Poids économique ou financier, importance des réseaux… Jeune Afrique dresse la liste des femmes qui comptent dans le monde des affaires en Afrique francophone. Qu’elles soient ministres ou patronnes, héritières ou self-made-women.
Influence, n. f. Pouvoir social et politique de quelqu’un ou d’un groupe, qui permet d’agir sur le cours des événements, les décisions prises, etc. Exemple : « On a vu grandir son influence dans le monde des affaires. » C’est le cas des 25 femmes dont vous trouverez le portrait dans les pages suivantes : toutes ont un poids qui leur permet d’agir sur la vie économique en Afrique francophone. Mais les trouver n’a pas été si simple… Question d’organisation culturelle et sociale, « qui muselle le leadership féminin », lâche Khady Touré, jeune diplômée de HEC Montréal qui a claqué la porte d’une grande multinationale implantée au Sénégal et se bat, depuis, pour l’émancipation des femmes dans le monde des affaires. « Certes, il y a une parité de vitrine, mais les rares femmes qui ont réussi n’ont eu d’autre choix que de développer des stratégies de contournement », poursuit-elle.
Notre liste le confirme : dans le monde des affaires, influence féminine rime encore souvent avec filiation ou mariage. Des brillantes héritières des grandes familles capitalistes marocaines aux femmes ou filles de puissants politiques, les exemples sont légion. Jusqu’à celui, presque caricatural, des épouses successives de l’homme d’affaires algérien Abdelwahab Rahim, dont l’influence semble être passée de l’une à l’autre en quelques mois à peine. Autre sujet qui ne manque pas de faire débat : Pascaline Bongo est-elle une femme d’influence dans le monde des affaires ? Beaucoup moins qu’avant, disent certains, du fait du fort ascendant économique qu’a pris son frère, président du Gabon. Presque toujours autant, soulignent ceux qui rappellent qu’elle reste la gérante de l’immense fortune familiale, investie notamment dans les plus grandes entreprises du pays.
La notion d’influence n’est simple qu’en apparence. Poids économique, importance des réseaux, rôle décisionnaire au sein des grandes entreprises… La liste qui suit est un agrégat de tout cela mais aucunement une reconnaissance des mérites individuels. Tout juste une image clinique des rares femmes qui comptent. Car elles sont toujours aussi peu nombreuses à avoir gravi les échelons jusqu’au plus haut niveau. Charge familiale, pesanteurs culturelles… Les raisons de leur sous-représentation dans les cercles de pouvoir et de décision économique sont connues, mais les mesures correctives restent inefficaces.
Le Maroc a récemment dévoilé que la moitié des sociétés cotées dans le royaume n’ont aucune femme dans leur conseil d’administration. Sur les centaines de ministres que comptent les gouvernements d’Afrique francophone, les femmes en situation décisionnaire en matière économique et financière ne sont que quelques-unes. « La situation s’améliore », nous ont dit plusieurs de nos interlocutrices. Faut-il forcer les choses par des quotas ? « Non », répondent-elles, fidèles en cela à la pensée de la majorité des femmes influentes à travers le monde. Seul le mérite devra compter.
Evelyne Tall, Sénégal
55 ans, DG adjointe d’Ecobank
Son profil peu courant (licence en anglais et diplôme de l’École d’administration et de direction des affaires, à Paris) ne l’a pas empêchée de devenir, en janvier 2012, numéro deux du groupe Ecobank. C’est à cette native de Saint-Louis, au Sénégal, que les directeurs généraux des 33 filiales rendent compte. C’est elle qui veille au maintien de bonnes relations avec les autorités politiques et financières de chaque pays d’implantation. « Cela signifie trois semaines de voyage sur quatre », affirme cette ancienne cadre de Citigroup.
Salwa Akhannouch, Maroc
PDG d’Aksal
La fondatrice du florissant groupe de distribution Aksal n’aime pas qu’on aborde le lien entre sa réussite et celle de son mari, Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et propriétaire d’Akwa Group. Négociatrice dure en affaires, elle s’est forgé une réputation en attirant au Maroc les grandes marques de luxe et en menant des projets ambitieux comme le Morocco Mall, gigantesque centre commercial casablancais. Reste que la carrière de cette manageuse coquette – qui refuse de se laisser photographier – a bénéficié sans conteste de l’entregent de son mari, mais aussi de sa famille : elle est la petite-fille du célèbre homme d’affaires berbère Haj Ahmed Belfiqih, qui a fait fortune dans le commerce de thé.
