Le Conseil présidentiel pour l’Afrique a rassemblé plus de 200 personnes dans les locaux de l’Agence Française de Développement (AFD), autour d’Hervé Berville, député LREM, Pierre de Gaëtan Njikam, proche d’Alain Juppé, adjoint au maire de Bordeaux ou encore Didier Acoutey, président d’AfricSearch, entre autres panélistes de marque. Parmi l’assistance, on a pu croiser le discret Franck Paris, « Monsieur Afrique » de l’Elysée ou encore Elie Nkamgueu du Club Efficience.
« Les membres du CPA disent des choses au président de la République qu’il n’entend pas par ailleurs, et c’est extrêmement précieux » a introduit Rémy Rioux, DG de l’AFD, légitimant une organisation qui, faute de communication, apparaît opaque pour nombre d’observateurs.
« Nous ne célébrons pas le CPA (…) ni le colonialisme 3.0 mais le renouveau des relations entre la France et les pays d’Afrique. Ce renouveau n’est pas un mot vide (de sens) et le CPA n’est pas non plus une coquille vide » a précisé Jules-Armand Aniamboussou, le coordinateur du CPA devant un amphithéâtre comble. Visiblement irrité par le traitement du CPA dans les médias, il poursuit : « Le CPA n’est pas un fan-club de courtisans, ni un cénacle d’intrigants, ni une plante verte ou une institution d’obsolescence programmée (…) Nous ne remontons pas de petits papiers sur les uns ou les autres et nous ne marchons pas non plus sur les platebandes des Ambassadeurs (…) Personnellement, je commence à être sérieusement agacé par le fait que je ne serais que l’ami d’Emmanuel Macron».
S’il confirme que le CPA n’est « pas un groupe d’experts en communication, en dehors d’Elisabeth Gomis » (NDR : journaliste à Radio Nova), il insiste néanmoins sur l’implication de ses membres issus de la société civile, dont l’engagement reste bénévole. Le coordinateur a ensuite appelé les étudiants présents dans la salle, à exprimer leurs points de vue sans détour sur les relations entre la France et l’Afrique « Lâchez-vous ! » a-t-il lancé : un conseil suivi des faits…
Haro sur l’augmentation des frais de scolarité !
Deux questions prioritaires ont animé les débats : les visas et l’augmentation des tarifs dans l’enseignement supérieur. Lors des dernières rencontres universitaires de la francophonie, Edouard Philippe avait dévoilé sa stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux avec l’objectif d’en attirer 500 000 d’ici 2027, contre 325 000 aujourd’hui. L’augmentation des tarifs d’inscription associée à cette nouvelle stratégie, perçue comme une sélection par le « porte-monnaie » n’en finit pas de courroucer les étudiants africains. En effet, les tarifs passeront de 170 euros à 2 770 euros pour la licence, de 243 euros à 3 770 euros pour les Masters et de 380 euros à 3 770 euros pour le Doctorat. « Comment expliquer une telle augmentation ? » lance un étudiant. « Cette décision sera préjudiciable aux Africains » renchérit un second. « L’une des principales raisons de l’attractivité française reposait sur le faible coût des études» signale un troisième. Cette augmentation qui pourrait bien fragilisé le soft power français reposant en partie sur la francophonie, ne serait que « le résultat d’un gouvernement qui cherche de l’argent partout, sans prendre en compte les conséquences » explique Thierry Sibieude, Directeur Général Afrique de l’ESSEC. « Les échanges ont été vifs sur la question» a réagi Elisabeth Gomis du CPA qui promet de : « transmettre toutes – ces – observations » en haut lieu.
Le nombre d’étudiants dans le monde, ne cesse d’augmenter depuis 10 ans et devrait atteindre 9 millions en 2025. Cet afflux de « matière grise » représente également des retombées économiques significatives. A ce jour, les étudiants étrangers rapporteraient près de 4.65 milliards d’euros par an selon Campus France, pour un coût supporté de 3 milliards d’euros par l’Etat.
