grande échelle de l’UE, baptisée Mare-Nostrum, a secouru près de 100 000 embarcations de fortune en mer Méditerranée. Malgré les efforts déployés, au moins 3000 migrants libyens ont péri en mer.
La guerre a également contraint des millions de libyens à fuir leur pays. Selon les données officielles onusiennes de 2011, 768 372 personnes ont fui la guerre en Libye. Les autorités tunisiennes affirment quant à elles que près de 2 millions de Libyens ont trouvé refuge en Tunisie voisine.
avec RT