Il voulait devenir douanier. Les oracles s’y opposent. Il sera banquier, pour atterrir au Fonds africain de garantie dont il gravira tous les échelons. Mais ce banquier, qui réussit dans la garantie, est bien singulier. Il est aussi poète.
La garantie en Afrique s’incarne dans une institution, le Fonds africain de Garantie et de Coopération économique que symbolise, à son tour, un homme, son directeur général, Libasse Samb. Le FAGACE est, aujourd’hui, le leader de la garantie en Afrique, par son capital, 30 milliards de CFA, et par le volume de ses interventions. Libasse Samb n’y est pas pour rien. Depuis qu’il en a pris les rênes en 2001, il garantit en moyenne chaque année 39,7 milliards. C’est à peu près le total que le Fonds avait garanti de 1977 à 2000.
Le père est de la lignée des « diaraf », une noblesse de la république léboue, une république antérieure à la révolution française.
Le père a ditUn miracle ? Une bonne connaissance de l’outil et de son domaine. Libasse Samb a été fait par le FAGACE. Entré à 35 ans au Fonds, en 1982, il ne l’a plus jamais quitté. C’est alors sa première vraie rencontre avec la garantie, encore que le secteur financier ne lui était pas étranger. Après ses études secondaires au lycée technique Maurice Delafosse, il avait opté pour les sciences économiques à l’Université de Dakar. Après sa licence, le natif du village traditionnel de Yoff, a d’abord tâté d’un métier en rapport avec la profession de son père, marin dans sa jeunesse. Il est certes directeur financier, mais d’une société de pêche, AFRICAMER. Après les activités de pêche, le transport. Il est administrateur, directeur général de la Société de Transport et d’Affrètement routier, STAR. Parallèlement il dispense des cours de technique bancaire au centre de formation de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, BCEAO à Dakar.
Puis c’est le FAGACE qui l’accueille en 1982. Sa vocation première était de devenir douanier. Mais dans ce village, la tradition a encore du poids. Surtout quand le père est de la lignée des « diaraf », une noblesse de la république léboue, une république antérieure à la révolution française, comme les Lebous se plaisent à le rappeler. En plus des parents, les oracles ont leur mot à dire. Consultés, ils déconseillent. Samb y croit-il vraiment ? A vrai dire la question ne se pose pas. Le père a dit. Cela suffit.
Promotion interneA défaut de la douane, Libasse Samb choisit donc la banque. Pas tout à fait. Puisque c’est finalement le Fonds de garantie africain qui l’accueille en 1982 comme analyste financier. Il est ensuite promu chef de service, puis directeur administratif et financier. Il a donc gravi tous les échelons. Reste le dernier, la direction. Mais là, ce n’est pas seulement une affaire de compétence. Il faut d’abord être présenté par son pays. Jusqu’en 1995, le FAGACE n’avait connu que deux directeurs nigériens. Le moment semble venu de confier le poste à un autre pays. Samb qui connaît la maison, pense son heure venue. Les cadres de la maison sont les premiers à souhaiter une promotion interne. Mais son pays, le Sénégal, ne le présente pas. Ses compatriotes, Jacques Diouf est directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation, Babacar Ndiaye président de la Banque africaine de Développement, Ousmane Seck, président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine. Pour tous ses postes, le Sénégal a bénéficié du soutien des pays africains. Le président Diouf estime inélégant de disputer des responsabilités à ces pays. Samb n’est pas présenté. C’est un Togolais, Souleymane Gado, qui hérite du portefeuille.
En 2001, au terme de ce mandat, le Sénégal a changé de majorité. Abdoulaye Wade a succédé à Abdou Diouf. C’est une autre diplomatie. Présenté, Samb l’emporte haut la main.
Il ne décevra pas. Il connaît bien l’institution. A la fois son potentiel et ses faiblesses. Il ne tarde pas à imprimer sa marque en commençant pas la doter d’un plan d’action triennal, 2002-2004. Il réorganise aussi l’institution, l’ouvre à d’autres pays, la Sierra Leone, le Cameroun, la Guinée Bissau, la Gambie et, prochainement, la Mauritanie.
Diverses autres mesures sont impulsées par Samb. Des règles de fonctionnement plus souples permettent de raccourcir les délais d’approbation sans nuire à la rigueur. La nature juridique de la dotation est modifiée au profit du capital-actions qui permet de le porter à 45 millions d’euros. Le seuil d’intervention est abaissé de 152 000 à 76 000 euros etc. Les effets sont immédiats. Le nombre de projets passe de deux en 1981 à 230 en 2007. Au total, indique Samb, plus de 380 millions d’euros ont été garantis. Le taux de sinistre est de 8% seulement. Le FAGACE, se réjouit-il, a permis de mobiliser, par ses garanties, plus de 1,3 milliard d’euros.
« Nous ne satisfaisons que 30% des demandes. Parce que les dossiers sont mal monté ou que les promoteurs n’ont pas l’apport personnel nécessaire ou encore parce que le banques sont frileuses. »
Soutenir les PMELe FAGACE a pris une nouvelle dimension mais Samb décidément insatiable mesure les limites du Fonds. « Nous ne satisfaisons que 30% des demandes. Parce que les dossiers sont mal montés ou que les promoteurs n’ont pas l’apport personnel nécessaire, ou encore parce que le banques sont frileuses ». C’est pourquoi, il pense que le fonds doit se doter d’un instrument financier pour que les PME, qui doivent être le moteur du développement africain, reçoivent enfin le soutien dont elles ont besoin. Dans le financement du développement africain, le chaînon manquant, diagnostique-t-il, est la garantie en faveur des PME. Pour donner ses lettres de noblesse à la garantie, Samb a créé avec ses collègues qui dirigent les autres fonds de garantie africains, le Fonds de Solidarité africain dont le siège est à Niamey, le Fonds de Garantie des Investissements privés, GARI à Lomé, le Fonds National de Garantie et d’Assistance aux Petites et Moyennes entreprises (FONAGA) du Bénin et l’Association professionnelle des institutions de garantie africaine (APIGA), l’année dernière. C’est Libasse Samb qui a été porté à sa présidence.
Passion pour la poésieCe nouveau chantier lui laissera encore moins de temps au seul plaisir que le directeur du FAGACE se permet en dehors du travail, la poésie. Car ce banquier, marqué dans son enfance sur le plan culturel par ses illustres compatriotes, Cheikh Anta Diop et Léopold Sedar Senghor, est poète. Dans son premier recueil, Promenade d’un regard, publié en 2005 aux éditions du Flamboyant de Cotonou, il y chante le Rwanda, « Dis moi Kigali, quel est donc ton secret ? Comment as-tu pu sceller cette complicité avec la nature ? » ou alors le Bénin, « Terre ancestrale fécondée » ou encore son pays le Sénégal, « Tu as su marier et la religion/Et la langue et l’ethnie ».
Le virus de l’écriture l’a bien pris. Un roman, Fils du terroir sera bientôt édité et un autre, Marchand d’espoir est en chantier. Il écrit aussi des ouvrages plus conformes à son métier sur la garantie des investissements en Afrique.
avec .lesafriques