En octobre 2016, dans le cadre de l’activité de son Institut, l’IVERIS avait reçu, lors d’une réunion privée, un diplomate russe. Aux questions posées sur la place de la Russie en Afrique, le représentant de la Fédération de Russie, s’était montré un brin nostalgique, déplorant la disparition de l’influence de Moscou sur le continent depuis la fin de la guerre froide. A peine deux ans plus tard, il est difficile d’établir une liste exhaustive des dizaines de coopérations russo-africaines, dans les domaines militaires, énergétiques, miniers ou encore nucléaire, signées ou en passe de l’être. Le mémorandum paraphé, en juillet 2018 lors du sommet des BRICS à Johannesburg, avec la Communauté de Développement de l’Afrique australe (SADC) est sans doute l’un des accords les plus marquants. Cette organisation régionale très influente compte 16 pays et non des moindres, comme l’Afrique du Sud, la République Démocratique du Congo (RDC) ou encore l’Angola. Ce qui surprend, c’est la vitesse avec laquelle ces partenariats ont été effectués, la plus grande partie ayant été ratifiée entre 2017 et le premier semestre 2018. Avant la chute du mur, Moscou avait signés 37 pactes d’assistance technique et économique et 42 accords commerciaux, aujourd’hui, elle n’est pas loin de renouer avec ses scores d’antan.
Excepté en RDC où les Congolais voient d’un mauvais œil un soutien russe au président Kabila, après l’accord de coopération militaire passé entre les deux Etats, la majorité des opinions publiques des pays concernés regarde goguenarde cette avancée, pas fâchée de voir les anciens colonisateurs et les USA se faire coiffer au poteau. Les dirigeants occidentaux, eux, déjà passablement agacés de ne pouvoir contenir la Chine sur le continent, s’irritent et s’alarment. Faut-il comprendre les récents voyages de Theresa May et d’Angela Merkel en Afrique à l’aune de cette sourde inquiétude ? (1)
Le pied dans la porte
Ce retour de la Russie en Afrique subsaharienne s’opère d’Est en Ouest et du Nord au Sud avec des coopérations très diverses. Parfois, comme au Tchad, c’est une simple coopération militaire portant sur la formation, les blindés russes ne sont pas entrés à Ndjamena ! Cela reste néanmoins très étonnant puisque le QG de la force française Barkhane est toujours basé dans la capitale tchadienne et que des militaires américains y sont présents également (2-3). Parfois les projets sont plus lourds comme en Ouganda qui a signé, en juin 2017, un protocole avec Rosatom, portant sur le nucléaire civil (4). Le rapprochement entre Moscou et Kampala qui s’établit dans de multiples domaines est lui aussi surprenant puisque jusqu’alors le président Museveni passait pour être un des plus fidèles alliés des États-Unis dans la région. Au Soudan, aux Seychelles, en Guinée Conakry, c’est dans le secteur minier que des accords ont été passés. A Madagascar, la Russie investit dans la santé en attendant de pouvoir, comme elle le souhaite, s’implanter dans le port de Toamasina pour avoir un accès à l’océan Indien (5). En Côte d’Ivoire, Moscou, par l’intermédiaire de la banque VTB, vient d’accorder un prêt de 132 millions d’euros pour rénover les hôpitaux. Bien entendu, il y a aussi la Centrafrique où l’arrivée de l’armée russe a fait couler beaucoup d’encre (6); le Burkina-Faso qui a signé une coopération militaire lors du Forum de l’armée russe en août dernier, etc. (7)
Dans plusieurs secteurs notamment ceux des mines, de l’énergie ou du nucléaire, la Russie se retrouve en concurrence avec son « allié » chinois. Se marcheront ils sur les pieds ? Il n’est pas impossible que ces points aient fait l’objet de discussions bilatérales, avec partage des rôles à la clef, dans le cadre de la stratégie des BRICS pour étendre leur influence à toute l’Afrique.
Retour sur l’investissement syrien
A étudier de près ces coopérations, cela donne l’impression d’une avancée tous azimuts, anarchique, sans stratégie géographique ou sectorielle. Mais la fulgurance avec laquelle s’opère le redéploiement de l’influence russe sur le continent africain prouve le contraire. La réémergence de l’axe Russie/Afrique, perdu lors des années Elstine, est non seulement une revanche sur une histoire amère mais fait partie intégrante de la stratégie du Kremlin pour renforcer son influence mondiale. Si elle se concrétise aujourd’hui, cette volonté n’est pourtant pas nouvelle. Dans le passé plusieurs tentatives de retour avaient déjà eu lieu : en 2006, avec la visite de Vladimir Poutine au Maroc et en Afrique du Sud ; puis avec celle de Dmitri Medvedev en 2009 en Angola et au Nigéria. A cette occasion, il avait annulé une dette de 20 milliards de dollars des pays africains. Mais les avancées restaient plus que timides, Moscou se contentant de renouer des liens avec des pays historiquement très liés à l’ex-URSS, comme le Zimbabwe, la Guinée Conakry ou encore l’Angola (8). En 2011, l’arrivée de l’Afrique du Sud au sein des BRICS a permis à la Russie de renforcer son axe africain, mais il faudra attendre tout de même la fin 2016, et surtout 2017, puis 2018 pour que les coopérations pleuvent. Ce qui correspond aux victoires de l’armée russe en Syrie et à la preuve de la constance du Kremlin envers son allié, Bachar al-Assad. En privé, certains officiels d’Afrique de l’Ouest rencontrés ne s’en cachent pas : plus encore que le retour de la Russie sur le plan militaire, c’est cette fidélité, contre vents et marées, qui a séduit les Chefs d’Etat.
Le retour de bâton
Ce qui était impensable dix ans plus tôt est devenu une réalité, les Présidents des anciennes colonies françaises appellent Moscou à l’aide. Après le président centrafricain Touadera, c’est au tour du Nigérien, Mahamadou Issoufou. Cette demande ne manque pas de piquant. Selon la Lettre du Continent du 18 juillet 2018 « Issoufou actionne Poutine pour sortir du guêpier terroriste » ! Pour rappel, l’armée française est à Niamey et le Chef de l’Etat nigérien a accepté sur son sol, à Agadez, la plus grande base de drones US du continent et a même autorisé à armer ces aéronefs (9). Les forces spéciales américaines sont sur place, ainsi qu’une base allemande et des militaires italiens. Dans ce contexte, l’arrivée de l’ours Russe ne ferait-il pas un peu désordre ? Mahamadou Issoufou souhaite demander également à Vladimir Poutine « d’influer auprès de Washington pour que la force G5 Sahel soit placée sous le commandement de la Minusma » ce qui aurait pour conséquence directe de sortir la France du dispositif (10); Emmanuel Macron s’étant placé de fait comme le parrain de cette force africaine (Mali, Niger, Mauritanie, Tchad, Burkina-Faso) dite « souveraine« …
Avec reseau international