Par un tour de passe-passe, le marocain Saham a acquis 21 % du capital de son concurrent Sunu, fondé par le Sénégalais Pathé Dione. Très remonté, ce dernier lance la riposte.
Pour Pathé Dione, le coup a été rude. Le 28 juillet au matin, le Sénégalais, figure du monde des assurances subsaharien, apprend qu’Alioune Ndour Diouf a vendu la totalité des parts qu’il détenait dans Sunu. Ce dernier appartient à la petite dizaine d’actionnaires subsahariens – « plutôt des amis et collaborateurs », précise un financier qui les connaît bien – qui a créé Sunu vingt ans plus tôt avec Pathé Dione. Depuis, les deux hommes sont restés proches.
Pourtant, c’est sans en discuter au préalable avec celui qui a fait de Sunu l’un des plus importants succès de l’assurance subsaharienne francophone (près de 200 millions d’euros de revenus l’année dernière) qu’Alioune Ndour Diouf décide de céder à Saham Finances ses 14 %. Faisant du groupe marocain le deuxième actionnaire de Sunu.
Trois semaines plus tôt, Mamadou Talata Doula, avec qui Pathé Dione était en froid, avait en effet cédé ses 4,3 % au même acquéreur. Et le 27 juillet, c’était le Centrafricain Ousmane Bocoum qui annonçait avoir fait de même (environ 2,6 % de parts).
Pathé Dione refuse les offres
Ainsi, sans que personne s’y attende, l’actionnariat de Sunu, construit en 1998 autour de proches du fondateur, s’est fissuré. Fin juillet, Saham possède officiellement, par le truchement d’une société mauricienne, 21 % du capital de Sunu Finances, le holding de tête du groupe et l’un de ses principaux concurrents.
Depuis des années, alors que les valorisations des groupes d’assurance s’envolent et que le secteur fait l’objet des plus grandes convoitises, Pathé Dione refuse les nombreuses offres qu’il reçoit, qu’elles émanent de capital-investisseurs ou de groupes financiers comme les marocains SNI/Attijariwafa Bank ou BMCE Bank of Africa.
« Alors que les valorisations s’envolent, le secteur fait l’objet de grandes convoitises »
Question de caractère – ou forme de rigidité, diraient certains –, mais aussi de fierté : celui qui a longtemps dirigé un leader français (UAP) en Afrique entend prouver qu’un grand groupe d’assurance à capitaux subsahariens peut trouver sa place au milieu de grands noms étrangers.
Pathé Dione veut rester indépendant
Semblant regretter que Colina ait été racheté par Saham, méfiant quand NSIA choisit d’ouvrir ses portes à des actionnaires financiers, l’assureur sénégalais affirme alors à Jeune Afrique (20 juin 2012) : « Nous finançons notre croissance externe par des augmentations de capital. Nous avons été approchés, mais nous n’avons pas besoin de nous adosser à un partenaire car nous avons de quoi financer notre croissance. »
Régulièrement, Pathé Dione clame sa volonté de rester indépendant. Interrogé par JA, il ne dit rien d’autre aujourd’hui. « Ce qu’a fait Saham est une véritable déclaration de guerre. Nous ne leur livrerons pas notre groupe », tranche-t-il, accompagné de son directeur général délégué, Joël Amoussou.
Très remonté, il affirme ne pas vouloir se laisser faire, s’indignant de la manière dont procède Saham, « qui ne répond pas à l’esprit de partenariat et de codéveloppement porté par le roi du Maroc ». Et il ajoute, vindicatif : « Nous allons livrer à Saham une guerre sans merci, sur le terrain notamment, et nous ferons savoir leur manière d’agir. »
Pathé Dione n’a pas peur de l’adversité
Selon l’un de ses proches, une telle déclaration n’a rien d’un vain mot : « Pathé Dione n’a pas peur de l’adversité. Il y a un peu plus de dix ans, le redoutable homme d’affaires mauritanien Mohamed Ould Bouamatou avait fait le tour des actionnaires de Sunu pour tenter de prendre la majorité du capital. Pathé Dione lui a livré une âpre bataille et il a fini par gagner. »
Le patron de Sunu n’a pas tardé à organiser la défense du groupe. Depuis l’assemblée générale qui s’est tenue le 28 juillet, une société détenant directement ou indirectement des actions dans Sunu devra dorénavant soumettre au préalable toute cession de parts à l’approbation des actionnaires.
L’objectif est d’éviter le tour de passe-passe qui a permis à Saham d’acquérir les parts de Mamadou Talata Doula : en 2016, ce dernier avait logé ses actions dans Sunu au sein d’une société mauricienne, First Engineering Management Consultants (FEMC) Ltd. C’est cette structure que Saham a rachetée et non les parts de Sunu…
Saham : lentement mais surement
Mais, au fond, pourquoi Saham est-il entré « par effraction » au tour de table d’un groupe que Pathé Dione et sa famille détiennent toujours à plus de 50 % ? Le 6 juillet, après avoir racheté les parts de Mamadou Talata Doula, Saham évoque publiquement un simple investissement financier, comme le groupe en fait un peu partout.
L’argument ne convainc alors pas grand monde sur le marché, d’autant que la réputation d’habile et rusé investisseur de Moulay Hafid Elalamy (actionnaire majoritaire de Saham et ministre) n’est plus à faire. La montée à plus de 20 % du capital suggère une autre hypothèse.
Jusqu’à présent, toutes les grandes opérations de fusion-acquisition s’étaient faites d’un commun accord
« La technique est simple : rentrer petit, par effraction, puis monter au capital, lentement mais sûrement », analyse un financier. « C’est bien un raid que Saham est en train de mener », tranche un autre.
