Vous n’avez pas les moyens de doper le salaire de vos bons éléments ? Quelques gestes permettront de les faire patienter.
Vous n’avez pas les moyens de doper le salaire de vos bons éléments ? Quelques gestes permettront de les faire patienter.
A l’école, Pierre ne roulait pas pour l’argent de poche. Ses 18 en maths, il les décrochait plutôt pour les bons points que la maîtresse lui remettait devant toute la classe. Pierre a fait du chemin. Il est maintenant consultant junior chez Accenture France. Mais il collectionne toujours les bons points que lui donne… son patron. «J’en ai environ 600, qui valent près de 500 euros. Je pourrais les échanger contre un appareil photo numérique, mais je préfère attendre d’en avoir assez pour une télé plasma», s’amuse-t-il.
Depuis deux ans, les chefs de service de la société de conseil disposent ainsi d’un quota de «points de reconnaissance», dans lequel ils puisent chaque fois qu’ils veulent récompenser un membre de leur équipe. Ce dernier peut ensuite troquer ses points contre l’un des 500 articles de l’e-boutique d’Accenture, consultable sur l’intranet. «Les jeunes adorent. C’est un complément ludique aux primes traditionnelles», assure Frédéric Watine, responsable des ressources humaines.
Un complément ou un substitut ? Dans la conjoncture actuelle, pour le moins incertaine, la plupart des entreprises cherchent à limiter les augmentations de salaire. Comme à chaque période de crise ? Oui, sauf que, cette fois et c’est une première l’austérité salariale survient à un moment où le taux de chômage des cadres est très faible (moins de 4%), notamment à cause des départs en retraite massifs des papy-boomers.
Conséquence : les salariés qui s’estiment injustement sevrés sur le plan salarial ne sont pas pris en otages. Ils risquent d’aller voir ailleurs. Et leurs managers se heurtent à une équation complexe : inciter les bons éléments à rester et à s’investir, sans moyens financiers supplémentaires. Insoluble ? «Pas vraiment, rassure Gérard Silve, du cabinet de conseil en rémunération Towers Perrin. Les dirigeants ont tendance à l’oublier, mais il existe d’autres leviers de motivation que l’argent.»
Bien sûr, ces méthodes ne fonctionnent qu’un temps (un an normalement, deux si vous êtes très rusé), mais c’est déjà ça de gagné. Première d’entre elles, les conditions de travail. Dit ainsi, cela fait un peu revendication d’employé de la Sécu mais, quand on passe huit heures par jour derrière un bureau, une amélioration du cadre de vie peut valoir augmentation. Attention, il ne s’agit pas d’offrir une tournée générale de plantes vertes. Mais plutôt de repérer les personnes confrontées à un problème bien concret et de le résoudre.
Philippe Kron, le P-DG du site d’emploi iQuesta, a ainsi fait un heureux en offrant à son webmaster un grand écran plat antireflet. «Mes concurrents paient un peu plus, mais leur matériel est plus vieux. Pour ce collaborateur, il ne s’agissait pas d’un détail », explique le patron. Vous pouvez aussi revoir le plan d’occupation des bureaux. Nathalie Toutain, chef de produit marketing dans un groupe agroalimentaire, a retrouvé le sourire le jour où son chef de service lui a proposé de changer de place. «La cohabitation avec une collègue dépressive tournait au cauchemar, explique-t-elle.Je ne remercierai jamais assez mon boss de m’avoir installée avec un assistant marketing souriant et drôle.»
Dans le même esprit, certains salariés donneraient beaucoup (même une augmentation) pour une place de parking. Ou un ordinateur portable. Ou un BlackBerry. Ils n’ont pas le niveau hiérarchique qui donne droit à ce type d’avantage ? Battez-vous pour qu’ils l’obtiennent. Autrement dit, surclassez-les.
Votre DRH est inflexible ? Soit. Mais, en tant que chef d’équipe, il y a un élément sur lequel vous avez le pouvoir absolu : l’ambiance de travail. Réunion croissants le lundi matin, dîner d’équipe au restaurant, organisation de pots surprises pour les anniversaires qui se terminent par un zéro, les idées ne manquent pour détendre l’atmosphère. Jacques-Olivier Broner, P-DG de l’agence de publicité Rouge, déjeune régulièrement en tête à tête avec un membre de son équipe et organise une fois par mois un petit déjeuner collectif. «Il ne s’agit pas de jouer au copain. Mais de montrer à mes collaborateurs que je m’intéresse sincèrement à eux», explique-t-il.
Faute d’argent, accordez plus de temps libre
Oubliez votre pudeur naturelle, dans ce domaine, vous n’en ferez jamais trop. «Même les coeurs de pierre sont sensibles aux signes d’attention prouvant qu’ils sont considérés, et pas seulement pour leurs performances professionnelles», dit le consultant Frédéric Le Moullec, coauteur du livre «Manager selon les personnalités». «Vous défonceriez-vous, demande-t-il, pour un N + 1 qui n’a pas jugé nécessaire de vous toucher un mot gentil pour la naissance de votre bébé ?» Ça, c’est le service minimum. L’idéal, même si cela exige de la mémoire (ou de prendre des notes), est de lancer quelques semaines plus tard : «Alors, elle commence à faire ses nuits, Lucie ?»
