Les femmes pourraient créer des millions d’emplois si les entreprises qu’elles ont fondées croissaient au même rythme que celles des hommes. Les freins qui entravent leur développement étaient à l’ordre du jour d’une conférence à Berlin.
D’ici à 2025, nos économies devront engendrer 600 millions d’emplois de manière à fournir un travail à tous les actifs de la planète. Et si la meilleure manière de relever ce défi était d’encourager l’entrepreneuriat au féminin ? C’est en tous cas la conviction d’Elizabeth Gore, entrepreneure en résidence chez Dell et présidente du Global Entrepreneurs Council à la Fondation des Nations unies. “Les femmes représentent le plus gros marché émergent au monde !”, s’est exclamée cette Américaine devant 200 personnes réunies à Berlin début juin pour la sixième édition du Dell Women’s Enterpreneur Network (DWEN), un réseau de femmes entrepreneures fondé par le groupe informatique texan.
Leur potentiel économique, en effet, est énorme. Si les entreprises qu’elles ont fondées croissaient au même rythme que celles des hommes, le nombre net d’emplois créés se chiffrerait à 15 millions aux États-Unis, 74 millions en Chine, 2 millions au Ghana ou encore 1,9 million en France, selon leScorecard, une étude universitaire réalisée à l’occasion du forum.
Les femmes créent deux fois plus d’entreprises que les hommes
Dans de nombreux pays du globe, l’entrepreneuriat au féminin connaît un essor considérable. “De gros progrès ont été réalisés depuis l’époque pas si lointaine où les femmes dépendaient presque entièrement de leurs maris pour leur subsistance”, se réjouit Trish Costello, PDG de Portfolia, un fonds d’investissement dédié aux femmes. Aujourd’hui, les femmes créent deux fois plus d’entreprises que les hommes à l’échelle mondiale, elles représentent 51 % de la richesse globale et contrôlent 70 % des dépenses des ménages. Elles sont perçues par les ONG comme le premier levier de développement dans les pays émergents : “Dans les camps de réfugiés que j’ai visités en Ouganda, vous savez quelle est la première chose que font les femmes déracinées, démunies et manquant de tout ? Elles montent leur petit commerce”, assure Elizabeth Gore.
Cependant, les hommes et les femmes sont loin d’être égaux face à l’entrepreneuriat et de nombreuses disparités empêchent ces dernières de faire prospérer leur affaire. “J’ai coutume de résumer les problèmes des entrepreneures à l’aide de trois C, déclare Cherie Blair, présidente d’une fondation dédiée aux femmes entrepreneures qui porte son nom. Manque de confiance – encore trop souvent, elles s’entendent dire que l’entrepreneuriat n’est pas pour elles -, manque de capacités – l’éducation et la formation de base leur font souvent défaut -, et manque de capitaux – Dieu sait à quel point il est difficile pour tout entrepreneur de trouver des fonds, mais pour les femmes, c’est encore plus dur !”, déplore la femme de l’ex-premier ministre britannique et avocate au barreau de Londres, dont l’intervention sur scène représentait l’un des temps forts de la conférence berlinoise.
La France en sixième position des pays les plus favorables
Pour mieux cerner ces disparités et tenter d’y remédier, l’étude Scorecard a examiné la situation de l’entrepreneuriat au féminin dans 31 pays avant d’attribuer une note à chacun d’entre eux. Cette note évalue le niveau d’égalité des chances entre hommes et femmes au regard de critères aussi divers que la législation, le niveau de corruption, l’accès à l’éducation, la parité dans les entreprises ou encore les possibilités de financement.
Résultat : dans 70 % des pays étudiés, les femmes ont moins de 50 % de chances que les hommes de démarrer leur entreprise, la faire prospérer et créer de l’emploi. Avec un score de 71 sur 100, les États-Unis se hissent en tête du classement, essentiellement grâce à un environnement économique et une législation favorables. Et pourtant, même là-bas, les femmes entrepreneures rencontrent de réelles difficultés, en témoigne ce chiffre édifiant : en 2014, sur toutes les starts-up ayant reçu des fonds de capital-risque, seuls 2,7 % étaient dirigées par une femme, révèle une étude du Diana Project. Suivent le Canada (69 points), l’Australie (69), la Suède (68) et le Royaume-Uni (65) sur l’échelle des pays les plus favorables à l’entrepreneuriat féminin. La France, avec un score de 62 points, arrive en sixième position et peut se targuer d’être le seul pays du classement à inclure 30 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées, du fait de la loi Copé-Zimmermann, qui impose des quotas.