Une attractivité française en perte de vitesse
Autre constat récurrent de cet après-midi d’échange : la baisse de l’attractivité française. Amobe Mevegue, journaliste et producteur se saisissant du micro, n’a pas masqué ses inquiétudes : « La France perd pied dans l’inconscient collectif africain (…) en tant que Noir, on est toujours assigné à justifier son statut en France! La prochaine génération ne vous suivra pas… » En qualité de membre du CPA et visiblement piquée au vif, Elisabeth Gomis renchérit : « Moi-même, en tant que journaliste, on ne m’a longtemps proposé que des sujets sur les banlieues ou les footballeurs. Il faut construire une nouvelle image qui passera par les médias. » A bon entendeur…
Abdelkrim dans le public, monte d’un ton : « L’Afrique a changé et la France ne s’en est pas rendu compte. Je m’interroge : pourquoi ce divorce ? (…) Je constate en tous cas, qu’en Afrique francophone : on est les derniers en tout » a-t-il déclaré sous les rires des étudiants. De son côté, Andréa 18 ans, étudiante ivoirienne récemment intégrée à Science Po est lasse des a priori français qui collent aux étudiants africains et ternissent l’image de l’hexagone: « C’est dur de partir de chez nous. Les Français doivent arrêter de penser que les Africains veulent rester ici car c’est faux ! Nous voulons rentrer car l’Afrique a des besoins auxquels nous voulons répondre.»
Selon Campus France, l’organisme de promotion de l’enseignement supérieur à l’étranger, l’hexagone campe actuellement la 4ème position des pays les plus attractifs pour les étudiants étrangers et la 1ère place des pays non anglophone (+4,5 % par rapport à 2017). Toutefois, en dépit d’un récent rebond, la France a vu le nombre de ses étudiants étrangers baisser de 8,1% sur la période 2010-2015 et l’augmentation des tarifs universitaires pourrait venir renforcer cette tendance. En effet, à ce jour, 46% des étudiants internationaux viennent d’Afrique et 70% d’entre eux sont inscrits dans les universités françaises aussi, la nouvelle grille tarifaire menace d’une part les ambitions de la France de reprendre sa 3ème place à l’Australie, et pourrait d’autre part la relayer derrière un Canada de plus en plus attractif…
Faciliter l’obtention des visas entre la France et l’Afrique
Enfin, la sempiternelle question du déverrouillage des visas était également à l’ordre du jour. « Il n’est pas normal que les Africains rencontrent autant de difficultés pour obtenir des visas pour la France » interpelle un jeune Camerounais dans l’assistance, tandis qu’un panéliste français explique avoir lui-aussi rencontré des problèmes d’obtention de visa à son arrivée au Kenya. « S’il est difficile d’obtenir un visa pour le Kenya, il m’a été également difficile d’obtenir un visa pour la France. On n’est pas dans le win-win mais dans le lose-lose » répond Yvonne Mburu la kenyane du CPA, qui indique néanmoins que l’accueil au niveau des consulats et des ambassades françaises à l’étranger gagnerait à être amélioré…
De son côté, Charles 24 ans, en dernière année d’ESSEC revient sur son stage en Afrique : 5 mois au Maroc et 1 mois en Côte d’Ivoire. Ravi de cette expérience qui confirme son attrait pour le continent, il a toutefois eu maille à partir avec les autorités locales dans le cadre du renouvellement de son visa. « Je suis rentré au Maroc avec un visa touristique, mon école m’ayant assuré que la situation serait régularisée dans les 3 mois. Finalement, au moment de l’expiration du visa, je me suis retrouvé dans une petite salle au sous-sol du tribunal de Rabat. Photos, prise d’empreintes, j’encourais jusqu’à 2 ans de prison, une amende et un casier judiciaire car l’école n’avait pas réglé la situation… C’est grâce au procureur que j’ai obtenu un laissez-passer pour sortir du territoire. » A la question de son arrivée avec un simple visa touristique, il répond laconique : « La procédure réglementaire est longue, coûteuse et incertaine car elle passe par un prestataire externe »…
Et que dire des procédures de visa particulièrement exigeantes en Afrique du Sud, à l’origine de polémiques qui ont conduit l’administration à externaliser leur traitement, sur fond de scandale politique et de drames familiaux…
Entre l’épineuse question des visas, la perception altérée des attentes que nourrissent les étudiants africains et la remise en question des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, le CPA parviendra-t-il à susciter l’intérêt de l’Elysée, pour ces doléances qui globalement, agitent les débats sur la relation franco-africaine depuis plusieurs décennies ?
Source : La Tribune Afrique