La question de l’amnistie fiscale divise, plus que jamais, les politiques africains. La majorité d’entre eux estiment que les avoirs détenus par les nationaux africains en Europe, aux Caraïbes ou en Asie, seraient majoritairement le fruit de détournements ou tombent sous la catégorie des « Biens Mal Acquis » (BMA), c’est à dire de ressources obtenues de manière illicite par des politiciens ou leurs entourages proches.
L’expérience -réussie- menée en 2014 au Maroc, sobrement intitulée « contribution libératoire sur les avoirs détenus à l’étranger », bat en brèche cette théorie selon laquelle la majorité des biens des nationaux africains détenus à l’étranger auraient été acquis de manière illicite. En effet, l’amnistie fiscale marocaine a connu une participation massive et a permis de déclarer près de 2,4 milliards d’Euros d’avoirs auparavant détenus illégalement (biens immeubles, actifs financiers et actifs liquides), et de générer près de 400 millions d’euros de recettes pour l’Etat, soit près d’un quart de ce que ce dernier a levé comme dette sur les marchés internationaux sur la période 2012-2015 !
En avril 2013, alors que le Maroc traversait une crise budgétaire sans précédent, je plaidais déjà pour que « des réponses pragmatiques soient trouvées à des besoins urgents » à travers une analyse parue au sein des colonnes du quotidien l’Economiste[*], lors de laquelle je demandais l’ouverture d’un guichet fiscal qui permettrait aux marocains de se mettre en règle avec l’administration fiscale en déclarant leurs biens à l’étranger tout en payant une amende. A l’époque, j’estimais que le Maroc pouvait espérer près de 800 millions d’euros d’avoirs déclarés. Le résultat fut trois fois supérieur, ce qui signifiait que les marocains avaient suffisamment confiance en l’avenir pour parier à nouveau sur leur pays.
C’est là l’enseignement le plus important qu’il y a à retenir d’une politique d’amnistie fiscale sur les avoirs détenus à l’étranger qui pourrait être généralisée à toute l’Afrique. Si elle réussit, cela signifie que le pays est sur la bonne voie. Si elle échoue, cela veut dire que l’Etat « ne conduit pas ses opérations de manière à ce que les nationaux gardent leur argent dans le pays », comme l’a décrit avec talent l’économiste Larry Summers lors d’une de ses master class à Harvard. En bref, l’échec d’une amnistie fiscale ne voudrait pas dire que les nationaux ne seraient pas patriotes, mais tout simplement que l’Etat doit se réformer pour leur faire atteindre ce niveau de confiance requis pour qu’ils réinjectent leurs avoirs dans leurs nations respectives.
Ainsi, la question des amnisties fiscales en Afrique s’inscrit dans un plan d’ensemble qui consiste en premier lieu à évaluer le niveau de confiance avant d’en attendre des bénéfices tangibles sur le plan financier.
Ceci s’inscrit dans une démarche véritable de pragmatisme économique, et nécessite que les leaders du continent prennent conscience qu’une amnistie fiscale généralisée permettrait de redonner du souffle à des finances publiques souvent exsangues.
Cela est particulièrement vrai pour les pays qui dépendaient jusqu’à encore récemment des industries extractives et qui cherchent désormais à diversifier leurs appareils productifs.
Reste qu’une condition sine qua non doit être remplie avant de pouvoir mettre en route un tel chantier : garantir aux déclarants l’anonymat le plus strict, à l’instar de l’expérience marocaine, qui a confié aux banques la responsabilité d’en être les garantes. En confiant à ce tiers de confiance la tâche de récolter les dossiers de régularisation au lieu de son administration fiscale, l’Etat Marocain a franchit une première étape dans le rétablissement de la confiance entre le citoyen et l’administration, jetant ainsi les jalons d’une réforme plus globale, souhaitable et attendue.
Avec afrique.latribune