Saïda Karim Lamrani, Maroc
66 ans, vice-présidente de Safari
Fille de Mohammed Karim Lamrani, qui fut Premier ministre à plusieurs reprises sous Hassan II, elle siège à la direction du holding familial, l’un des plus importants du pays. Mais son influence s’étend au-delà. Elle a ainsi occupé le poste de vice-présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et est coprésidente du Club des chefs d’entreprises France-Maroc, qui a reçu en grande pompe le président François Hollande lors de sa visite officielle, le 4 avril.
Droit de réponse de Martine Coffi Studer
La fondatrice de l’agence de communication Océan, Martine Coffi Studer, indique qu’elle n’a pas été citée au sens juridique lors du procès de la filière café- cacao. Son nom a été mentionné parce qu’elle détenait un compte bancaire utilisé dans le cadre d’une campagne de communication au profit de l’autorité de régulation du café et du cacao.
Martine Coffi Studer, Côte d’Ivoire
52 ans, PDG d’Océan Ogilvy
Les 25 ans de son groupe de communication, présent dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest, lui feront-ils oublier sa citation dans les malversations liées à la filière café-cacao ? Ministre déléguée à la Communication de 2006 à 2007, Martine Coffi Studer est plus discrète depuis. Mariée à un fidèle collaborateur de Vincent Bolloré (elle siège au sein du conseil d’administration du groupe français), elle a toujours conservé son réseau et joue un rôle actif dans les relations de son pays avec les États-Unis.
Laurence do Rego, Côte d’Ivoire
48 ans, directrice financière d’Ecobank
Rentrée au Bénin après vingt ans de carrière en France et aux États-Unis, la Franco-Béninoise est arrivée au sein du célèbre établissement panafricain en 2002. En tant que contrôleuse financière, elle dit avoir eu à combattre « beaucoup de réticences » et n’avoir « pas eu droit à l’erreur ». Aujourd’hui, elle n’envisage pas de quitter Ecobank, qui, selon elle, symbolise à la perfection « ce que les Africains sont capables de construire ».
Sonia Rahim, Algérie
31 ans, directrice du développement d’Alger Médina
Pour intégrer ce gigantesque projet immobilier de 2,5 milliards d’euros visant à changer le paysage visuel d’Alger, Sonia Ziamni – devenue depuis Mme Rahim après son mariage en 2011 avec Abdelwahab Rahim, promoteur et exploitant du projet – a simplement répondu à une annonce en 2008, avant d’être promue fin 2009. Âgée de 31 ans, formée à la comptabilité et au management, elle sélectionne et supervise les entreprises sous-traitantes.
Selma Elloumi Rekik, Tunisie
56 ans, PDG de la Société Cofat Med et de Stifen
Chez les Elloumi, le gout d’entreprendre est une tradition. Avec ses frères, Selma Elloumi Rekik est administratrice du groupe familial, leader dans l’industrie du câblage et présent dans de nombreux pays. Par goût personnel, elle s’investit désormais dans l’agrobusiness, avec 240 ha de production fruitière destinée à la transformation en surgelés.
Nezha Hayat, Maroc
49 ans, membre du directoire de Société générale Maroc
Très attachée à la présence des femmes dans les conseils d’administration, cette banquière a fondé en 2012 le Club des femmes administrateurs au Maroc, alors même qu’elle est devenue la première femme membre d’un directoire en 2007, à Société générale Maroc. Elle s’est par ailleurs impliquée dans le développement de la Bourse de Casablanca au milieu des années 1990.
Donia Hedda Ellouze, Tunisie
53 ans, avocate d’affaires
Cette avocate au Conseil d’État et à la cour de cassation représente les intérêts du financier américain George Soros en Tunisie. Fille d’un haut fonctionnaire et épouse d’un ancien banquier originaire de Sfax, elle est un intermédiaire incontournable entre les investisseurs étrangers et les différents acteurs économiques tunisiens. Elle a mené avec succès de nombreuses négociations en entreprise lors des soulèvements sociaux.
