En l’absence de dispositions spéciales portant sur l’éligibilité dans la nouvelle Constitution, la règle est théorique. C’est le principe de la continuité de l’État qui s’applique à l’instar du principe qui en est dérivé pour la continuité législative. Autrement dit, les dispositions de l’ancien ordre juridique se poursuivent et conservent leur force légale, tant qu’elles ne se heurtent pas ou ne sont pas contraires à celles du nouvel ordre juridique mis en place, par l’entrée en vigueur de la Nouvelle Constitution. Ce principe y est clairement affirmé en son article 183 qui stipule que “la Législation en vigueur, reste applicable en ce qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution”. Ça c’est le principe général, mais en droit il y a le principe et l’exception, donc il reste l’exception à la règle, en l’absence d’une interdiction formelle.
Or, l’actuel mandat du Président Ouattara est intervenu sous l’empire de la Constitution de 2000. Il appartient donc à ce régime, car il est antérieur à la Nouvelle Constitution dont il réclame le bénéfice. Or, celui-ci stipule expressément en son article 35 que le mandat présidentiel n’est renouvelable qu’une seule fois. Disposition dont il a consommé le bénéfice en 2O15. Dès lors, il ne peut en consommer le bénéfice une deuxième fois, l’un au titre de l’ancienne Constitution et l’autre au titre de la nouvelle Constitution, sans violer l’esprit de cette disposition (volonté populaire exprimée de manière constante et de celle de ses rédacteurs chargés de la traduire) qui reste identique et immuable dans l’une comme dans l’autre, donc sans remettre en cause l’un des termes essentiels du contrat social et du pacte politique qui légitiment son mandat.
Dans tous les cas, et pour être tout à fait complet, le Président Ouattara dit que l’actuelle constitution l’autorise à se présenter. « Une autorisation est par nature explicite, et non déductible. Quel texte l’y autorise? L’autorisation est formelle et indiscutable. La possibilité elle, peut être déductible, et donc discutable. On ne peut pas donc évoquer une autorisation en se basant sur (une interprétation ou) l’exception » (observation de mon jeune frère Inabo Delors sur ma page Facebook).
C’est pourquoi, j’ai dit dans mon post précédent, que la question juridique, dont tout le monde connait honnêtement la réponse, ne se pose même pas. L’enjeu la dépasse et interroge notre rapport à la culture (conduites sociales et politiques. Néanmoins, je compte analyser prochainement plus profondément ce deuxième volet de la question pour 3 raisons :
a) -Nous sommes passés d’une position personnelle (pour ou contre un 3ème mandat) à une possibilité. Toutefois, nous ne sommes pas encore passé d’une possibilité à une intention univoque, puis d’une intention à un fait (acte de candidature) pour engager si précocement le débat. C’est la raison qui me pousse à attendre un peu, avant de m’exprimer. Car cette déclaration peut avoir de multiples fonctions (faire sortir les loups du bois, exercer une pression dans un contexte particulier, calmer des ardeurs, défendre une vision systémique de la continuité de l’état, faire barrage à des ambitions ou l’aventure, rassurer les investisseurs, etc.,) qu’il convient de bien analyser sous son rapport à la politique et à l’économie également. En situation de responsabilité, nous ne sommes plus dans l’univers des idées. Dès lors, une question n’est plus isolée. Elle prend en considération d’autres dimensions (économiques, politiques et sociales).
b) – Tous les mandats présidentiels sont précédés et suivis d’une forte tension en Côte d’Ivoire, et se sont achevés par une crise institutionnelle (Coup de force Bédié et Guei ) des fois, doublée d’une guerre civile (Gbagbo). Même le dernier mandat du Président Houphouët-Boigny s’est achevé par une crise (contestation et faillite d’un modèle, guerre de succession). Cet enseignement de l’histoire, nous oblige à prendre nos responsabilités pour ne pas que cela se poursuive indéfiniment.
c) – Dans les débats auxquels j’ai participé (télévision, radio et écrits) j’ai défendu la nécessité d’une nouvelle Constitution, dégagée de toute visée politique. J’accusais même mes contradicteurs de politiser le débat. Aujourd’hui, la question pourrait se poser rétrospectivement.
CONCLUSION
Ce qui est certain nous ne sommes pas l’interprète de la Loi et ne sommes pas chargés de sa mise en œuvre. En revanche, nous avons l’obligation de prévenir contre toute dérive (excès ou abus de pouvoir, violation de la règle de droit) ou menace sur la paix sociale et la stabilité du pays. La gravité du sujet nous invite pour l’instant à la prudence, à la réflexion et au recul, sans tempérer notre exigence pour le respect du Droit (ce n’est pas un ordre contre un autre, un camp contre un autre, mais la réalisation d’un consensus national sur ce fondamental pour notre société, et pour conjurer la fatalité de la répétition de nos crises depuis un quart de siècle). N’oublions jamais que nos crises viennent de notre refus de respecter le droit, de le bafouer ou de l’instrumentaliser.
Avec connectionivoirienne