Alors que les biotechnologies commencent à guérir des maladies mortelles et à traiter des problèmes de santé incurables, la médecine entre dans une nouvelle ère biothérapeutique. Thérapie cellulaire, thérapie génique et immunothérapie, les chercheurs mettent au point de nouvelles façons de soigner. Les premiers traitements arrivent enfin sur le marché.
Rétine réparée, leucémie guérie, système immunitaire amélioré… après des années de promesses en sursis, les biotechnologies commencent à arriver à maturité. Et ce sont de nouveaux miracles qui commencent à devenir envisageables. Comme le Kymriah de Novartis dont les autorités de santé américaines (Food and Drug Administration, FDA) viennent d’autoriser le premier traitement d’immunothérapie génique contre une leucémie. Ou le Strimvelis de GSK qui soigne la déficience immunitaire des bébés « bulle », alors que Pfizer lance une étude clinique contre la myopathie de Duchenne (provoquant une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles). Ou même encore, dans un autre genre, la dysfonction érectile que des chercheurs danois affirment aujourd’hui guérir, tout en augmentant la taille du pénis en érection, grâce à l’injection de cellules souches… Anecdotique ou début d’une longue série de miracles à portée de la médecine ?
Si les géants de la santé ont longtemps boudé ce bricolage des cellules vivantes, appelé biotechnologies, certains prennent aujourd’hui leurs tickets d’entrée. Novartis va acquérir le spécialiste américain de la thérapie génique AveXis pour 8,7 milliards de dollars, Merck, Roche et AstraZeneca misent beaucoup sur l’immunothérapie, tandis que Bayer a créé BlueRock Therapeutics pour le traitement à base de cellules souches. Les fusions s’accélèrent aussi autour des pépites d’immunothérapie, la voie la plus prometteuse à court terme :
Gilead Sciences a déboursé 11,9 milliards de dollars pour Kite Pharma et Celgene s’est offert Juno Therapeutics. Dans la course au rachat, toutes les healthtechs ne sont cependant pas aussi proches du marché. Après des annonces faramineuses sans suite, les « big pharma » ont d’ailleurs appris à se méfier des vendeurs de miracle.
La thérapie génique prend son temps
Alors que les premiers Téléthons des années 1990 cherchaient des solutions pour les enfants atteints de myopathie, il aura fallu vingt-cinq ans pour que Pfizer annonce un candidat pour la myopathie de Duchenne. Mais on y est : six médicaments ont déjà été autorisés (1), bien que, pour l’heure, seules quelques zones de l’organisme, comme la rétine, sont facilement accessibles à la modification génétique. Elles ont l’avantage de ne pas provoquer de réactions de rejet trop agressives, ce que confirme le directeur du Genopole d’Evry, Jean-Marc Grognet :
« On commence à traiter des maladies de l’oeil, du cerveau, du système immunitaire et du sang, car les doses nécessaires restent raisonnables au regard de celles indispensables pour soigner des muscles et d’autres organes. Mais dans le monde, de nombreux essais sont en cours et on obtient des premiers résultats sur d’autres tissus, comme le foie. »
Les cellules souches pas encore prêtes
Autre promesse : la régénération par cellules souches dites pluripotentes, c’est-à-dire capables de se transformer en muscle ou en peau, suivant où elles se trouvent. Ces cellules sont celles des embryons qui se multiplient très rapidement pour former un bébé en neuf mois. En 2012, les chercheurs japonais et britannique Shinya Yamanaka et John Gurdon ont reçu le prix Nobel de médecine pour avoir mis au point une modification génétique capable de transformer nos « vieilles » cellules adultes en jeunes souches pluripotentes (on les appelle IPS). Du coup, les biotechs se sont mises à rêver de régénérer des organes abîmés et de fabriquer des foies ou des reins avec des imprimantes cellulaires 3D. Les premiers résultats arrivent enfin avec des cellules embryonnaires (voir « Rendre la vue », page 8), même s’il faut attendre encore un peu avant de savoir fabriquer de la peau au kilomètre. Selon Marc Peschanski, directeur scientifique de l’institut de recherche I-Stem (AFM Téléthon/ Inserm), « les premiers grands pharmas commencent à investir dans les cellules souches et on compte plus de vingt essais dans le monde sur la rétine, le muscle cardiaque, la production d’insuline dans le cadre du diabète… »
L’immunothérapie arrive sur le marché
Dans cette nouvelle façon de soigner, les technologies les plus proches du marché sont celles de l’immunothérapie. Issues de la thérapie génique, elles consistent à modifier les cellules de nos systèmes immunitaires afin qu’ils reconnaissent et attaquent les tumeurs cancéreuses, qui leur échappent habituellement. Ou à affaiblir les défenses des tumeurs qui leur servent à se camoufler. Principalement utilisées en oncologie, elles se sont montrées efficaces sur certains cancers réputés incurables (voir « En finir avec les cancers », page 6). Pour Laurent Alexandre, président de DNAVision [et actionnaire minoritaire de La Tribune, ndlr], « c’est la bonne surprise que l’on n’attendait pas et la technologie la plus aboutie est celle des CAR-T. Il faut dire qu’en oncologie, les parcours sont plus rapides pour arriver sur le marché. Avec des patients en phase terminale, sur lesquels aucune chimio ni radio n’ont été efficaces, les autorités sanitaires acceptent de prendre des risques avec de nouvelles molécules. Et certaines sont très efficaces », souligne l’auteur du livre à succès La Mort de la mort (Lattès, 2011). Depuis le premier Opdivo, autorisé en 2011 et racheté par Bristol-Myers Squibb (BMS), d’autres traitements sont arrivés sur le marché comme le Keytruda du même BMS pour les cancers du poumon.
