Dans la filière avicole aujourd’hui au Sénégal, le plus urgent n’est pas de former des doctorants, des cadres, mais des ouvriers, des techniciens avec des compétences avérées, ont expliqué en substance àCommodAfrica Gora Faye, secrétaire général adjoint de l’Interprofession avicole au Sénégal (Ipas) et Dr Amadou Gueye, coordonnateur du Comité technique de l’Ipas lors du Salon international des productions animales (Space) qui a fermé ses portes vendredi à Rennes. Formation technique et amélioration de la compétitivité sont aujourd’hui les éléments clés à l’envol de la filière au Sénégal.
Quelles sont aujourd’hui les thématiques centrales dans le secteur avicole au Sénégal et pourquoi vous êtes-vous rendus au Space ?
Tout d’abord, la filière avicole au Sénégal est relativement jeune par rapport à d’autres pays. Les aviculteurs au Sénégal existent depuis la nuit des temps mais l’aviculture moderne est un phénomène assez récente. L’interprofession existe depuis cinq ans et ce n’est que depuis deux ou trois ans qu’elle a véritablement déployée ses activités.
Ce qui pose aujourd’hui problème est la structuration de la filière en tant que telle. Il existe beaucoup d’acteurs qui œuvrent séparément. Depuis quelques années, il y a une certaine volonté politique pour organiser les acteurs mais il faut aller plus loin maintenant dans l’interprofession.
Ainsi, je dirais que la structuration de l’interprofession, l’organisation des filières de l’aviculture ainsi que leurs financements sont aujourd’hui les plus grandes problématiques du secteur. Les filières avicoles ont besoin d’avoir leur autonomie financière pour avoir les moyens de leurs politiques. Au-delà, pour qu’une filière soit forte, il faut une main d’œuvre de qualité, bien formée. La formation des jeunes est primordiale.
L’interprofession avicole se focalise actuellement sur quels points ?
Notre rôle est politique et économique. S’agissant du politique, il s’agit de faire en sorte que l’Etat accompagne fortement les aviculteurs. Au plan économique, l’interprofession essaie de favoriser les projets structurants, avec un volet formation non négligeable. Nous avons lancé un programme de formation à grande échelle, financé par l’Etat, l’Agence française de développement (AFD) et la Banque mondiale), ce que nous n’avions pas avant. Aujourd’hui, à tous les échelons du métier avicole, on commence à avoir des jeunes bien formés, qui participent au développement de notre filière.
Ces jeunes se destinent à travailler dans de grandes exploitations ou plutôt des unités familiales ?
Les deux. On a des jeunes qui sont formés aux métiers de la reproduction, de l’accouvage, de la conduite d’élevage, de la transformation et de la gestion d’une entreprise avicole, etc. L’aviculture aujourd’hui au Sénégal, c’est plus de 60 000 emplois directs et indirects, c’est énorme ! Sans parler des répercussions que la filière a sur l’économie en général.
Car, depuis 2006, les importations de produits avicoles et de matériel usager ont été suspendues pour raison sanitaire (grippe aviaire), ce qui a favorisé l’essor d’une filière locale. Aujourd’hui au Sénégal, la production est 100% nationale. Nous avons de grands groupes qui sont dans la fabrication d’aliments , Sedima, NMA Sanders, partenaire du groupe Sanders, les Grands moulins de Dakar, etc. Aujourd’hui on a des ténors pour tout ce qui est approvisionnement en intrants et matériel de production.
En revanche, là où le bât blesse, c’est au niveau des fermes de reproduction : environ 80% des œufs à couver sont importés. Là, il y a beaucoup de marges de manœuvre.
Comment se fait-il ?
D’un point de vue technique et organisationnel, c’est beaucoup plus exigeant à mettre en place que de créer une usine de production d’aliments pour volailles. Mais des efforts sont en train d’être faits et la tendance va commencer à s’inverser. Une stratégie se développe, avec des industriels, car l’œuf à couver (OAC) est un élément essentiel et on veut une certaine autonomie de notre filière.
De grands groupes au Sénégal, comme la Sedima, ont des troupeaux de 100 000 reproducteurs. Ils ont dépassé les volumes qu’ils peuvent transformer eux-mêmes et sont en train de les commercialiser. Mais ils ne peuvent pas encore satisfaire l’intégralité de la demande locale.
Le problème au Sénégal est qu’il y a des pics de production. Le pays est à 95% musulman et lors de la fête de la Korité, c’est 10 à 11 millions de poussins à produire en trois à quatre semaines. Ces pics ne sont pas encore satisfaits par la production locale. Des unités de reproduction se mettent en place, on maîtrise la technique, on peut faire des œufs à couver en climat chaud, on a des techniciens spécialisés, mais c’est un grand investissement, toute une stratégie.