À l’autre bout du spectre, du côté des mauvais élèves, se trouvent le Bangladesh, l’Inde, l’Égypte ou encore le Pakistan. Dans ce dernier pays, seulement 3 % des femmes disposent d’un compte en banque, 19 % ont reçu une éducation secondaire et 10 % utilisent Internet. Difficile, dans ces conditions, de se transformer en chef d’entreprise.
Où sont les Bill Gates, Steve Jobs et autres Mark Zuckerberg féminins ?
Le bât ne blesse pas partout de la même manière. En Afrique, par exemple, les femmes ne craignent pas de se lancer en affaires : “Au Nigéria, au Ghana et en Ouganda notamment, les femmes créent plus d’entreprises que les hommes. C’est extrêmement positif, se félicite Ruta Aidis, qui a dirigé, depuis la George Mason University où elle est chercheuse, la réalisation de l’étude Scorecard. Le hic, c’est que leurs structures ne grandissent pas. Elles restent bloquées au stade d’entreprise unipersonnelle de subsistance sans parvenir à créer de l’emploi”.
Au Brésil et au Japon, en revanche, peu de femmes se lancent dans l’aventure entrepreneuriale, faute d’ambition ou d’éducation. “Chez nous, les femmes sont formées pour devenir coiffeuses ou esthéticiennes, mais très peu se destinent à l’entrepreneuriat, témoigne la Brésilienne Deb Xavier, fondatrice de Jogo de Damas, une entreprise de conseil et de formation dédiée à l’émancipation féminine installée à Porto Alegre. La culture populaire et notamment la télévision ont tendance à magnifier le corps et réduire la femme au rang de potiche. Or une femme entrepreneure est un sujet à part entière : elle est dans l’action, tout le contraire d’un objet !”
D’une manière générale, un peu partout dans le monde, les femmes manquent de figures entrepreneuriales dont elle peuvent s’inspirer. Ce problème touche tout particulièrement le secteur des technologies, dont les femmes sont cruellement absentes, y compris aux États-Unis. “En 1984, le secteur des technologies employait plus de femmes qu’aujourd’hui. Cette situation est extrêmement préoccupante, car c’est là où se concentrent de plus en plus la croissance et le pouvoir : les femmes ne peuvent pas rester en dehors !”, alerte la réalisatrice Robin Hauser Reynolds, auteure du documentaire “Code : Debugging the Gender Gap”.
Des pistes concrètes pour faire bouger les lignes
Pour faire reculer les inégalités qui freinent le développement de l’entrepreneuriat au féminin, Ruta Aidis et son équipe ont dressé une liste de recommandations très concrètes à destination des différents acteurs concernés.
Les gouvernements sont ainsi encouragés à s’inspirer des États-Unis ou de l’Afrique du Sud pour mettre en place des politiques de commandes publiques favorables aux entreprises dirigées par des femmes, ou encore de la France qui a instauré des quotas de femmes dans les conseils d’administration.
Les entreprises privées, quant à elles, sont invitées à diversifier les comités de direction et inclure davantage d’entreprises dirigées par des femmes dans leur chaîne d’approvisionnement. Des organismes comme le 30 % Club ou WEConnect peuvent les y aider.
Aux femmes entrepreneures de jouer la carte de la solidarité et de l’émulation en s’engageant dans des programmes de tutorat, en rejoignant des réseaux d’entraide et en agissant comme des exemples à suivre. “Toutes les filles devraient avoir une image de ce qu’est une entrepreneure : une femme qui est en contrôle de sa vie et qui a toute sa place sur la scène sociale et économique”, estime Ruta Aidis. Pour faire évoluer les mentalités, les médias ont également leur rôle à jouer : à l’échelle mondiale, seulement 25 % de leur contenu met des femmes en avant et dans 46 % des cas, ce contenu ne fait que renforcer les stéréotypes sur le genre, estime une étude du Global Media Monitoring Project.
Enfin, chaque individu peut encourager l’entrepreneuriat féminin en participant à des programmes decrowdfunding, de prêts à taux préférentiel et d’investissement ciblés à l’aide de plates-formes de financement comme Kiva ou Portfolia.
“Au final, nous avons tous à y gagner”, estime Elizabeth Gore. Plusieurs études ont en effet prouvé que les entreprises et les sociétés qui encourageaient la parité affichaient plus de croissance, plus de chiffre d’affaires et plus de profit que les autres. Un phénomène connu sous le nom de “facteur féminin” et dont il serait dommage de se priver.
Pmepmimagazine avec france24