Dans les répercussions de l’affaire Jamal Khashoggi et l’avenir du prince héritier, premier responsable de son assassinat, ainsi que l’avenir de l’Arabie Saoudite, deux signes importants méritent qu’on s’y arrête :
Le premier est que l’implication des services de sécurité israéliens et des Émirats Arabes Unis, et peut-être de certaines branches d’agences américaines, dans l’opération est quasi certaine.
Le second est le démarrage de vastes consultations internationales réunissant, d’une part, les Etats-Unis, la Russie et l’Europe, et d’autre part, la Turquie, l’Iran et Israël. Elles concernent les modalités de gestion du dossier saoudien et l’avenir du royaume sans qu’il n’y ait de pertes ni un effondrement économique, sécuritaire et politique dans une région extrêmement sensible et importante, surtout en l’absence d’une alternative viable au régime saoudien et sa situation actuelle avec laquelle il est difficile de cohabiter. Ce régime, après avoir perdu sa capacité à jouer des rôles régionaux, est dans sa phase agonisante. La vague mondiale lancée, telle une boule de neige, pour exiger l’isolement et la sanction de l’Arabie Saoudite, allant même jusqu’à la criminalisation des relations avec le royaume, est difficile à contrôler.
Israël, dont la sécurité revêt une grande importance pour Washington, est le plus grand perdant de la perte de l’aura qui a entouré le règne saoudien pendant des décennies, et de son incapacité à tenir ses promesses de rallier un partenaire palestinien à l’accord du siècle et à former une alliance arabo-israélienne face à l’Iran. Viennent ensuite les Émirats Arabes Unis qui ont accordé une grande partie de leur position à la montée en puissance du prince héritier d’Arabie Saoudite. Les changements radicaux introduits par le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed bin Zayed, dans la manière dont les EAU évoluent au sein de l’équilibre régional et dans leur position particulière teintée de modération au cœur de cet équilibre, en font le fer de lance dans la coopération américano-saoudo-israélienne.
Washington, qui a lourdement investi sur la position de Mohammed bin Salman en misant sur son rôle financier et politique majeur, et avec le recul des politiques américaines dans la région face au rôle croissant et s’élargissant de la Russie et de l’Iran, se trouve entre deux choix difficiles :
- ignorer le fait que Bin Salman est fini et que rien ne pourra épargner l’Arabie Saoudite des prochaines secousses.
- l’impossibilité de laisser les choses évoluer en l’état et sans encadrement pour contrôler les changements et prévenir les surprises qui pourraient impacter le marché pétrolier ou l’équilibre régional, ou même les éventuelles options suicidaires que bin Salman, ressentant son sombre destin lui échapper, pourrait envisager et entreprendre.
En contrepartie, l’Iran, et par ricochet le Yémen, le Qatar, les Palestiniens et les Bahreïnis, se tiennent aux premières loges des bénéficiaires de cette courbe descendante successive de la position du règne saoudien. L’opposition saoudienne se trouve au premier rang des bénéficiaires, et tous s’inscrivent sur la liste des prétendants aux accords qui assurent leur participation, leur assentiment ou leur agrément, au cas où un plan de transition est adopté par les grands acteurs, Washington et Moscou en particulier …
Tandis que la Turquie et la Russie, et dans une moindre mesure la Chine, sont les parties inévitables avec qui il faut s’entendre sur un plan de transition qui permette le passage en douceur du royaume d’une situation à une autre. Washington réalise que toute intransigeance pour éviter ces partenariats et pour s’arroger le droit exclusif à gérer et contrôler le processus saoudien entraînera des désastres.
Dans ce processus, l’Europe se situe à mi-chemin entre la boule de neige anti-saoudienne de l’opinion publique mondiale et les pressions qu’elle exerce, et le jeu des intérêts qui l’oblige à rechercher une position et un rôle à travers la participation à la prochaine transaction saoudienne.
Avant même l’avenir de la solution politique en Syrie, le sort de l’Arabie Saoudite sera le thème principal du sommet quadripartite qui sera accueilli par la Turquie le 27 octobre et réunira la Turquie, la Russie, la France et l’Allemagne. Le sort de l’Arabie Saoudite sera le plat de résistance sur la table des présidents russe et américain au sommet de Paris. Le sort de l’Arabie Saoudite fera que les Etats-Unis aborderont le 4 Novembre, date de l’entrée en vigueur du soi-disant paquet de sanctions étouffant contre l’Iran, avec une certaine rationalité et maturité, que ce soit en raison du consentement mondial limité face aux sanctions, ou en raison de la nécessité de négocier indirectement et secrètement avec l’Iran, afin de faciliter la transition sur laquelle le navire américain s’amarrera quant à l’avenir de l’Arabie Saoudite, en coordination avec la Russie, la Turquie et l’Europe.
Avec reseauinternational