Jordan Casey a déjà créé deux sociétés. Il est la coqueluche des conférences internationales.
Appuyant ses propos par ses gestes, Jordan Casey ménage son effet. « A 23 ans, j’aurai dix ans d’expérience professionnelle. » La formule déclenche les rires de la salle. Il avait en effet 13 ans en octobre 2012, lorsque son avocat a immatriculé Casey Games, la start-up dont il est P-DG et programmeur. Gilet à capuche, jean et baskets, l’adolescent irlandais se tient droit. Il maîtrise l’art du discours, n’a plus le trac comme à ses débuts. Seules ses joues constellées de taches de rousseur rougissent quand les applaudissements fusent. A cela, la cinquantaine de conférences auxquelles il a participé en Europe, aux Etats-Unis ou en Inde et les trois pages qui composent son curriculum vitae ne changent rien.
La première fois qu’il est monté sur scène, c’était en France, lors du festival de la créativité Cannes Lions. Jordan est alors le plus jeune créateur d’applications en Europe. Son jeu pour iPhone « Alien Ball vs Humans » se classe en tête des ventes de la plateforme irlandaise d’Apple quand ses parents reçoivent un e-mail. Leur fils aîné est convié à une conférence sur la Côte d’Azur. Louise et Clyde Casey croient à une plaisanterie. Mais un chauffeur se présente bien dans leur rue d’un quartier résidentiel juché sur la colline de Waterford. Dans l’assistance, Louise ne reconnaît pas son petit garçon qui s’exprime avec une aisance déconcertante. Lui d’ordinaire si timide, toujours rivé à son écran d’ordinateur, disserte sur sa passion pour la programmation informatique devant des centaines d’inconnus.
SI JORDAN ENRAGE DE NE PAS ÊTRE MAJEUR, IL ADMET QUE SA JEUNESSE EST UN ACCÉLÉRATEUR DE NOTORIÉTÉ
Jordan Casey veut aujourd’hui fusionner ses deux sociétés. Outre Casey Games et ses cinq jeux vendus sur l’App Store, il a créé TeachWare, une application Internet pour aider les enseignants de l’école primaire à gérer les informations sur leurs classes… L’idée lui est venue quand sa maîtresse a perdu l’épais livre noir dans lequel elle consignait les absences et les notes de ses élèves. Elle fut parmi les premières à s’inscrire sur TeachWare, comme 1 500 autres enseignants dans le monde. Jordan travaille désormais sur un système informatique complémentaire destiné aux directions des établissements, payant cette fois. Pour l’instant, les ventes de ses produits – il touche 70 % sur chaque application vendue 89 centimes – lui ont rapporté « quelques milliers d’euros ». Il a d’abord reversé 10 % de ses revenus à une association de son quartier qui aide les enfants malades du cancer. Et il a utilisé le reste pour rembourser les frais d’hébergement de ses sites sur Internet et pour rémunérer un employé à temps partiel pendant sept mois. Le salarié, un graphiste rencontré sur Internet, est plus âgé que le boss. De quelques mois : il a 16 ans. Si Jordan enrage de ne pas être majeur, de ne rien pouvoir signer seul, d’être rarement pris d’emblée au sérieux, il admet que sa jeunesse est un formidable accélérateur de notoriété. Combien de patrons n’oseraient même pas rêver de lire leur portrait dans le «Wall Street Journal», «El Pais», le «New York Times», ou de passer sur CNN et la BBC ? Combien sont-ils à pouvoir se targuer, comme lui, d’aller à Bruxelles conseiller la Commission européenne sur sa politique numérique ?
Jordan est conscient d’avoir encore des progrès à faire. « Je développe des dizaines de projets sans les mener à bien. Comme j’écris sur Twitter que je travaille sur tel ou tel truc, il m’est déjà arrivé que d’autres reprennent mes idées. Plus grand, il faudra que je réussisse à me concentrer sur un seul site et à ne pas en parler trop tôt. » Il réserve à plus tard la quête de business angels. Des grands noms américains de l’Internet lui ont proposé leur soutien, comme Google ou Facebook qui, attirés par une politique fiscale attractive, sont établis en Irlande. « J’irai passer du temps dans leurs bureaux l’an prochain », assure Jordan. En effet, s’il a levé le pied en ne travaillant sur ses entreprises qu’une heure par jour pour se consacrer à son « Junior certificate », il commencera en septembre une année de transition, optionnelle en Irlande. Il profitera d’un allégement de ses cours pour « travailler aussi dur que possible » au développement de ses applications. Il est déjà invité à une conférence à Boston en juillet, à une autre en Australie en septembre. Il n’a pas encore décidé s’il ira à l’université après le lycée. Ensuite, lui aussi quittera l’Irlande.
avec lentrepreneuriat