Des thérapies de rupture sur la production et des prix prohibitifs
Mais si les premiers rayons de soleil dans le monde de l’immunothérapie y annoncent le printemps, il faudra encore attendre pour l’été. Explications : notre système immunitaire étant programmé pour attaquer toutes les cellules vivantes qui n’ont pas exactement le même ADN que lui, une des limites de ces biothérapies est celle de la tolérance. Comme avec des greffes, le corps a tendance à les rejeter sans leur laisser le temps de nous soigner. C’est pourquoi une majorité des développements se centre sur les cellules du patient (dites autologues). Ces cellules sont prélevées et corrigées pour ne plus nous rendre malades ou pour attaquer les tumeurs cancéreuses, des modifications souvent effectuées à l’aide de la nouvelle lame biologique CRISPR-Cas9. Elles sont ensuite assemblées à d’autres éléments biologiques nécessaires pour former des médicaments, puis cultivées avant d’être réinjectées au patient. Pour les fabriquer en évitant toute contamination ou mutation génétique, les techniques de haute protection des laboratoires suffisent. Mais – problème – passer en mode industriel n’est pas évident : ces traitements sur mesure se font forcément en petites quantités, les coûts de production explosent et les tarifs flambent. De plus, comme la plupart concernent des maladies rares et un nombre limité de patients, la rentabilité est encore plus difficile à atteindre.
En thérapie génique, les premiers traitements commercialisés affichent des prix record comme un million d’euros pour le Glybera, 594000 dollars pour le Strimvelis des bébés « bulle » et 850000 dollars pour le Luxturna de Spark, contre la dégénérescence de la rétine. Des prix hors catégorie qui ont amené Glybera à être retiré du marché, faute de ventes, et qui limitent beaucoup le succès du Strimvelis. Aujourd’hui, certains travaillent sur des cellules capables de se faire tolérer ou de survivre assez longtemps pour éduquer le système immunitaire avant de se voir éliminer. Objectif : des formules génériques propres à être industrialisées. C’est le cas de Cellectis avec des CAR-T provisoires et de la jeune pousse Eukarÿs, avec son traitement de thérapie génique synthétique ne délivrant ses instructions que pendant la période nécessaire à la correction du problème, avant de disparaître.
Que doit faire la France pour rester dans la course ?
Et l’Hexagone dans tout cela ? Si elle reste loin derrière les géants américains Spark Therapeutics, Bluebird Bio ou Sangamo Bioscience, elle a quand même quelques atouts. Elle reste une des pionnières de la thérapie génique, notamment grâce aux travaux financés par le Téléthon. Aux côtés des États-Unis, c’est le seul pays à voir figurer deux de ses labos dans le Top 10 mondial des centres de recherche en santé (avec l’Inserm et l’AP-HP). Parmi les développements prometteurs, l’Inserm a ainsi suscité la création de Brainvectis, startup implantée à l’Institut du cerveau de La Pitié Salpêtrière.
Comme le précise son cofondateur, Jérôme Becquart : « Brainvectis développe un traitement par thérapie génique pour rétablir le métabolisme du cholestérol dans le cerveau, une voie déficiente dans un certain nombre de maladies neuro dégénératives, comme la maladie de Huntington ou d’Alzheimer. » Mais la France concentre aussi des faiblesses. D’une part, notre pays, qui a raté le tournant des anticorps monoclonaux, n’est pas encore au point sur la bioproduction. « Il nous manque des gros bioréacteurs et certaines jeunes pousses achètent aujourd’hui leurs anticorps à la biotech chinoise Wuxi, qui a bien su se placer sur le marché européen », remarque Maryvonne Hiance, présidente de France Biotech. Pour les essais labo, de petites unités de production cellulaire spécialisées existent, notamment autour de Nantes qui pourrait prétendre au titre de « Cellular Valley ».
