Emmanuel Macron a enfin dévoilé son programme. Généreux en mots grandiloquents supposés incarner le changement, Emmanuel Macron affirme vouloir « changer de logiciel » et opérer une « transformation radicale », notamment en matière de transition écologique. Son « nouveau modèle de croissance » ressemble pourtant à ce qui se pratique depuis plusieurs décennies. Un modèle saupoudré de quelques apparentes mesures écologiques, sur la pollution atmosphérique ou les gaz de schiste, qui contredisent les politiques menées par le candidat lorsqu’il était ministre, à peine quelques mois plus tôt. Une analyse pour ouvrir le débat.
Lui qui a longtemps moqué les catalogues de mesures des candidats à la présidentielle est désormais doté d’un programme d’une trentaine de pages regroupant plus d’une centaine de mesures, plus ou moins détaillées, auquel il faut ajouter quarante fiches thématiques en ligne. Soit plus de 150 pages pour un programme qui est ordonné en six grands chantiers, chacun étant « essentiel pour l’avenir de notre pays ». La transition écologique – ou énergétique – ne constitue pas un chantier à part entière.
La transition écologique conditionnée à la croissance
Si le candidat affirme que « le changement climatique nous oblige à repenser notre organisation et nos modes de vie », la transition écologique reste subordonnée à « la modernisation de l’économie », qu’il faudrait libérer « des carcans et des blocages » pour enclencher un « nouveau modèle de croissance ». La double page de mesures consacrée à ce nouveau modèle de croissance est éclairant : aux « dégâts que nous faisons collectivement au climat et à la biodiversité » et à la mise en question de « notre modèle de développement et de production » correspondent une série de mesures qui visent d’abord à améliorer la compétitivité des entreprises, soutenir l’investissement privé, lancer des plans d’investissement et un fonds pour l’industrie et l’innovation.
Sans même être qualifié de « soutenable », « durable » ou « climato-compatible », ce « modèle de croissance » doit simplement être « nouveau ». Les secteurs économiques existants, qu’ils soient innovants ou nocifs, doivent croître, sans que cette croissance ne soit conditionnée à aucun objectif climatique, écologique ou même sanitaire. On retrouve la philosophie de la commission Attali, « pour la libération de la croissance », installée en 2008 par Nicolas Sarkozy dont Emmanuel Macron était rapporteur général adjoint, ou encore celle de la Loi Macron, votée en juillet 2015, qui visait déjà à « accélérer les grands projets » ou « simplifier le droit de l’environnement ».
Améliorer la compétitivité des entreprises
De la commission Attali à Bercy, en passant par le secrétariat général de l’Élysée, Emmanuel Macron baigne donc dans ce monde politique et économique qui n’est pas prêt à renoncer à la sacro-sainte croissance du PIB, seule juge selon eux du bienfondé d’une politique. C’est d’ailleurs le seul candidat de la présidentielle à soutenir l’accord de libéralisation du commerce et d’investissement entre l’Union européenne et le Canada (Ceta), alors qu’un récent rapport du ministère de l’Environnement confirme qu’il n’est pas compatible avec l’Accord de Paris sur le climat. Ses principaux conseillers économiques, les économistes Philippe Aghion, Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi, sont d’ailleurs des économistes orthodoxes dont les recettes libérales conduisent à sacrifier le social et l’écologie sur l’autel de la compétitivité des entreprises et du désiré retour de la croissance.
Il n’est pas étonnant qu’Emmanuel Macron, qui se présente comme l’un des inspirateurs du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), envisage alors de pérenniser le dispositif en le transformant en « allègements de charges pérennes ». Pas étonnant non plus que cette mesure se trouve aux côtés de la réduction de l’imposition des entreprises privées – l’impôt sur les sociétés passerait de 33,3 % à 25 % – comme deux des mesures clefs de ce « nouveau modèle de croissance ». Si le CICE a peut-être amélioré la compétitivité des entreprises – le CAC40 a versé en 2016 un montant record de dividendes –, rien n’indique comment ces mesures pourraient contribuer à relever les défis écologiques et sociaux.
Le nucléaire, un horizon indépassable ?
A ces deux mesures chiffrées s’ajoute bien la volonté de consacrer 30 % du « grand Plan d’investissement de 50 milliards d’euros » à la transition écologique. Mais aucune précision n’est apportée sur ce qui doit être financé, et comment. Aucune des cent mesures du programme « grand public » n’explicite d’ailleurs comment le candidat souhaiterait donner plus d’ambition aux insuffisants objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre au niveau européen et mettre en œuvre la transition énergétique à l’échelon national. L’avenir du secteur énergétique français, qu’il soit nucléaire, fossile ou renouvelable, n’apparait pas être un des éléments structurants du programme quinquennal d’Emmanuel Macron.
Sur le nucléaire, l’ancien locataire de Bercy, qui a toujours soutenu l’EPR d’Hinckley Point et les stratégies ruineuses d’EDF et Areva en mobilisant 6 milliards d’euros d’argent public pour les recapitaliser, manie d’ailleurs l’ambiguïté. « Je n’ai jamais considéré que le nucléaire était une maladie », vient-il de déclarer lors d’un meeting à Caen, refusant d’envisager une sortie progressive de l’atome [1]. Le site du candidat reprend pourtant l’objectif fixé par la loi de transition énergétique (LTE) d’un maximum de 50 % de nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2025, contre 75 % aujourd’hui.
