L’affaire de Chez Maurice, la maison close où un réseau de prostitution a été récemment démantelé et soixante-quinze femmes libérées de l’esclavage sexuel qui y était pratiqué sur elles, a fait éclater au grand jour le dossier du proxénétisme au Liban. Si dans le cadre de cette affaire l’accent a été surtout mis sur les victimes qui avaient subi toute sorte de violences et de maltraitances tout comme sur les maquereaux, aucune mention n’a été faite des clients qui, contrairement à ces derniers, sont exemptés de toute sanction. Et pourtant, les clients constituent la « raison d’être » de ce business et de celui de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle.
« Après tout, il n’y a pas d’offre sans demande », avance Ghada Jabbour, cofondatrice de l’ONG Kafa et responsable du département de lutte contre le trafic humain à l’ONG. « Sans la demande, la prostitution et le trafic des femmes pour une exploitation sexuelle n’auraient pas existé et ce business n’aurait pas prospéré », insiste-t-elle encore. D’après un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime sur le trafic humain, publié en décembre 2012, les femmes et les filles constituent en fait 75 % de l’ensemble du trafic humain dans le monde. Selon le même document, 58 % des cas de trafic humain signalés à l’échelle internationale sont effectués à des fins d’exploitation sexuelle. « Pour lutter contre ces phénomènes de prostitution et de trafic sexuel, il est important donc d’identifier les motifs derrière la demande », note Ghada Jabbour.
À cet effet, Kafa a mené en 2011 une étude auprès de cinquante-cinq hommes tous âges, communautés et situations sociales confondus. Le seul facteur qui les unit reste le fait d’avoir payé au moins une fois dans leur vie pour avoir des rapports sexuels. Une interview semi-structurée comportant plus de 100 questions a été menée avec chacun de ces hommes afin de collecter des informations sur leur personnalité, leurs attitudes, leurs pratiques, leurs motivations, leurs perceptions et leurs opinions concernant la prostitution et les femmes qui y sont impliquées. Les résultats de cette étude, baptisée « L’exploration de la demande de prostitution : ce que les acheteurs disent de leurs motifs, pratiques et perceptions », ont été publiés en 2014.
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« Un mal nécessaire »
Les hommes interviewés avaient en moyenne 28 ans. Plus de 90 % d’entre eux étaient des employés avec un salaire moyen de 1 000 dollars par mois. Près de 60 % avaient obtenu leur bac ou un diplôme universitaire, 67 % étaient soit mariés soit engagés dans une relation sérieuse et 26 % avaient des enfants. « Donc, il n’existe pas un profil standard du client, explique Ghada Jabbour. Ça peut être n’importe qui. »
Interrogés sur le nombre de prostituées qu’ils avaient fréquentées, les hommes interviewés avaient avancé un chiffre allant de 3 à 300. Quelque 42 % d’entre eux avaient signalé avoir eu recours aux services de plus de cinquante femmes. La majorité des hommes (71 %) ont confié que les Super Night Clubs constituent leur destination préférée, suivis des bars (53 %).
L’étude montre en outre que « la prostitution est considérée comme étant un mal nécessaire ». Plus encore, certains des hommes interviewés estiment que « le sexe est un besoin fondamental au même titre que la nourriture et l’eau ». « Dieu a concédé aux hommes les pulsions sexuelles », confie l’un d’eux, au moment où d’autres affirment que « la nature de l’homme est ainsi constituée » et que le besoin de sexe « est un impératif biologique chez les hommes ». D’où leur recours constant aux services des femmes prostituées.
Au nombre des justificatifs avancés par les hommes interviewés figurent notamment « l’accessibilité à la prostitution », d’autant qu’« il y en a pour tous les budgets », et le fait qu’acheter le sexe était « facile et convenable ». L’ensemble des hommes ont ainsi affirmé : « Acheter le sexe est plus facile et plus convenable que d’avoir une relation avec des femmes qui ne sont pas dans la prostitution. » De plus, pour un grand nombre d’entre eux, cela « leur permet d’éviter les contraintes de l’engagement ».
La « variété dans le choix des femmes » était un autre motif présenté par les hommes. L’un d’entre eux a ainsi déclaré : « Un homme marié ne couche pas avec sa femme tous les jours. Il va sûrement coucher avec d’autres femmes. Un homme n’a pas envie de manger de la moujaddara tous les jours. Il a envie aussi de poulet. »
Avec lorientlejour.com