Il était l’un des dirigeants les plus populaires et charismatique des Nations unies. L’ancien secrétaire général de l’organisation, Kofi Annan, est mort ce samedi 18 août à l’âge de 80 ans, des suites d’une « courte maladie ». Après 40 ans passés au sein de l’ONU, dont 10 au poste de secrétaire général, Kofi Annan a acquis une renommée mondiale. Tout au long de sa carrière, le Ghanéen a oeuvré pour le maintien de la paix et a eu à gérer de nombreux dossiers brûlants.
Kofi Annan connaît plusieurs de ses plus beaux succès diplomatiques sur le continent africain. C’est par exemple lui qui supervise, en 2006, un accord entre le Nigeria et le Cameroun au sujet de la péninsule pétrolière de Bakassi, au coeur d’un long différend entre les deux pays.
Et même après avoir quitté ses fonctions de secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan ne s’est jamais vraiment détourné de son continent d’origine.
♦ La crise post-électorale kényane
En 2008, l’Union africaine fait appel à ses talents de diplomate pour tenter d’éteindre l’incendie des violences post-électorales au Kenya. Le pari est réussi. Kofi Annan restera dans les mémoires comme l’un des acteurs principaux de la résolution de la crise.
« On se souviendra de M. Annan pour sa médiation en faveur du retour de la paix au Kenya » a écrit l’ancien président Mwai Kibaki dans un communiqué après l’annonce de sa mort. Raila Odinga, ancien Premier ministre et candidat à la dernière élection présidentielle, a exprimé quant à lui sa gratitude à cet homme qui, dit-il, a sauvé le pays de l’effondrement.
Ce sont ces deux hommes politiques que Kofi Annan a réussi à mettre autour de la table lors des violences post-électorales de 2007-2008. Après l’annonce de la victoire contestée de Mwai Kibaki contre Raila Odinga, des affrontements communautaires éclatent entre les tribus Kikuyus d’un côté et Kalenjins et Luos de l’autre. Bilan : plus de 1000 morts et 600 000 déplacés.
Arrivé à Nairobi au début de l’année 2008 dans un pays ravagé par les violences, le diplomate onusien arrache en quelques semaines un accord de partage du pouvoir entre les deux hommes au sein d’un gouvernement d’union nationale. Au terme de difficiles négociations, les deux parties acceptent également la mise en place d’une nouvelle Constitution ainsi que d’une commission-vérité, justice et réconciliation.
De nombreux Kényans ont donc exprimé leur tristesse dans les médias et sur les réseaux sociaux. « Il n’y a pas un pays dans le monde qui soit plus redevable à Kofi Annan que le Kenya » conclut sur Twitter l’analyste politique Nanjala Nyabola.
♦ La tragédie du Rwanda
Mais l’épisode le plus sombre et le plus difficile de sa carrière restera le génocide rwandais de 1994. Kofi Annan n’était pas encore secrétaire général, il était alors secrétaire adjoint aux opérations de paix.
« Sur le plan diplomatique et sur le plan politique, il était informé de tout ce qui se passait sur le terrain. Mais sur le plan décisionnaire, je pense qu’une bonne partie des décisions étaient prises par le secrétaire général qui était à l’époque Boutros Boutros-Ghali », explique Charles Onana, journaliste d’investigation, auteur du livre Les secrets du génocide rwandais.
L’incapacité de la communauté internationale à empêcher le génocide rwandais marquera à jamais Kofi Annan. A plusieurs reprises, le diplomate ghanéen exprimera publiquement ses regrets. « C’était un échec pour nous tous. C’était un échec collectif. Nous avons tous échoué au Rwanda. Il y a eu un manque de volonté politique. Non un manque d’informations. »
Ces mots, Kofi Annan les prononce lors d’une conférence de presse au Kenya en 1998. Il vient d’être nommé, un an plus tôt, au poste de secrétaire général des Nations unies. Quelques années plus tard, à l’occasion du 10e anniversaire du génocide, il exprimera de nouveau ce sentiment à la tribune. « La communauté internationale n’a pas été à la hauteur au Rwanda et cela devra toujours être pour nous une source de regrets amers et de chagrin »
Selon André Guichaoua, professeur spécialiste des Grands Lac, « c’est toujours apparu comme une sorte de mea-culpa institutionnel, personnel sincère certainement… Mais bon, le mea culpa apparaît bien faible pour tous ceux qui ont eu à supporter les conséquences de cette tragédie rwandaise ».
♦ La crise congolaise
A Kinshasa, certains acteurs politiques se souviennent de son intervention pour mettre fin à la deuxième guerre de la République démocratique du Congo (RDC), au début des années 2000.
Azarias Ruberwa, actuellement ministre d’État chargé de la Décentralisation et des réformes institutionnelles, et membre du Front commun pour le Congo, se souvient de sa première rencontre avec Kofi Annan. C’était en 2001, à Kisangani, à l’époque où Ruberwa était secrétaire général de la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD).
« Il nous a donné des messages très encourageants et je n’ai pas de doutes que la fin de la guerre a aussi été influencée par son leadership », se souvient-il.
Azarias Ruberwa place Kofi Annan au même rang que Nelson Mandela.