Selon Greenpeace, un tel objectif impliquerait de fermer 21 à 23 réacteurs d’ici à 2023 [2]. Hormis la fermeture de Fessenheim qui doit être « confirmée », le programme – papier et web – du candidat ne donne aucun échéancier. Comme s’il était possible d’atteindre l’objectif d’un maximum de 50 % de nucléaire sans fermer de réacteurs. Et comme si fermer de si nombreux réacteurs, et les emplois qui les accompagnent, n’impliquait pas un vaste plan de reconversion industrielle, des financements adéquats et quelques précisions d’un candidat à la plus haute fonction de l’État.
Quand Macron le candidat contredit Macron le ministre
Du côté des énergies renouvelables, dont le déploiement massif nécessite d’ailleurs une planification organisée de la fermeture des centrales nucléaires, Macron prévoit de tenir les objectifs de la loi LTE (32 % du mix électrique en 2022 contre à peine 15 % aujourd’hui) en encourageant « l’investissement privé pour mobiliser 30 milliards d’euros d’investissements ». Pour cela, l’État se limitera donc à « raccourcir et simplifier les procédures », et à « focaliser les efforts de recherche et d’investissement des opérateurs sur le stockage de l’énergie et les réseaux électriques intelligents ». Un peu court.
Évoquée sur le seul site du candidat, la « sortie des énergies fossiles », lesquelles représentent toujours plus de 65 % de la consommation d’énergie finale française (et non la moitié comme il est écrit) se traduit en trois mesures concrètes : la fermeture des dernières centrales à charbon (à peine 2 à 3 % de la consommation d’énergie finale), « l’interdiction de l’exploration des gaz de schiste » et le refus de délivrer de nouveaux permis d’exploration d’hydrocarbures. Mais qui faut-il croire ? Le candidat ou le ministre qui, en septembre 2015, avait obtenu que cinq permis de recherche d’hydrocarbures soient signés (Champfolie en Seine-et-Marne, Herbsheim dans le Bas-Rhin et d’Estheria dans la Marne) ou prolongés (Bleue Lorraine en Moselle et de Juan de Nova dans les terres australes et antarctiques françaises) à la veille de la COP 21 ? D’autre part, pourquoi vouloir continuer à financer la recherche sur le sujet [3] pour des hydrocarbures qu’il ne faudrait pas exploiter ?
Pollutions, Diesel, Notre-Dame-des-Landes : tout et son contraire
De même, faut-il faire confiance au ministre qui affirmait que le diesel devait « rester au cœur de la politique industrielle française », ou bien au candidat qui veut « réduire massivement la pollution liée aux particules fines » ? Par un coup de baguette magique, le programme annonce une division par deux (pourquoi deux ?) du nombre de jours de pollution atmosphérique. A Bercy, Emmanuel Macron avait signé un accord très favorable aux sociétés autoroutières en avril 2015 et préféré libéraliser le transport par autocar là où un ministre préoccupé par la santé de ses concitoyens et les défis climatiques aurait mis tout son poids pour appuyer le développement de transports en commun locaux et une desserte ferroviaire adaptée, modernisée et moins chère.
Du flou persiste également à propos d’un des conflits emblématiques du quinquennat Hollande : l’aéroport de Notre-Dame des Landes. « Le peuple s’est exprimé, je suis pour respecter cette décision », déclare-t-il tout en précisant le lendemain qu’il souhaite nommer un médiateur qui aurait six mois pour trouver une solution. D’autres grands projets d’infrastructures de transports, bien que fortement controversés pour leurs coûts et leurs impacts sur les territoires, tels que la LGV Bordeaux-Toulouse et le Lyon-Turin seront menés à bien. Tandis que le programme du candidat ne permet pas de savoir si « le renouveau minier » qu’il promettait quand il était à Bercy, l’ayant conduit à autoriser l’extraction de sable marin en baie de Lannion en dépit de l’opposition locale, sera poursuivi.
Aie confiance…
Si le programme de 18 pages indique vouloir « placer la France en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens », c’est en fouillant sur le site du candidat qu’on obtient des précisions : l’interdiction des perturbateurs endocriniens est conditionnée à « l’existence de solutions scientifiquement reconnues comme moins toxiques ». Autrement dit, les lobbies industriels, dont on connaît les capacités à instrumentaliser des recherches scientifiques pour faire douter de la pertinence des solutions alternatives, pourront manœuvrer en coulisses pour maintenir un statu quo injustifiable. Ce n’est guère étonnant de la part d’un candidat plus enclin à défendre les intérêts des industriels que le principe de précaution (voir notre enquête), qui souhaite poursuivre la recherche sur les OGM plutôt que fixer un objectif vraiment ambitieux de produits bio et locaux pour la restauration collective.
Difficile donc de voir dans le programme d’Emmanuel Macron ce qui pourrait justifier de présenter la transition écologique comme une priorité tant les mesures semblent manquer de précision, de cohérence entre elles et ne pas s’inscrire dans une perspective de véritable transformation. Au moment où la transition écologique s’inscrit au cœur des logiciels et des débats à gauche, comme le montrent les programmes de Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon, Emmanuel Macron et son aréopage de soutiens disparates semblent accuser un retard de plusieurs longueurs.