Tendance Les 25-30 ans peuvent oeuvrer à la diffusion de l’innovation au sein des grands groupes. C’est même nécessaire !
Le changement par les jeunes, porteurs des nouveaux usages numériques, même les sénateurs y souscrivent. Fin avril, une équipe d’étudiants d’Epitech a ainsi enseigné les bases du code à des parlementaires en pleine discussion sur le projet de loi numérique d’Axelle Lemaire.
Outre le mentoring inversé, les initiatives fleurissent dans les entreprises pour que les plus jeunes deviennent des vecteurs de transformation. « Il y a trois ou quatre ans, nous avons vu se mettre en place des “comités jeunes” au sein des organisations, avec l’idée que les talents de moins de 30 ans devaient être considérés comme des forces de proposition mais aussi appréciés comme une source d’impertinence productive », explique Dominique Héron, la vice-présidente de l’Association Jeunesse et Entreprises, qui oeuvre au rapprochement des deux.
Aménager la gouvernance et créer un espace conversationnel
La récente création chez AccorHotels d’un « cabinet fantôme » constitué de cadres de moins de 35 ans est l’une des manifestations de ce qui se joue en ce moment avec cette jeunesse diplômée et prometteuse. L’organe consultatif ne s’est pour l’instant réuni que deux fois, mais l’initiative suscite déjà de nouvelles déclinaisons régionales. La France et l’Allemagne devraient en être dotées d’ici à l’été. « Conseil des sages » des moins de 30 ans pour faire évoluer la grille de lecture du comité de direction d’Adecco en France, « Junior Group » transverse des moins de 40 ans consacré à l’innovation chez Atos, ou « Auditorium » pour que les moins de 30 ans partagent leur vision de l’avenir chez Sandoz, partout, l’objectif est identique. Il s’agit d’aménager la gouvernance pour « créer un espace d’échange avec cette population », diagnostique Antonin Torikian. L’institut FaberNovel, qu’il dirige, est sollicité par les comités exécutifs pour « faire remonter les attentes ou être mis en contact avec ces jeunes qui ont des usages en rupture avec ceux des entreprises traditionnelles ».
Dans un groupe du secteur de l’énergie, les jeunes hauts potentiels ont été sollicités pour partager leurs attentes vis-à-vis de leur entreprise sur des sujets aussi divers que le management, les produits ou les modèles industriels, en se filmant sur leur mobile. Résultat : quarante témoignages – montés par l’institut FaberNovel – qui ont décoiffé le comité de direction, par leur liberté de ton mais aussi leur pertinence. « Les jeunes s’interrogent sur la capacité de l’entreprise à se transformer mais démontrent aussi leur volonté de participer à cette transformation », analyse Antonin Torikian.
A la Compagnie de Phalsbourg, le PDG Philippe Journo l’assure : moins d’un an après la constitution d’un « conseil d’administration des jeunes leaders » unique composé de membres âgés de 23 à 38 ans, « la société a totalement changé ». Le dirigeant, dont le souhait est d’« innover dans l’immobilier », vient de donner son accord à une rallonge de 500.000 euros pour un projet de ferme pédagogique dans un centre commercial. Une idée du board. « Mon sujet n’était pas de les écouter mais de leur donner le pouvoir », affirme-t-il. Tel n’est probablement pas l’objectif des grands groupes comme L’Oréal ou Atos. Mais l’un et l’autre se sont organisés pour s’enrichir de cette sève. Pour la cinquième année consécutive, le géant des cosmétiques enverra en septembre prochain à Ottawa une délégation de moins de 30 ans, au sommet One Young World. Quatre jours de travaux multithématiques et six mois de projet en entreprise. « Ils sont sollicités comme force de transformation et leurs propositions soumises à Jean-Paul Agon », précise Jean-Claude Legrand, le directeur du développement International des RH et directeur corporate Diversités. Un « Conseil des jeunes » est né de ces réflexions dans la filiale indienne et sera dupliqué en Turquie.
Challenges, concours, accélérateurs : multiplier les occasions d’inspiration
Atos, qui recrute un millier de jeunes diplômés par an, a également multiplié les initiatives. Depuis six ans, un « Comité mondial pour le bien-être au travail », détaché des lignes hiérarchiques, est incarné par les moins de 35 ans. « Des contributeurs à la définition du futur », souligne Jean-Marie Simon, le directeur général France. Le concept du « smart campus », lieu de travail souple et hyperconnecté, est plus vendeur qu’un « siège ». Les vrais campus universitaires, Atos n’en est toutefois pas absent. Depuis longtemps, challenges technologiques ou concours de création de nouveaux produits et services lancés auprès des étudiants permettent aux entreprises de réfléchir différemment et leur permettent de tisser des liens avec les universités et les écoles. Les entreprises y trouvent une bonne occasion d’accroître leur notoriété et leur marque employeur. Les accélérateurs de start-up en constituent une autre. SNCF, La Poste, Carrefour, la Société Générale, Total ou encore Allianz s’y essaient déjà. L’idée est de se confronter à des entrepreneurs, hébergés au sein de l’entreprise, sur une durée de quatre à dix-huit mois.
Comme le mentoring inversé, la formule permet de pratiquer de l’intergénérationnel, en particulier lorsque sont constitués des binômes entre startuppers incubés et seniors de l’entreprise. Héberger des jeunes pousses en interne a néanmoins des limites : à force de croiser les startuppers dans les couloirs, l’entreprise peut avoir le mauvais réflexe de les considérer comme des salariés « normaux », soumis aux mêmes process, aux mêmes règles que les autres, annihilant ainsi leurs possibilités d’innovation. Un accélérateur de start-up externalisé peut être préférable pour des entreprises à l’organisation stricte, mais pas réfractaires à l’idée d’innover.
Cocréation et communautés : renforcer les liens
Côté marketing aussi, « les études sont chamboulées par cette population zappeuse qui fait fi de toute relation verticale », explique Lambert Lagrenol, directeur général adjoint de l’institut Enov. La clef de l’innovation passe alors par la communauté, stratégie qui nécessite un investissement important en temps pour l’animation, mais s’avère payante.« Les membres d’une communauté sont engagés, disponibles et capables de délivrer un niveau de créativité surprenant », assure le consultant. La collaboration est d’autant plus fructueuse que ces générations sont affûtées sur l’ensemble des codes marketing. Lambert Lagrevol rapporte que même sans formation, les « digital natives » sont en mesure d’apporter des indications très fines sur la stratégie à adopter, notamment sur le plan de communication. Nécessaire, lorsque l’on apprend de Philippe Roblin, fondateur directeur associé de l’agence Bayadères, que « de nombreuses entreprises ne font plus partie de l’éventail de choix des consommateurs de demain parce qu’elles n’utilisent plus les bons codes ». Pour attirer les visiteurs de moins de 30 ans, le vénérable musée du Louvre a choisi de confier sa chaîne YouTube à trois influenceurs. De son côté, le groupe L’Oréal vient de créer une école de formation des youtubers sur le thème « Beauté de demain ». L’initiative donnera lieu à la diffusion sur la chaîne de la marque, à partir de juin, d’une websérie. Une manière de reprendre en main la communication sur ses produits ?
Avec lesechos