Marie-Andrée Ngwe : « Je suis opposée à l’idée de catégoriser les femmes »
L’avocate pose un regard optimiste sur la situation des femmes en Afrique, particulièrement au Cameroun. Mais des progrès restent à faire.
Née à la Réunion, Marie-Andrée Ngwe a fondé en 1986 le cabinet de droit des affaires de référence au Cameroun. Ngwe & Associés est devenu le partenaire local des plus grandes law firms internationales – Clifford Chance, Gide, Allen & Overy, etc. -, avec lesquelles il intervient sur des grands projets d’infrastructures, de permis pétroliers ou encore de gisements miniers.
Jeune Afrique : Comment expliquez-vous le succès de votre cabinet ?
Marie-Andrée Ngwe : La confiance dont jouit le cabinet est la récompense d’une constance dans le travail depuis de longues années.
Nadia Kettani, Maroc
43 ans, associée chez Kettani Law Firm
Moins connue que son père, Azzedine Kettani, professeur de droit et célébrité du monde de l’arbitrage, Nadia Kettani n’en est pas moins reconnue par ses pairs. L’avocate d’affaires codirige en effet le dernier grand cabinet marocain indépendant. Derniers faits d’armes ? Après avoir conseillé au niveau local les prêteurs internationaux de la centrale électrique de Jorf Lasfar (un deal de 1 milliard d’euros), elle accompagne Vivendi dans la vente de Maroc Télécom.
Souad Benbachir, Maroc
ADG de CFG Group
Pionnière de la banque d’affaires au Maroc, Souad Benbachir a su conserver son influence malgré les difficultés que traverse sa banque d’affaires, CFG Group. Membre du directoire de Risma, la filiale marocaine d’Accor, et patronne du fonds touristique T Capital, elle siège à l’International Advisory Board de l’école de commerce française Essec.
Meriem Bensalah Chaqroun, Maroc
50 ans, présidente de la CGEM
Fille d’Abdelkader Bensalah, fondateur du holding agroalimentaire Holmarcom et figure de l’indépendance, Meriem Bensalah Chaqroun n’en a pas moins mérité ses galons de première femme élue patronne des patrons marocains. D’abord comme chef d’entreprise, à la tête des Eaux minérales d’Oulmès, qu’elle dirige depuis vingt-trois ans et qui est leader de son secteur. Mais aussi pour son sens politique, capable de rassembler au-delà des « grandes familles ».
Valentine Rugwabiza, Rwanda
49 ans, DG adjointe de l’OMC
Depuis sept ans, Valentine Rugwabiza pilote, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’examen des politiques commerciales des États membres, la facilitation des échanges, etc. Membre fondateur de l’Association rwandaise des femmes chefs d’entreprise et de la Fédération rwandaise du secteur privé, cette habile négociatrice a aussi été ambassadrice du Rwanda auprès de l’ONU en Suisse. Elle arrivera au terme de son mandat à l’OMC en août.
Ghita Lahlou, Maroc
46 ans, DG de Saham
Même s’il semblerait que son influence ait un peu diminué après la réorganisation du holding Saham en trois pôles en 2010, la centralienne accompagne depuis près de douze ans la stratégie de croissance du plus dynamique des groupes marocains, dont elle continue de porter les pôles offshoring et santé. Comme son patron, Moulay Hafid Elalamy, elle est une ancienne du groupe ONA.
Wided Bouchamaoui, Tunisie
53 ans, présidente de l’Utica
En Tunisie, le patron des patrons est une femme sans esbroufe. La fille de Hédi Bouchamaoui, pionnier du BTP, se réclame d’une éducation où « la satisfaction de l’argent compte peu au regard de celle d’un travail effectué du mieux possible ». La poignée de main échangée, en mai 2012, avec Houcine Abassi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a scellé un rapprochement sans précédent entre les deux plus puissants syndicats du pays… et fait grincer les dents de certains politiques.
Clare Akamanzi, Rwanda
33 ans, DG du Rwanda Development Board
Entrée au Rwanda Development Board (RDB) en 2008, elle s’est d’abord occupée de la promotion des investissements, avant d’en prendre la direction. Cette femme active, qui aime prendre du recul dès que possible dans la campagne rwandaise, a notamment été négociatrice auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève pour son pays. Bourreau de travail formée en Ouganda, en Afrique du Sud et aux Pays-Bas, elle est une figure incontournable des réunions internationales.
