Franc CFA signifie, on le sait, franc des Colonies Françaises d’Afrique, c’est-à-dire franc créé par la France pour exploiter ses dépendances hors de son territoire national à son profit. Dès lors, l’accession desdites colonies ou autres dépendances à la souveraineté internationale devait leur conférer le droit politique de battre monnaie.
Article repris du dernier numéro du Journal de l’Afrique que vous pouvez découvrir en intégralité
Nous allons nous appuyer sur le cas Cameroun pour traiter le sujet qui nous est soumis, entendu que cela est valable pour toutes les anciennes colonies ou dépendances d’Afrique de la France devenues toutes indépendantes en 1960. Les Comores ont acquis leur indépendance plus tard, mais la monnaie qui y est émise, tout en ayant un statut analogue à celui du franc CFA, s’appelle franc comorien n’ayant du reste pas le même taux de change que le franc CFA par rapport à l’euro.
Le « Cameroun français » – oui c’est comme cela qu’on l’appelait officiellement parce qu’il y avait aussi le Cameroun britannique, voire les Camerouns britanniques – proclame son indépendance le 1er janvier 1960. Et, le 13 novembre de la même année, est signé à Yaoundé entre le France et le nouvel État un traité de coopération auquel sont annexés des accords dont celui qui nous intéresse s’intitule Accord de coopération en matière économique, monétaire et financière. Nous y lisons ce qui suit : « Article 25 – La qualité d’État indépendant et souverain acquise par le Cameroun lui confère le droit de créer une monnaie nationale et un institut d’émission qui lui soit propre. Article 26 – Jusqu’à la création d’une unité monétaire camerounaise, la monnaie légale ayant pouvoir libératoire sur toute l’étendue du territoire du Cameroun est le franc CFA émis par la Banque centrale des États de l’Afrique équatoriale et du Cameroun. » Notons que la Banque centrale des États de l’Afrique équatoriale et du Cameroun (BCEAEC) est créée en avril 1959 pour les besoins de la cause, les anciennes colonies de l’Afrique équatoriale française (AEF), à savoir, Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine), Congo, Gabon et Tchad, devant devenir indépendantes en 1960 aussi. Notons aussi que CFA ne signifie plus colonies françaises d’Afrique, mais communauté financière africaine. Quel tour de force de conserver l’acronyme tout en modifiant l’intitulé complet ! Il est également important de noter qu’au lendemain de leur indépendance, tous ces États se sont inspirés de la constitution de la Ve République française pour écrire la leur. Or, l’article 34 de cette constitution précisait, entre autres, que la loi fixe les règles concernant le régime d’émission de la monnaie.
On comprend donc pourquoi la France a dû se faire violence et reconnaître formellement le droit du Cameroun à battre monnaie, avant de l’en spolier jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, soit plus de 55 ans plus tard ! Car, bien qu’ayant reconnu en 1960 ce droit, la France a encore imposé par des pressions, pour ne pas dire des chantages politiques, sa tutelle monétaire.
