Un coup sec sur la pédale et les mains virevoltent autour de l’étau. La coque d’un côté, l’amande de l’autre. Sous un hangar chauffé à blanc par le soleil du Mozambique, des dizaines d’ouvriers se déhanchent en cadence, comme pris d’une étrange fièvre.
A Nampula (nord), la saison de la noix de cajou touche à sa fin et les usines de transformation tournent à plein régime.
Naguère florissante, la filière mozambicaine a été mise à mal par la guerre civile puis par un plan de “soutien” controversé de la Banque mondiale. Patiemment, le gouvernement de Maputo a redressé le secteur et veut désormais lui rendre sa place parmi les principaux producteurs mondiaux.
L’entreprise Condor Nuts est l’un des artisans de cette ambition. Ouverte il y a dix ans dans la banlieue de Nampula, la principale région productrice de cajou du pays, elle n’en finit plus de monter en puissance, se félicite son patron.
“En ce moment, on traite environ 8.000 tonnes de noix chaque année”, explique Americo Matos. “Notre objectif est de monter rapidement à 10.000 tonnes par an”, poursuit-il, “et en ajoutant notre autre usine, on vise la barre des 20.000 tonnes”.
Dans ses entrepôts, les sacs de noix de cajou brutes, ou anacardes, s’empilent sur plusieurs mètres de haut. Des centaines de salariés – jusqu’à mille au plus fort de l’activité – les cuisent, les ouvrent et les pèlent, le plus souvent à la main.
Cinq à six heures quotidiennes d’un travail de Romain, dans la moiteur et dans le bruit, pour à peine plus que le salaire minimum du secteur, soit 45 euros par mois.
“Nous allons mécaniser certains postes”, promet M. Matos. Il s’agit là d’améliorer les conditions de travail des ouvriers, un peu aussi d’augmenter les cadences de production. “La demande est très forte”, se réjouit-il, “on arrive à vendre toute notre production, l’avenir s’annonce très prometteur”.
“Productivité”
A quelques kilomètres de là, Armando Joaquim Balança confirme volontiers la bonne santé de son activité.
Avec ses 140 cajoutiers, ce petit producteur a réussi l’an dernier à produire 2 tonnes de noix. “Ça m’a rapporté 140.000 meticais (1.850 euros)”, dit-il en se frottant les mains, “j’ai réinvesti la moitié, avec le reste je paie l’école des enfants, la santé”.
Euphorique, il vient de planter 500 nouveaux arbres.
Ces dernières années, la noix de cajou a pris une place de choix dans les assiettes à cocktail occidentales, à côté des pistaches, cacahuètes et autres noisettes. Sa consommation a bondi de 50% depuis 2010 en Europe.
Près de 3 millions de tonnes sont récoltées chaque année sur la planète, notamment en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial avec 725.000 tonnes, devant l’Inde et le Vietnam.
Avec ses 140.000 tonnes, le Mozambique est encore loin du trio de tête. Mais il compte bien le rattraper. “Notre productivité augmente et notre objectif est d’atteindre bientôt le niveau historique de 200.000 tonnes par an”, a récemment annoncé le Premier ministre, Carlos Agostinho do Rosario.
Ce chiffre symbolique avait été atteint dans les années 1970, l’âge d’or du cajou mozambicain. La guerre civile (1977-1992) a mis le secteur à genoux. Et la paix revenue, la Banque mondiale lui a imposé une cure néolibérale qui a failli lui être fatale.
Elle impose alors à Maputo la fin d’une taxe qui finançait l’industrie de transformation locale, convaincue que l’exportation de noix brutes rapporterait plus aux producteurs locaux.
L’échec est cinglant. 10.000 emplois supprimés dans les usines et le revenu de plus d’un million de producteurs en chute libre.
“Débouchés”
“L’idée était de s’assurer que les prix étaient assez hauts pour garantir l’avenir du secteur (mais) il y a eu des difficultés dans la mise en œuvre du plan”, justifie aujourd’hui le patron actuel de la Banque au Mozambique, Mark Lundell.
“Notre but a toujours été de soutenir l’industrie pour maintenir la production puis la faire croître”, ajoute-t-il.
La noix de cajou est donc redevenue aujourd’hui un des fers de lance de l’agriculture. Grâce à son industrie de transformation, qui traite près de la moitié de la matière première produite sur place par quelque 2 millions de producteurs.
“Sans industrie locale, le producteur n’a pas de débouché”, résume Jaime Chissico, de l’Institut gouvernemental de promotion du cajou. “Nous traitons localement beaucoup plus que nos concurrents africains (et) la demande internationale de produits transformés augmente, nous sommes en bonne position.”
Certes, la concurrence est vive avec l’Inde et le Vietnam, mais le Mozambique résiste bien et attire les investisseurs étrangers.
Propriétaire de 1.300 hectares près de Namialo, à 80 km à l’est de Nampula, le Sud-Africain Jan Le Grange a commencé par y planter du soja. Une année trop sèche suivie d’une autre trop pluvieuse l’ont contraint à revoir ses plans.
“Ce fut un véritable désastre”, reconnaît-il aujourd’hui. “Alors j’ai décidé d’essayer le cajoutier. Les prix sont légèrement à la hausse et il semble que la demande mondiale soit forte”.
M. Le Grange vient de planter 30.000 cajoutiers. Et il entend très rapidement tripler la mise. “C’est une occasion en or”.
Avec AFP