Aujourd’hui, en 2017, on est à 70 millions de poussins. On importe encore des OAC de la France, du Brésil et du Maroc entre autres, mais il nous faut une certaine autonomie.
Qu’attendez-vous du Space ?
En tant que techniciens, on attend des échanges. Que faites-vous de mieux en France et ailleurs en Europe ? Et comment “importer” mais surtout adapter. Il ne s’agit pas de faire un copier-coller car nous n’avons ni les mêmes contraintes, ni les mêmes besoins, ni les mêmes stratégies. Importer oui mais adapter. Adapter le savoir-faire à nos réalités techniques: chaleur, humidité, etc. Il s’agit de mettre en avant nos acteurs pour qu’ils puissent voir ce qui se fait ailleurs.
Les opérateurs du Sud seraient plus adaptés ?
En terme d’aviculture, on a commencé à aller vers d’autres pays du sud, comme le Brésil, mais ça reste timide. On a des rencontres avec les interprofessions en Côte d’Ivoire, au Mali, au Niger, au Burkina, etc. On a une structure de coordination. Le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont les plus avancés en terme d’aviculture mais les autres ont des avantages concurrentiels. Par exemple, le Mali produit son propre maïs alors que nous, nous l’importons du Brésil, des Etats-Unis. Pourquoi ne pas l’acheter au Mali ? Ce sont des options qu’on est en train d’examiner. Ce genre de décision se prend au niveau politique mais nous, techniciens, nous donnons notre avis.
D’autre part, il y a la question des ressources humaines. On a trop vu la formation au niveau des cadres, des experts, des doctorants, des vétérinaires. On a aussi besoin d’acteurs opérationnels, de terrain. Or, c’est pour ces acteurs de base qu’on a un problème de formation. Des formations simples, des ouvriers agricoles, des CAP, des BTS. On veut des jeunes formés en 6 mois, un an ou deux et qui entrent dans un poulailler et qu’il puissent produire correctement.
On s’est engagé dans une formation en approche par compétences (APC) comme fait la France dans ses lycées agricoles. On a déjà écrit 6 programmes, il nous en reste deux à terminer d’ici la fin de l’année, sur la transformation et la reproduction. On a un projet avec l’AFD et la Banque mondiale (€ 14 millions) pour construire trois écoles à Djamono, Dakar et Saint Louis, la région d’avenir de l’aviculture car le climat y est favorable. On veut occuper cette zone favorable à l’aviculture avant que les zones d’habitation ne viennent occuper les terrains.
Dans ces centres de formation technique, on n’a pas besoin du bac : vous sortez de l’école primaire, on vous forme comme ouvrier. Vous avez un niveau de 3ème, on vous forme en 2 ans avec un CAP. Vous avez un niveau terminal mais vous n’avez pas le bac, on vous forme en brevet technique.
Où en est ce projet ?
Il a démarré. Pour la construction des centres, le principal centre de référence est en construction, les autres sont à la phase d’attribution des marchés, etc. En attendant, nous avons démarré avec des instituts qui existent déjà mais qui ne formaient pas comme ça. Aujourd’hui, on a déjà formé une bonne centaine d’agents.
Les jeunes ont-il envie de se tourner vers l’élevage ?
Oui ! La demande est forte. Il y a de nombreux jeunes qui n’ont pas été à l’école, ou qui sont déscolarisés, on les cible. On leur organise des séminaires dans leur langue. Ils vont 15 jours dans un poulaillers, 15 jours dans un autre, etc. Et on peut alors juger de leurs compétences.
La formation est donc le premier projet concret actuellement au sein de l’Ipas. Mais on travaille aussi à toute la politique d’accompagnement de la filière. Car nous avons d’énormes contraintes liées à la compétitivité. Le kilogramme de poulet produit au Sénégal coûte 2 fois plus cher que dans d’autres pays. Aujourd’hui, nous sommes protégés, mais un jour ou l’autre, notre pays sera ouvert au commerce international des produits avicoles. Il faudra rapidement être compétitif. Il faut que l’Etat créé le contexte favorable à l’investissement privé.
Dans certains pays, on revient sur les concepts de grandes batteries, de rendements à tout prix, de production hors sol, etc. Vous vous orientez vers quelle stratégie?
C’est un débat très intéressant. Aujourd’hui, en Europe, le problème est le bien être animal : comment faire pour bien manger, pour mieux manger. Au Sénégal, notre problème est de manger. Nous devons régler ce problème avant de passer au suivant. La majorité de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, il est donc utopique de faire en sorte que toutes les protéines animales viennent d’un poulet label, d’un poulet local qui coûterait 2 à 3 fois plus cher que le poulet élevé en batterie. Et pour réduire le prix, c’est la batterie, la productivité, la compétitivité. Pour le privé qui investit, c’est la productivité qui prime.
Avec commodafrica