Le 22 novembre 1972 à Brazzaville, en effet, elle a obtenu que le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon et le Tchad signent une convention dite de coopération monétaire dans le cadre d’une Banque centrale dénommée Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC). En soi, ce n’est pas une mauvaise chose que des États africains voisins se donnent une Banque centrale commune émettant une monnaie commune. Mais là où le bât blesse c’est que le 23 novembre 1972, est signée une autre convention dite de coopération monétaire entre la République française et les États membres de la BEAC. L’article 07 de cette convention stipule textuellement que : « La Banque des États de l’Afrique Centrale prévue à l’article 3 est un établissement multinational africain, à la gestion et au contrôle duquel participe la France en contrepartie de la garantie qu’elle apporte à sa monnaie. La Banque assumera à l’égard des tiers les droits et obligations de l’ancienne Banque Centrale des États de l’Afrique Equatoriale et du Cameroun. Les dispositions organiques de la Banque sont annexées à la présente Convention. » On y lit également ce qui suit : « Article 9. La monnaie émise par la Banque est le franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale (franc C.F.A.) dont la convertibilité avec le franc français est illimitée. À cet effet, une Convention relative à un compte d’opérations ouvert au Trésor français sera signée entre le Président de la Banque et le Ministre de l’Économie et des Finances de la République Française. »
Pour la suite de notre propos, les articles 17 et 20 nous intéressent : « Article 17. Tout État signataire peut dénoncer la présente Convention. Cette décision prend effet à compter de la date de sa notification à l’État dépositaire. La négociation des arrangements nécessaires sera entreprise immédiatement entre les États signataires à la diligence de l’un quelconque d’entre eux. L’application de la Convention de Compte d’opérations prévue à l’article 9 ci-dessus est suspendue de plein droit à compter de la date de cette notification, en ce qui concerne cet État… Article 20. La présente Convention entrera en vigueur après notification de sa ratification par tous les États signataires à la République Populaire du Congo désignée comme État dépositaire. »
Peu de Camerounais ont présent à l’esprit que la constitution actuellement en vigueur – celle du 18 janvier 1996 procédant de la révision de celle promulguée le 02 juin 1972 suite au référendum du 20 mai faisant passer le Cameroun de la fédération à l’État unitaire –, stipule en son article 26 que le régime d’émission de la monnaie est du domaine de la loi et que la loi est votée par le Parlement ! Mais alors, comment se fait-il que le Parlement camerounais n’ait jamais voté une seule loi fixant le régime d’émission de la monnaie ? La raison en est toute simple : ce Parlement a commis par deux fois ce qu’il est convenu de qualifier d’actes de haute trahison. Il a ratifié une première fois le traité du 13 novembre 1960 à Yaoundé et les accords y annexés et une deuxième fois les conventions des 22 et 23 novembre 1972, le tout abandonnant à chaque fois la souveraineté du Cameroun à une puissance étrangère. Nous disons bien qu’il s’agit d’actes de haute trahison, car l’allégeance à une puissance étrangère n’a jamais été autre chose qu’un acte de haute trahison ! Le peuple aurait dû être consulté par référendum. C’est ce qu’ont fait les autorités françaises, par exemple, quand il s’est agi d’abandonner le franc français pour l’euro dans le cadre du traité de Maastricht ; et c’est ce qui sera fait quand il faudra que le Cameroun devienne, sous la conduite d’un gouvernement dirigé par des panafricanistes, un État fédéré des États-Unis d’Afrique, dotés de leur monnaie.
Juridiquement, il suffit d’écrire aux autorités de la République du Congo à Brazzaville, en application de l’article 17 de la convention du 23 novembre 1972 citée ci-dessus, pour déclencher le processus qui va aboutir à la sortie du franc CFA. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures, c’est aussi simple que cela.
Pour cela, la volonté et la capacité politiques sont nécessaires. Et c’est là tout le problème. La France n’a jamais voulu lâcher prise. Le président de la République française, François Hollande, a reconnu le 03 juillet 2015 à Yaoundé que son pays a mené une guerre de répression au Cameroun, y compris après la proclamation de l’indépendance. Ce qu’il n’a pas dit, mais que tout le monde sait, c’est que cette guerre était destinée à empêcher l’indépendance effective du Cameroun, laquelle n’a toujours pas eu lieu, comme nous venons de le voir à travers la question monétaire. Pierre Messmer, ancien Haut-commissaire de la France au Cameroun ne fait pas mystère de sa décision prise en 1958 d’éliminer physiquement Ruben Um Nyobè, figure emblématique de la lutte pour l’indépendance, effectivement abattu par l’armée française le 13 septembre 1958 dans la forêt de la Sanaga Maritime. Après la proclamation de l’indépendance, la France, en plus de mener la guerre sur le territoire camerounais, a assassiné par empoisonnement au thallium, Félix-Roland Moumié, président de l’Union des populations du Cameroun en exil, décédé à Genève le 03 novembre 1960, laissant la voie libre au fantoche Ahmadou Ahidjo de conclure le traité et les accords du 13 novembre 1960 que nous connaissons, ainsi que les conventions des 22 et 23 novembre 1972 à Brazzaville. La France a ainsi réussi à imposer à la tête de l’État camerounais « indépendant et souverain » des gouvernants acquis au maintien de la mainmise de cette France sur l’essentiel, à telle enseigne que l’écrasante majorité des hommes politiques camerounais, surtout ceux qui croient avoir la moindre chance d’accéder au pouvoir, a intégré cette donnée dans sa démarche ! Posez la question à tel aspirant à la magistrature suprême au Cameroun sur le franc CFA, il va étaler au grand jour sa gêne, avant de faire des déclarations ambiguës sous les pressions de l’opinion publique, désormais au fait de la question monétaire.
