Après le Prix Nobel de la Paix, l’ancienne présidente du Liberia reçoit le prix Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance. Entre ces deux récompenses, elle a gouverné d’une main de fer un pays dévasté par la guerre civile. Retour sur le parcours de cette femme exceptionnelle.
« Ellen Johnson Sirleaf a mené un processus de réconciliation centré sur la construction d’une nation et de ses institutions démocratiques. Elle a pris la tête du Liberia quand il était complètement détruit par la guerre civile », a résumé non sans émotion Salim Ahmed Salim, président du comité d’attribution du célèbre prix Mo Ibrahim qui est revenu cette année à l’ancienne présidente du Liberia pour sa « gouvernance exceptionnelle ». Que de chemin parcouru pour cette femme surnommée la Dame de fer, populaire en Afrique et sur le plan l’international, mais si controversée dans son pays.
Ellen Johnson Sirleaf symbole d’une relance
En effet, quand la native de Monrovia accède à la plus haute marche du pouvoir fin 2005, le pays est ravagé par quatorze ans de guerre civile. Un conflit commencé en 1989 ayant fait 200 000 morts. Il opposait les forces gouvernementales et les combattants du groupe National Patriotic Front of Liberia (NPFL) dirigé par Charles Taylor. L’élection d’Ellen Johnson Sirleaf, à la tête du Parti de l’unité, apporte l’espoir d’une relance, d’un nouveau souffle. Et la première présidente d’Afrique s’affairera dès les premiers mois de son mandat à redresser le pays. Sa stratégie repose sur quatre piliers : sécurité, primauté du droit, relance économique et reconstruction des infrastructures. Le 17 mars 2006, deux mois après avoir prêté serment, elle demande lors d’une séance au Conseil de sécurité de l’ONU la levée des sanctions sur les exportations de diamants, prises sous Charles Taylor en 2003. L’embargo sera levé en mai 2007, permettant la réinjection des recettes de l’industrie diamantaire dans le domaine public.
La finance, son premier amour
Surtout, Ellen Johnson Sirleaf possède un atout de taille : ses contacts dans le monde de la finance. Et ils sont nombreux. Ses relations, elle les a acquises durant sa carrière d’économiste, sa première vie. Après un master en administration publique obtenu à Harvard en 1971, elle rentre au Liberia et devient secrétaire d’État aux Finances, avant de prendre la tête du ministère en 1979. Le coup d’État de Samuel Doe mettra un frein à sa carrière politique dans son pays natal. Menacée de mort, puis condamnée à dix ans de prison en 1985, elle retourne aux États-Unis et se lance dans la finance. Banque mondiale, Citi Bank, antenne africaine du Pnud… Autant d’institutions au sein desquelles l’ancienne ministre exercera en tant qu’économiste. Elle mettra à profit son expérience pour contracter des prêts pour le Liberia, effacer la dette et attirer les investisseurs. Une stratégie qui fonctionne : en 2006, les recettes publiques ont augmenté de 50 % par rapport à 2005. Des deniers que la présidente injecte dans les infrastructures. Entre décembre 2006 et mars 2007, le nombre de structures de santé est ainsi passé de 280 à 389, selon un rapport du secrétaire général de l’ONU de l’époque Ban Ki-moon.
Point d’orgue de son mandat, l’attribution le 7 octobre du prix Nobel de la paix, qu’elle partage alors avec sa compatriote Leymah Gbowee et la Yéménite Tawakkol Karman. Si beaucoup d’observateurs encensent cette attribution, l’opposition, elle, crie au scandale. Le futur candidat à la présidentielle George Weah estimera que la présidente n’a rien fait pour amener la paix et que « quand elle était dans l’opposition, elle n’avait fait qu’amener la guerre ». Une allusion à la participation financière d’Ellen Johnson Sirleaf à la campagne de Charles Taylor en 1997. Une « erreur » qu’elle a reconnue plus tard et qui lui a valu l’interdiction d’occuper des responsabilités officielles pour une durée de trente ans, après un verdict de la commission Vérité et Réconciliation ». Son élection en 2005 a outrepassé l’injonction, tout comme celle de 2011.
Un second mandat difficile
À la fin de cette année, « la Dame de fer » est réélue dans un pays où la pauvreté et le chômage – 80 % de la population – sont toujours aussi forts. Une élection entachée par le boycott de son adversaire Winston Tubman, qui influe grandement la participation. : seulement 37,4 % des Libériens sont allés voter. Alors qu’elle est investie le 16 janvier 2012, son image est quelque peu écornée lorsqu’elle affirme publiquement qu’elle ne modifiera pas les lois libériennes condamnant l’homosexualité. Elle s’en explique dans une interview donnée au média britanniqueThe Guardian . « Il y a certaines valeurs traditionnelles de notre société que nous aimerions préserver », affirme-t-elle alors.
Mais bientôt, son engagement à redresser l’économie du pays sera mis à rude épreuve. Le virus Ebola atteint le Liberia, et le 6 août 2014, l’état d’urgence est déclaré. Elle appelle ses ministres et hauts responsables partis à l’étranger à revenir au pays pour mettre en place une stratégie de lutte contre l’épidémie. Certains tardent à rentrer ? Ellen Johnson Sirleaf en prend ombrage et tranche : ils sont limogés, faisant honneur à sa réputation de femme intègre et intransigeante. Le 26 août, plusieurs secrétaires d’État en font donc les frais, ainsi que de hauts fonctionnaires. Les ministres récalcitrants, eux, auront leur salaire bloqué jusqu’à leur retour. En octobre, elle lance par ailleurs un appel à l’aide internationale. Dans une lettre qu’elle introduira par « Dear world », « Cher monde », elle s’appuiera une fois de plus sur ses relations pour réunir des fonds destinés à la lutte contre Ebola.
La fin du mandat est compliquée. Si on lui reconnaît d’avoir assuré la paix, elle est accusée de plusieurs maux, et en premier lieu d’avoir laissé une quasi-impunité aux criminels de la guerre civile, au nom de la réconciliation nationale. Seul Charles Taylor a été jugé à la Cour pénale internationale, pour des crimes commis en Sierra Leone. Autre point sensible, les places occupées par deux de ses fils à des postes haut placés. Robert Sirleaf est l’ancien président du conseil d’administration de la compagnie nationale de pétrole et conseiller spécial… de sa mère. Il perdra d’ailleurs les sénatoriales de 2014, face à George Weah. Un autre de ses fils a été directeur des services de renseignements, et un troisième, Charles, vice-gouverneur de la Banque centrale. Dernier coup de griffe à son image, son nom cité dans les Paradise Papers en 2017. Mais « Mama Ellen » en a vu d’autres. Des gifles, elle en a reçu, à l’image de celle infligée par son ex-mari James Sirleaf devant tous ses collègues du ministère des Finances où elle travaillait. Qu’importe, Ellen Johnson Sirleaf n’en aura que renforcé sa détermination et son implacabilité, appliquant son mantra favori : « Pardonner sans oublier. »
Avec lepointafrique