Pour celui-ci, c’est une première dans le monde de la finance en Afrique subsaharienne francophone : « Jusqu’à présent, toutes les grandes opérations de fusion-acquisition s’étaient faites d’un commun accord. »
Saham aurait-il l’ambition de prendre le contrôle de Sunu ? Peu probable. D’abord parce que Pathé Dione y règne en maître : il est majoritaire au capital avec sa famille, dont ses deux enfants, actifs dans le groupe.
Accord entre Sunu et Axa
Ensuite parce qu’un protocole d’accord lie Sunu à un géant de l’assurance depuis 1998 : « Si nous voulons céder notre business, c’est Axa qui est prioritaire, et vice versa pour ses activités africaines », insiste Pathé Dione.
Enfin, une prise de contrôle n’aurait pour Saham rien d’évident d’un point de vue stratégique : les deux groupes sont présents dans une douzaine de pays, principalement en Afrique subsaharienne francophone, mais aussi au Nigeria ou au Ghana.
Sunu est certes leader en assurance-vie, un domaine dans lequel Saham est moins développé, mais les marges y sont aussi moins élevées.
Pour certains commentateurs, Saham – désormais en position de demander un poste d’administrateur au sein de Sunu Finances – pourrait faire un autre pari : « Saham est maintenant en position de force au tour de table de Sunu.
Il peut demander des comptes, mener une guerre en interne, avec plusieurs issues possibles : revendre ses parts à Pathé Dione à un prix très élevé, négocier certains actifs intéressants, ou revendre ses parts à des investisseurs financiers. »
Sunu, gagne du terrain
Même si Saham est entré dans le holding de tête, et non dans le sous-holding Sunu Participations, qui détient directement les filiales et prend toutes les décisions opérationnelles, sa montée au tour de table de Sunu complique l’équation pour le groupe subsaharien.
Selon certaines estimations, il pourrait avoir besoin d’une trentaine de milliards de francs CFA – un chiffre qu’il ne confirme pas – pour satisfaire aux nouvelles exigences réglementaires de capital minimal, qui seront de 3 milliards de F CFA (4,5 millions d’euros) en 2019 puis de 5 milliards en 2021. S’il doit en plus racheter les parts de Saham, l’addition pourrait être salée.
Le patron refuse toutes les offres : question de caractère, ou forme de rigidité ?
« Nos deux principales filiales ont déjà dépassé les 5 milliards de capital requis, rétorque Pathé Dione. Et pour les autres, nous pouvons lever autant de dettes que nous le souhaitons car notre endettement est très faible. C’est d’ailleurs ce que nous allons faire. »
Longtemps considéré comme conservateur et même comme un peu passif, Sunu a montré ces dernières années qu’il pouvait aller de l’avant. Il a ainsi lancé dans la plupart des pays où il opère des filiales d’assurance-dommage.
Entre fin 2015 et début 2016, il a injecté plus de 10 millions d’euros dans Equity Assurance, s’ouvrant d’un coup les portes de trois pays : le Nigeria, le Ghana et le Liberia. Il finalise actuellement la reprise d’une banque togolaise, la BPEC, pour une vingtaine de millions d’euros.
Signe d’une forte croissance, ses revenus ont d’ailleurs bondi entre 2015 et 2016 de 152 à 192 millions d’euros.
« Face à des concurrents aux poches bien pleines et aux ambitions débordantes, il n’avait pas trop le choix, commente un spécialiste du secteur. Swiss Re, la Banque nationale du Canada et Amethis ont investi environ 200 millions d’euros dans NSIA. Le sud-africain Sanlam a misé plus de 600 millions de dollars dans Saham. »
Pour Sunu, la montée éclair de Saham pourrait marquer le point de départ d’une nouvelle époque. Elle annonce en tout cas une bataille d’assureurs homérique, comme le secteur n’en a probablement jamais connu.
Deux géants face à face
Saham Assurance
Fondé en 2005 au Maroc
Présence : 21 pays subsahariens, 3 pays maghrébins, Arabie saoudite, Liban
Revenus : environ 1 milliard d’euros
Employés : 3 000
Actionnaires : Saham (Maroc) et Sanlam (Afrique du Sud)
Sunu Assurances
Créé en 1998 en France
Présence : 14 pays subsahariens
Revenus : environ 200 millions d’euros
Employés : 1 800
Actionnaires : Pathé Dione (Sénégal) et plusieurs minoritaires (dont Saham…)
Sunu se fait banquier
Révélée par Jeune Afrique Business+, l’information montre les nouvelles ambitions de Sunu dans la bancassurance. Selon le site, les actionnaires de la BPEC ont autorisé le 15 juillet une augmentation de capital en faveur de Sunu, qui disposera, une fois l’opération validée par les autorités de tutelle, de 58 % de cette banque togolaise – elle compte 27 agences dans le pays.
Le montant investi par le groupe de Pathé Dione n’a pas été communiqué, mais l’opération s’est faite par le biais d’une société nouvellement créée à Abidjan, Sunu Investment Holding, dotée de 12,5 milliards de F CFA de capital (environ 19 millions d’euros) et possédée à 35 % par Sunu…
L’assureur, qui a aussi été candidat à la reprise des parts de BNP Paribas dans la Banque internationale pour le commerce et l’industrie au Gabon (Bicig), ne cache plus sa volonté d’effectuer des acquisitions ciblées dans le domaine bancaire.
L’un de ses concurrents, NSIA, suit la même politique : propriétaire de NSIA Banque en Côte d’Ivoire et en Guinée, le groupe ivoirien finalise la reprise des actifs francophones de Diamond Bank.
Avec jeuneafrique