Il faut par conséquent un Mouvement politique, organisé et capable de prendre le pouvoir pour libérer et gouverner le Cameroun. Il ne peut alors s’agir que d’un Mouvement se réclamant de la tradition du panafricanisme, car la solution définitive à la question monétaire réside dans la monnaie africaine dans le cadre des États-Unis d’Afrique. La crise de l’euro a en effet montré qu’une monnaie unique et commune à plusieurs États ne peut fonctionner correctement que si ces États sont fédérés, soumis à un État fédéral, comme aux États-Unis d’Amérique. Kwame Nkrumah avait donc vu juste qui proposa en mai 1963 à Addis Abeba « une union politique basée sur la défense, les Affaires étrangères et la diplomatie ; sur une citoyenneté commune, une monnaie africaine, une zone monétaire et une Banque centrale africaine », bref les États-Unis d’Afrique. Comme l’écrit Joseph Tchundjang Pouémi dans Monnaie, Servitude et Liberté – La répression monétaire de l’Afrique (Éditions Jeune Afrique, Paris, 1980), « l’Afrique se fera par la monnaie ou ne se fera pas ». La lutte sera longue et dure, mais « à cœur vaillant, rien d’impossible ».
Nous-mêmes avons créé l’Union des Populations Africaines (UPA) – Parti de l’Avant-garde panafricaniste, qui a présenté notre candidature à l’élection présidentielle en 1997, 2004 et 2011. Le titre de notre ouvrage, Le Cameroun au XXIème siècle – Quitter la CEMAC, puis œuvrer pour une monnaie unique dans le cadre des États-Unis d’Afrique (Éditions Renaissance Africaine, Yaoundé, 2000), est suffisamment éloquent. Nous proposons d’appeler la monnaie camerounaise le Um (en hommage à Ruben Um Nyobè comme la monnaie du Venezuela s’appelle bolivar en hommage à Simon Bolivar qui fut pour ce pays, toutes proportions gardées, ce que sera plus tard Um Nyobè pour le Cameroun). Nous avons également signé une plate-forme du Front Progressiste et Panafricaniste avec d’autres partis politiques, l’objectif étant de fondre tous les groupes s’en réclamant dans un Grand Mouvement panafricaniste. Ce Mouvement aura pour objectif de prendre le pouvoir et de faire du Cameroun un véritable fer de lance de la Révolution Africaine ayant pour apothéose la fondation du noyau dur des États-Unis d’Afrique autour duquel les autres États viendront adhérer au cours des décennies, voire des siècles à venir, au fur et à mesure de leur prise en main par des panafricanistes.
Hubert Kamgang est le Président général de l’Union des Populations Africaines (UPA), Auteur entre autres livres, de Le Cameroun au XXIème siècle – Quitter la CEMAC, puis œuvrer pour une monnaie unique dans le cadre des États-Unis d’Afrique (Éditions Renaissance Africaine, Yaoundé, 2000).
Source : Investig’Action – Journal de l’Afrique
Photo: Spécimen de la monnaie nationale camerounaise proposée par Hubert Kamgang
via: http://www.michelcollon.info/Les-arguments-politiques-et.html?lang=fr