Des procédures trop lourdes
L’industrialisation des procédés de production est vitale dans le domaine de la thérapie génique et cellulaire. L’AFM Téléthon et Bpifrance ont cofinancé la plateforme YposKesi (160 salariés) basée sur le Genopole et déjà identifiée à l’international grâce à son expertise. « C’est la plateforme la plus importante en Europe pour la production de vecteurs de thérapie génique. Pour passer de la fourniture de lots d’essais cliniques à celle des lots post AMM [autorisation de mise sur le marché, ndlr], nous engageons la construction d’un bâtiment supplémentaire qui permettra de multiplier par dix nos capacités de production, avec l’installation de bioréacteurs d’une capacité de 2000 litres, d’ici 2021. », précise son CEO, Alain Lamproye. De plus, le financement des innovations continue de buter sur l’absence de tickets français supérieurs à 30 millions d’euros pour passer de l’amorçage au véritable développement. En l’absence de professionnels conciliant formation universitaire scientifique et compétences en business, nos grands fonds hésitent à miser gros. Ces doubles compétences – encore très rares dans nos circuits de formation – sont pourtant les meilleures pour définir avec fiabilité le potentiel des innovations thérapeutiques. Au-delà de l’amorçage, le fleuron français DBV Technologie a dû passer les frontières pour boucler le développement de son immunothérapie contre l’allergie aux arachides. « On ne trouve plus de relais dès que l’on atteint une taille critique, regrette son CEO, Pierre-Henri Benhamou. Nous avons dû faire appel aux capitaux anglosaxons. Ils ont mieux mesuré l’intérêt de notre vaccin thérapeutique contre ce problème de santé, qui cause tant d’accidents chez les enfants aux États-Unis. » En obtenant de la FDA une formule « fast track », pour un développement accéléré et accompagné, Pierre-Henri Benhamou pointe aussi la lenteur des procédures administratives.
Cosignataire d’un rapport sur la « France Health Tech » avec France Biotech (2), la directrice associée au Boston Consulting Group Agnès Audier le confirme : « Le chemin vers la commercialisation est un véritable parcours du combattant. Ces règles ont été élaborées entre les administrations et les big pharma, ce qui donne des circuits très mal adaptés aux PME. À force de privilégier le principe de précaution, nos dispositifs sont bien plus longs que dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique. On entend souvent dire que notre autorisation de mise sur le marché est deux à trois fois plus longue à obtenir que chez ces voisins occidentaux. » Sur le sujet, les CEO de biotechs plaisantent souvent de l’optimisme excessif du gouvernement français, qui avait sollicité l’implantation de l’Agence européenne du médicament dans l’Hexagone, alors que sa propre agence leur paraît franchement sous-dotée !
Cette lenteur amène de nombreuses biotechs à terminer leurs essais cliniques à l’étranger, à l’image de CellProthera, qui a obtenu l’autorisation d’un essai clinique à Singapour, en plus de sa phase II européenne. « Si les résultats de la phase II sont bons, Singapour accepte de délivrer une AMM provisoire, sans avoir réalisé la phase III », explique son président, Philippe Henon. Pour éviter de voir leurs pépites biotech partir à l’étranger, différents pays commencent à assouplir leurs procédures car le marché de la santé est international par essence et qu’il n’y a rien de plus mobile qu’une biotech. Aux États-Unis, les règles de la FDA sont devenues plus accommodantes depuis la nomination de son nouveau directeur et le Japon au aussi créé des procédures pilotes. Il reste que ces nouvelles façons de soigner biotechnologique, aussi merveilleuses ou prometteuses soient-elles, ont commencé à bousculer le modèle économique de la pharma : les patients guéris n’ont plus besoin de thérapies au long cours qui assuraient des revenus réguliers. Un exemple ? Le traitement de l’hépatite C de Gilead aurait fait chuter les nouvelles contaminations, donc le nombre de patients. C’est certes une très bonne nouvelle sanitaire, mais même vendu très cher, le traitement est un coup dur collatéral pour les rentes chimiothérapeutiques.
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NOTES
(1) Cinq thérapies immuno et géniques sont déjà commercialisées : Gendicine du chinois Shenzhen SiBiono GeneTec contre les cancers cervico-faciaux, Strimvelis de GSK contre la déficience immunitaire, Kymriah de Novartis contre une forme de leucémie, Yescarta de Kite Pharma (racheté par Gilead) pour une forme de lymphome et Luxturna de Spark contre la dégénérescence de la rétine. Le Glybera d’Uniqure a été retiré du marché.
(2) En novembre 2017, BCG et France Biotech ont réalisé un rapport titré « La French Health Tech : faire de la France un leader mondial de la santé ». Selon ce rapport : plus de 600 entreprises sont bien positionnées sur l’innovation santé et d’ici 2030, les Health Tech françaises pourraient générer un chiffre d’affaires annuel de 40 milliards d’euros.
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