Le 12ème sommet de l’ASEM (Dialogue Asie-Europe) s’est tenu à un moment crucial, avec une UE divisée sur la manière de répondre à la politique inquiétante de transfert technologique de la Chine et à l’Initiative Belt and Road.
Totalement sous le radar d’un cycle d’actualités bouleversé par le roman à sensations de la saga d’Istanbul et la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les dirigeants de pas moins de 51 nations asiatiques et européennes se sont réunis vendredi à Bruxelles pour parler de l’instauration d’une certaine stabilité au niveau mondial.
La veille, à Bruxelles, un autre feuilleton non résolu, le Brexit, s’était achevé sans qu’un accord crédible ne soit en vue.
Le Dialogue Asie-Europe (ASEM), créée en 1996, regroupe 53 partenaires – 30 nations européennes, 21 nations asiatiques, l’UE et le secrétariat de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est). Outre l’ensemble de l’UE, trois pays du BRICS (Chine, Russie, Inde), le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande en sont membres, ce qui témoigne de son importance.
Même si les décisions de l’ASEM ne sont pas contraignantes, le 12e sommet n’aurait pas pu se tenir à un moment plus crucial, selon les diplomates, pour répondre au besoin urgent d’un peu de raison dans le droit et les relations internationales.
Même si l’UE s’est concentrée sur le Brexit, les retombées de la migration et la défiance ouverte de l’Italie envers Bruxelles en augmentant son déficit budgétaire ; et si l’Asie s’est inquiétée du dialogue intercoréen, des bombardiers américains survolant la mer de Chine du Sud avant le Sommet de l’ASEAN, et de la crise Rohingya, le sommet a néanmoins pu tenir des discussions significatives.
Après tout, le commerce à l’échelle de l’Eurasie domine déjà le commerce transpacifique, et l’écart va continuer à se creuser.
Il a été discuté de la connectivité, du commerce et de l’investissement, mais aussi des politiques de développement durable, du changement climatique, du terrorisme, de la non-prolifération des armes nucléaires, de la cyber-sécurité, sans oublier le thème qui galvanise la droite populiste, la migration.
Le point de consensus clé de l’entente cordiale Asie-Europe est sans doute la nécessité de préserver l’OMC – car malgré tous ses défauts elle est encore reconnue comme le seul mécanisme fondé sur des règles capable d’arbitrer la prolifération des guerres commerciales.
Parallèlement, l’UE poursuit ses activités comme si de rien n’était, signant un accord de libre-échange avec Singapour et un autre avec le Vietnam et finalisant les termes d’un accord commercial avec le Japon.
Quel est le problème avec l’Initiative Road and Belt (IRB) ?
Ensuite, il y a le cœur du problème : comment l’UE dans son ensemble prévoit de se positionner par rapport aux Nouvelles Routes de la Soie, ou l’Initiative Belt and Road.
Le mois dernier, la Commission Européenne (CE) a présenté sa propre stratégie de connectivité Asie-Europe, qui va des transports et de l’énergie au développement de l’économie numérique.
La devise de l’UE est « connectivité durable » – privilégiant des « cadres réglementaires solides », la « responsabilité fiscale » et tout ce qui fonctionne selon les règles du « marché ouvert ».
Pour l’instant, c’est encore assez vague – et pas très différent des objectifs de l’IRB. Les diplomates à Bruxelles se réfèrent constamment au Plan d’Investissement Extérieur de l’UE, se concentrant principalement sur l’Afrique et le « voisinage de l’UE », et théoriquement capables d’attirer des investissements allant jusqu’à 44 milliards d’euros.
Cette carte montre quelques exemples – mais c’est vraiment une goutte d’eau dans l’Atlantique par rapport à la portée, à l’ampleur et au vaste financement de l’IRB. Pourtant, il ne fait aucun doute que quelques nations européennes souhaiteraient que le mécanisme de l’UE rivalise avec les nouvelles routes de la soie de Chine.
L’UE est divisée, mais en parle
Pour l’instant, l’UE est – comme d’habitude – une maison divisée, opposant les pro-IRB d’Europe de l’Est et d’Italie, avec une France et une Allemagne paralysées qui ne savent pas exactement comment calibrer leur stratégie.
Le casse-tête bruxellois le plus important concerne sans doute les investissements chinois dans les entreprises européennes de haute technologie. Les couloirs diplomatiques sont en effervescence avec les craintes de transferts technologiques qui renforcent la stratégie « Made in China 2025« . Berlin réglemente désormais fortement les acquisitions chinoises dans des secteurs stratégiques, mais l’UE dans son ensemble n’a pas encore trouvé de stratégie consensuelle.
Les industriels allemands savent que les marchés de l’avenir sont tous en Asie, et en particulier en Chine pour une puissance exportatrice. Il se trouve que Duisburg est le principal terminal de l’IRB en Europe, car il abrite le Logport, l’un des plus grands ports à conteneurs du continent. Vingt-cinq trains de marchandises arrivent chaque semaine au terminal DIT – le « China Terminal », en provenance de Chongqing et traversant le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne. Dans un avenir pas trop lointain, cette cargaison sera acheminée par train à grande vitesse.
Le Mercator Institute for China Studies, un groupe de réflexion de premier plan à Berlin, a publié des rapports cohérents sur la façon dont Made in China 2025 reproduit l’avancée technologique de l’Industrie 4.0 de l’Allemagne, et comment la Chine construira bientôt ces machines ultra high-tech qui brillent pour l’instant dans le monde entier comme symbole du savoir-faire allemand.
Et bien, au lieu de devenir les otages d’une fusillade de sanctions, au moins l’Asie et l’Europe en parlent.
Source : Leaders of Asia and Europe sit down for talks, not sanctions