Amina Benkhadra, Maroc
58 ans, DG de l’Onhym
À la tête de l’Office national des hydrocarbures et des mines (Onhym), elle revendique plus de trente ans d’expérience au sein des institutions minières du royaume chérifien. Ingénieure de formation, proche du cercle royal, elle a notamment occupé le poste de ministre de l’Énergie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement entre 2007 et 2012 et est affiliée au Rassemblement national des indépendants (RNI), qui a les faveurs du Palais.
Kaba Nialé, Côte d’Ivoire
51 ans, ministre de l’Économie et des Finances
En fonction depuis six mois, Kaba Nialé est incontournable. Proche d’Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général de la présidence, elle a travaillé avec l’actuel Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, à la fin des années 1990. Technocrate redoutable, elle s’est notamment fait remarquer en mars lors des discussions de la troisième revue du programme économique et financier avec les émissaires du FMI.
Aminata Niane, Sénégal
56 ans, conseillère spéciale du président pour les infrastructures
Nommée en 2000 directrice générale de l’Agence de promotion des investissements et des grands travaux (Apix), elle a supervisé jusqu’en 2012 la plupart des grands projets d’Abdoulaye Wade, parmi lesquels l’aéroport Blaise-Diagne dont elle reste présidente du conseil d’administration. Cette technocrate formée en France et en Angleterre est aussi membre du conseil d’administration d’Atos, groupe coté à Paris. Wade parti, elle a été remplacée à la tête de l’Apix. Mais ses compétences et son carnet d’adresses lui ont valu d’être nommée conseillère spéciale de Macky Sall.
Pascaline Bongo, Gabon
57 ans, administre la fortune de la famille Bongo
Elle n’est certes plus sur le devant de la scène gabonaise, mais l’ancienne directrice du cabinet d’Omar Bongo Ondimba n’a pas pour autant perdu tout son pouvoir. Pascaline Bongo, la soeur aînée d’Ali Bongo, a toujours la main sur Delta Synergie, holding d’investissement actionnaire de nombreuses entreprises, dont BGFI Group et la puissante Compagnie du Komo.
Alizéta Ouédraogo, Burkina Faso
59 ans, présidente de la CCI
À 30 ans, elle était secrétaire dans une agence de l’ONU. Aujourd’hui, Alizéta Ouédraogo est la femme la plus prospère du Burkina. Après avoir fait fortune dans le cuir dans les années 1990, elle s’est lancée dans l’immobilier et les travaux publics. Selon ses détracteurs, son ascension fulgurante coïncide avec le mariage de sa fille et de François Compaoré, frère du président. Elle a pris la tête de la Chambre de commerce et d’industrie en 2011.
Ingrid Awadé, Togo
40 ans, directrice générale des Impôts
Puissante et controversée, Ingrid Awadé appartient au premier cercle de confiance du président togolais. Celle qu’on surnomme la dame de fer s’est notamment fait remarquer en 2006, à sa prise de fonctions, en infligeant de sévères redressements fiscaux aux hommes d’affaires considérés jusque-là comme « intouchables », à l’instar de Ram Shriyan (magasins Ramco) ou du Libanais Bassem El Najar, protégé du frère de Faure Gnassingbé.
Dominique Ouattara, Côte d’Ivoire
60 ans, première dame
Après l’accession de son époux, Alassane Ouattara, à la tête du pays, la femme d’affaires a mis en stand-by ses activités dans le monde du business. Sollicitée sur des questions spécifiques, elle conserve néanmoins une influence considérable à la fois dans les mondes économique et politique. Dominique Ouattara bénéficie d’un cabinet situé dans le quartier de Cocody-Ambassade qui ne désemplit pas lorsqu’elle est présente à Abidjan.
Cina Lawson, Togo
40 ans, ministre des Postes et des Télécommunications
En 2012, Cina Lawson a d’abord été consacrée jeune leader mondial par le Forum économique mondial, puis classée parmi les 20 jeunes femmes les plus puissantes d’Afrique par le magazine Forbes. Cette diplômée de Harvard, qui a été responsable de la stratégie et du développement de France Télécom à New York après un passage à la Banque mondiale, a fait de la démocratisation des TIC (baisse des prix de communication, hausse du taux de pénétration d’internet…) au Togo son leitmotiv.
Avec Jeune Afrique