Autre avantage, peu coûteux et auquel vos collaborateurs auront du mal à renoncer une fois qu’ils y auront goûté : la flexibilité des horaires. «Un cadre qui, sans qu’on le lui demande, sacrifie son week-end pour terminer un dossier, ne devrait pas avoir à demander d’autorisation pour prendre une demi-journée», remarque Benjamin Chaminade, du cabinet de conseil Inside HR. Pour motiver ses consultants, Accenture teste depuis quelques mois dans l’un de ses départements un système assoupli : les contraintes des uns et des autres (enfants, sport…) sont prises en compte avant de programmer les réunions importantes.
Là encore, plus l’avantage est personnalisé, plus il est motivant. Une jeune mère appréciera de pouvoir prendre «gratuitement» son après-midi un mercredi sur deux tandis qu’un quinquagénaire préférera disparaître à 16 heures le vendredi pour filer vers sa maison de campagne en évitant les bouchons. Même s’il a la bougeotte parce que sa rémunération stagne, le cadre qui bénéficie d’un tel avantage, impossible à négocier avec un nouvel employeur, réfléchira deux fois avant de le perdre.
Efficaces aussi, et gratuits, les compliments. Pourtant, beaucoup de patrons en sont terriblement avares. Sans doute de peur que l’intéressé stoppe net ses efforts. C’est souvent le contraire, affirment les psys. Les félicitations sont un puissant dopant, en particulier pour les personnalités narcissiques et pour celles qui sont en proie au doute. «Je félicite toujours un salarié qui s’est démené. Et si possible en public, affirme Charles Beigbeder, le patron de Poweo. En général, il continue sur sa lancée pour ne pas décevoir.»
Chez Century 21, les meilleurs intègrent le Top Manager Club
Même Michael Dell, le patron du constructeur informatique, se prête à l’exercice. Régulièrement, il envoie un mail personnalisé et bien tourné aux commerciaux qui ont dépassé leurs objectifs. Certains conservent même une copie du message dans leur agenda.
Les «médailles en chocolat» aussi peuvent faire courir les troupes à condition d’être décernées avec une bonne mise en scène. Chez Century 21, par exemple, les responsables d’agence qui obtiennent six fois de suite les meilleurs résultats trimestriels intègrent le prestigieux Top Manager Club. Cette distinction est alors mentionnée sur leur carte de visite. Et, plusieurs fois par an, les membres du club se réunissent «entre bons» pour discuter de leurs pratiques. «C’est une reconnaissance très forte de leurs compétences», explique Laurent Vilmont, directeur général de Century 21.
La société de conseil immobilier CB Richard Ellis, elle, s’est carrément inspirée des oscars : chaque année et dans chaque département, elle distingue un cadre dont le comportement a été «remarquable». Il reçoit le titre de «révélation de l’année» et a le privilège, avec les autres lauréats, de déjeuner dans un restaurant prestigieux avec le P-DG du groupe.
L’avantage de ces marques de reconnaissance, c’est qu’elles marchent aussi en temps de crise. En 2003, le groupe de restauration Flo, propriétaire de Bistro Romain et d’Hippopotamus, était au bord du gouffre. Pour éviter que les cadres non membres du comité exécutif quittent le navire, la direction a proposé à 40 d’entre eux, directeurs régionaux ou responsables d’unité, d’entrer dans le «groupe des 40». Tous ont accepté. Ils y étaient traités comme les actionnaires, informés les premiers des décisions stratégiques et associés de près au plan de redressement. Quatre ans plus tard, quand le groupe est sorti de la tempête, les 40 étaient encore à bord.
«Le fait d’être dans la confidence de la direction, surtout si votre poste ne s’y prête pas directement, est incroyablement valorisant», explique le DRH de Flo, Etienne Rémond. Profitez par exemple d’un déjeuner en tête à tête avec un collaborateur zélé pour lui confier une information confidentielle, mais assez vague pour ne pas prendre de risques. Exemple : «A terme, je ne vous cache pas que le groupe envisage une diversification dans des activités connexes.» L’important, c’est d’insister sur le fait qu’il ne doit en parler à personne. Au chapitre de la valorisation, pensez aussi à envoyer de temps en temps votre subordonné vous représenter à un colloque au soleil ou à la grande convention annuelle des cadres dirigeants du groupe. Evitez seulement de préciser : «Moi, ce genre de raout, ça me barbe à un point…»
Si vos collaborateurs sont insensibles à vos multiples et touchantes attentions, il faudra passer au concret. Mais pas forcément au sonnant et trébuchant. Un précieux recours : la «formation-cadeau», celle qui fait plaisir au salarié mais qui n’a strictement aucun intérêt sur le plan professionnel. Exemple, un coaching personnalisé, ou des cours d’espagnol pour le commercial chargé de couvrir la zone Alsace. Ce type de stage présente deux avantages. Ils ne coûtent rien à l’entreprise, car ils sont imputés sur le budget qu’elle est légalement obligée de consacrer à la formation. Et ils peuvent durer jusqu’à un an. Du coup, votre collaborateur devrait être fidèle jusqu’à la fin de sa «scolarité». Surtout si, de temps en temps, vous l’encouragez avec des bons points.
avec capital