A la tête d’une multinationale du Bâtiment et des Travaux publics, et numéro 1 européen des échafaudages, Mohed Altrad a reçu le 7 juin le prix mondial de l’entrepreneur de l’année, décerné par le cabinet EY – ex Ernst and Young. Une première pour un patron français. Portrait.
« Mohed Altrad, c’est cet homme né dans le désert syrien qui ne connaît pas sa date de naissance et qui a fait fortune ? » Aussi impressionnant que soit son parcours professionnel d’entrepreneur et d’homme d’affaires, quand on parle du Pdg d’Altrad, c’est toujours de sa vie personnelle dont il est question avant tout. Il faut dire qu’elle intrigue. L’homme sait cultiver le mystère. Il distille au compte-gouttes les informations sur sa vie. Mais il se plaît à répondre à la question qui ne manque jamais d’être posée : « Où et quand êtes vous né ? ».
Tantôt grave, tantôt souriant et léger, toujours modestement, il répond ce qui a été 100 fois écrit et le sera 100 fois encore : « En 1948 ou en 1951 ou aucune de ces deux dates… J’ai une soixantaine d’années, plus ou moins, je suis né dans le désert syrien, dans une tribu nomade. Chez les bédouins, vous savez, il n’y a pas d’état civil. »
Dans le désert
Ses premières années, il les vit dans le désert, où il n’y a que le sable et les pierres pour seuls repères. Sa soif d’apprendre le pousse à parcourir les kilomètres qui séparent sa tribu de la première école. Il est repéré par un instituteur qui l’envoie au lycée de Raqqa, la grande ville la plus proche, aujourd’hui capitale de l’organisation Etat islamique. Le teint halé, cheveux denses portés courts, Mohed Altrad est arrivé en France dans les années 1970 à la fortune d’une bourse d’étude décrochée en Syrie après avoir obtenu son baccalauréat.
Il a environ 17 ans quand il pose les pieds pour la première fois sur le sol français. La France, ce pays qu’il a appris à aimer, « ce merveilleux pays que je respecte tant » et à qui il a dédié son prix d’entrepreneur de l’année. La France qui ne l’attendait pas et où il a dû se faire sa place. Objectif atteint.
Un entrepreneur, un groupe
Ingénieur, il complète sa formation à Paris par un doctorat en informatique. C’est chez Alcatel que Mohed Altrad débute sa carrière en 1975, puis chez Thomson avant de se lancer dans l’entreprenariat en 1984 en créant une société produisant des ordinateurs portables. Il la revendra un an plus tard à Matra. La même année, à la barre du tribunal de commerce, il achète la première entreprise de son futur groupe. Il s’agit d’une fabrique d’échafaudages en faillite – secteur auquel il ne connaît rien -, située à Florensac dans l’Hérault, sur les bords de l’étang de Thau, à une cinquantaine de kilomètres de Montpellier.
Rapidement, l’entreprise est remise sur pied, les premiers bénéfices sont dégagés. En vingt-cinq ans, le groupe est devenu un acteur majeur sur le marché du matériel pour le bâtiment, de la production à la distribution. Altrad est aujourd’hui numéro 1 mondial des bétonnières et numéro 1 européen des échafaudages. Dernière pierre posée, une pierre tremplin: en mars dernier, Mohed Altrad s’est offert l’un de ses concurrents pour 232 millions d’euros : le groupe néerlandais Hertel et ses 70 filiales. Une acquisition qui permet au groupe Altrad de doubler d’envergure, avec un chiffre d’affaires consolidé de 1,6 milliard d’euros pour 170 filiales, et 17 000 salariés à travers le monde. En mars dernier aussi, Mohed Altrad a fait son entrée dans le classement mondial Forbes des milliardaires.
Mille et une vies
« Mais comment fait il ? » C’est l’autre question souvent posée quand il s’agit de Mohed Altrad. Il n’a pas d’assistant, pas de secrétaire, une vie de famille – il a 5 enfants -, pas de bureau dans une tour clinquante. Il travaille chez lui à la Bergerie, à Montpellier. Pour le joindre, un simple mail : « Pour communiquer, il faut les circuits les plus courts possibles », explique le roi de la bétonnière. Lui ne s’embarrasse pas de superflu, il aime aller à l’essentiel. L’entreprise ? Son groupe ? Une communauté d’hommes autour de valeurs. C’est important les valeurs, bien plus que l’argent, à l’entendre. C’est le ciment qui permet au groupe de subsister, alors que d’autres, entrepreneurs comme lui, ont été trop pressés de vendre. De leur entreprise il ne reste rien.
Mohed Altrad, lui, a construit comme un empire. Incognito, ou quasiment, jusqu’au rachat en 2011 du club de rugby de Montpellier. Un ancrage, un de plus, dans la ville dont il a fait le berceau de sa nouvelle vie d’homme. Un moyen de donner de la visibilité à son groupe, d’être vu et reconnu ? Le stade porte son nom. L’affaire est en tout cas gérée d’une main de maître. Au bord de la faillite en 2011, le club est sain aujourd’hui financièrement, sinon sportivement.
Mohed Altrad dort peu : 3 ou 4 heures tout au plus. Le soir, la nuit, il traite ses mails, il écrit.La promesse d’Hannah, publié chez Actes Sud en 2012, dix ans après son premier roman,Badawi, bédouin en arabe, un récit largement autobiographique qui parle d’exil, des origines, du désert… du sable, du ciel. Et de Dieu.
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