« Bien d’autres certainement, mais ceux-là sont parmi les plus marquants de notre époque », estime-t-il.
Toujours dans le même contexte, François Muamba, à l’époque n°3 du mouvement rebelle MLC, dirigé par Jean-Pierre Bemba, se souvient d’une rencontre à Gbadolite, au nord du pays, avec Moustapha Niasse, envoyé spécial de Kofi Annan.
« Je me rappelle les termes utilisés par le vieux Moustapha Niasse. “Quoi que vous pensiez de ça, je vous conseille, en tant que grand frère, d’amener là-bas à Sun City, d’y retourner et d’y amener votre cahier de charges. Ce n’est pas Kabila qui viendra vous dégager si vous n’y allez pas. C’est les gens qui m’envoient qui viendront vous dégager.” Quand je parlais des pressions, c’était aussi des pressions sur les belligérants », précise-t-il.
En RDC, plusieurs acteurs politiques, tant de l’opposition que du pouvoir, ont rendu un hommage appuyé à Kofi Annan qu’ils considèrent comme un artisan de la paix en Afrique et dans le monde.
♦ La crise bosniaque
Vu de Sarajevo, Kofi Anan restera l’homme qui a reconnu le tragique échec des Nations unies et a su trouver les mots justes pour s’en excuser, rapporte notre correspondant Jean-Arnaud Dérens.
Alors que près de 40 000 militaires étaient déployés en Bosnie-Herzégovine, où la guerre faisait rage depuis 1992, les forces serbes du général Mladic, condamné en novembre dernier à la prison à vie par le Tribunal pénal international de La Haye, donnaient l’assaut à l’enclave bosniaque de Srebrenica en juillet 1995.
Faute de soutien logistique et de consignes claires, les 400 Casques bleus néerlandais se rendaient sans résister, laissant s’opérer le seul massacre à caractère génocidaire des guerres yougoslaves : 8 000 hommes bosniaques de l’enclave, âgés de 16 à 60 ont été fusillés en quelques jours. Pour l’homme qui allait prendre, deux ans plus tard, la tête de l’ONU, Srebrenica est resté le symbole de l’échec des Nations unies, une tache indélébile sur le bilan de l’organisation.
Kofi Annan était toujours secrétaire général, quand l’Otan a déclenché, le 24 mars 1999, sa campagne de bombardements aériens contre la Yougoslavie, une opération destinée à faire cesser les affrontements qui opposaient au Kosovo les forces serbes à la guérilla albanaise de l’UCK. Cette guerre, décidée sans l’aval du Conseil de sécurité, avait aussi contribué à marginaliser la politique de l’ONU.
♦ 2003, l’invasion américaine de l’Irak
Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, a qualifié « d’illégale » l’invasion de l’Irak par les armées américaine et britannique, ce qui a fortement déplu à Washington comme à Londres.
L’opération militaire déclenchée en mars 2003 a eu lieu après un long feuilleton diplomatique, qui a vu l’affrontement à l’ONU des partisans d’une intervention armée et des pays qui s’y opposaient, parmi lesquels la France.
L’administration américaine de l’époque n’a pas apprécié la critique formulée par le patron de l’ONU, d’autant que Kofi Annan devait son élection aux Etats-Unis. Washington n’ayant pas voulu d’un second mandat de l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali.
Après la guerre de 2003 – sans mandat de l’ONU – l’Irak semble rattraper Kofi Annan et aussi son fils Kojo. Tous deux sont éclaboussés par l’affaire « Pétrole contre nourriture » : un scandale de corruption qui a vu des individus s’enrichir en profitant d’un programme d’aide à la population irakienne.
Beaucoup se demandent alors si la mise en cause de Kofi Annan n’est pas une vengeance des Etats-Unis. Une enquête démontrera que Kofi Annan n’a été coupable d’aucun acte de corruption mais sa gestion sera épinglée.
♦ La lutte contre le VIH/Sida
Quand Kofi Annan prend ses fonctions à la tête des Nations unies en 1997, l’épidémie de Sida est au plus fort. 24 millions de personnes sont atteintes, il y a 3,5 millions de nouvelles contaminations et plus d’un million de morts tous les ans.
Le traitement antirétroviral, lui n’est presque disponible que dans les pays riches.
Kofi Annan va fortement s’impliquer dans la bataille. En 2000, il fait se réunir le Conseil de sécurité de l’ONU, qui adopte la résolution 1308. Elle identifie le Sida comme une menace pour la sécurité internationale.
Sous l’égide de son secrétaire général, les Nations unies l’affirment donc : la lutte contre l’épidémie est l’affaire de tous. Ce principe sera consacré l’année suivante, en 2001. Kofi Annan réunit pour la première fois une session spéciale de l’assemblée générale de l’ONU consacrée spécifiquement au VIH/Sida. Session au cours de laquelle il en appelle à la solidarité internationale et la création de ce qu’il nomme alors « un trésor de guerre ».
Un appel qui a débouché sur la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, un mécanisme de financement nourri par les pays riches qui permet aujourd’hui de développer les offres de traitement et de prévention dans les pays qui n’en ont pas les moyens. On estime aujourd’hui que près de 9 millions de personnes en bénéficient.
Avec RFI