Une clinique phytosanitaire, un jour de marché, dans le village de Wangigi, au Kenya. Les agriculteurs qui se rendent au marché peuvent consulter un phytopathologiste et lui présenter des échantillons de leurs produits. Photo: Panos/Sven Torfinn/CABI
Pour le NEPAD, augmenter l’usage des engrais, de l’irrigation et autres intrants est désormais vital
Un nombre croissant de gouvernements africains, d’agences non gouvernementales et onusiennes considèrent que si des efforts urgents ne sont pas faits pour augmenter les rendements agricoles, améliorer les transports, la commercialisation et adopter des méthodes agricoles modernes et durables, le continent ne parviendra pas à atteindre ses objectifs de développement. Plus de 65% d’habitants en Afrique subsaharienne travaillent dans l’agriculture et le secteur contribue au PIB de la région à hauteur de 32%, selon l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Alliance for a Green Revolution in Africa, AGRA), organisation indépendante de lutte pour l’amélioration de l’agriculture africaine. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la croissance de l’emploi dans le secteur a participé de moitié à la hausse totale de l’emploi dans cette région entre 1999 et 2009.
Conscients de l’importance de l’agriculture, les partisans du plan de développement du continent, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), ont publié en 2003 dans le cadre de cette structure un Programme détaillé pour le développement de l’agriculture en Afrique (PDDAA). Ses objectifs sont ambitieux: allouer au moins 10% des budgets nationaux à l’agriculture, afin de parvenir à des taux de croissance annuels de 6% en milieu rural dès 2015, à intégrer et à renforcer les marchés agricoles au niveau régional et national, à augmenter de manière significative les exportations de produits agricoles, à transformer l’Afrique en «acteur stratégique» dans le domaine des sciences et technologies agricoles, à adopter des techniques adéquates de gestion de l’environnement et des sols, et à réduire la pauvreté en milieu rural.
Surexploitation des sols
Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies estime qu’en 2012 le nombre d’Africains ayant eu besoin d’aide alimentaire dépassait les 55 millions de personnes. Depuis 1993 la croissance démographique a, selon des chercheurs de l’Union africaine, dépassé celle de la production alimentaire sur le continent, avec pour résultat une augmentation du nombre des personnes souffrant de la faim en Afrique.
L’un des obstacles majeurs à l’amélioration de la productivité est la détérioration constante des sols. Pour Amit Roy, directeur du Centre international pour la fertilité du sol et le développement agricole (International Fertilizer Development Center, IFDC), un institut basé aux Etats-Unis et chargé de promouvoir le progrès agricole dans les pays en développement, «quand les agriculteurs ensemencent les mêmes champs d’une saison à l’autre et qu’ils n’ont pas les moyens de remplacer les nutriments que leurs cultures absorbent, on peut dire que les sols sont, littéralement, surexploités.»
On estime ainsi à 8 million de tonnes la quantité de nutriments épuisés chaque année. Il est donc impératif que les sols soient réalimentés en potassium, phosphore et autres minéraux absorbés par les plantes pour que les rendements agricoles se maintiennent. La solution est en partie d’améliorer les méthodes agricoles – que ce soit en diversifiant les cultures, en améliorant les pratiques de conservation des sols ou en utilisant de meilleures semences et des technologies nouvelles.
«Traditionnellement, les agriculteurs africains pratiquent la culture sur brûlis, poursuit-il. Ils brûlent un bout de terrain et le cultivent pendant une saison ou deux, avant de défricher un nouveau terrain en laissant le terrain qui a servi en jachère.» Mais la croissance de la population et les pénuries de plus en plus importantes des terres ont obligé les agriculteurs à cultiver les mêmes champs de manière répétée, avec pour résultat des terres pauvres en nutriments, des récoltes moins importantes et des revenus en baisse. Ces pressions poussent les agriculteurs à défricher des terres peu aptes aux cultures, contribuant ainsi à l’érosion des sols alors même que l’augmentation des rendements des récoltes reste limitée. On estime que quelques 50 000 hectares de forêts et 60 000 hectares de savane sont perdus chaque année du fait de ces méthodes agricoles, contribuant à la fois à de sérieuses dégradations pour l’environnement et à un déclin de la production agricole par habitant.
Selon le PDDAA, les agriculteurs africains utilisent actuellement beaucoup moins d’engrais que leurs homologues du reste du monde. Le programme l’explique en termes on ne peut plus clairs : «Il existe un lien étroit entre la quantité d’engrais utilisée et les rendements céréaliers.»
Coûts élevés, ruptures de stocks
Les agriculteurs africains dépendent fortement d’engrais importés qui, combinés à des coûts de transports importants et à l’absence de fournisseurs en milieu rural, les obligent à payer ces engrais deux à six fois plus cher que le coût mondial moyen – et ce alors même que les familles d’agriculteurs africains sont des millions à survivre avec moins d’un dollar par jour. Pour ces familles, l’importation d’engrais n’est tout simplement pas viable.
Et pourtant, il semble prouvé désormais que même en quantité limitée, les engrais – que ce soit l’azote, le phosphore ou le potassium – ont des effets décisifs sur les cultures. En Ethiopie, une étude a montré qu’un unique bouchon d’engrais chimique versé au pied de chaque plant de millet augmentait le rendement total de la récolte de manière exponentielle. La technique, connue sous le nom de «microdosage», permet de réduire les coûts et d’éviter d’endommager les sols les plus fragiles par l’usage excessif d’engrais. Elle est considérée comme particulièrement adaptée aux petits exploitants africains.
Les partisans d’une agriculture durable mettent en garde contre l’utilisation trop intensive des engrais chimiques dans les exploitations et évoquent des risques environnementaux pour les sols et les sources d’eau potable, tel que cela s’est produit par exemple lors de la «révolution verte» en Asie. Ils défendent la position selon laquelle les agriculteurs africains devraient utiliser le fumier animal, le compost ou d’autres engrais biologiques. Il s’agit pour les agriculteurs de mieux intégrer élevage et culture des sols, le bétail et les autres animaux d’élevage leur permettant non seulement de disposer de fumier, mais aussi d’une traction animale pour le labour et de moyens de transport des récoltes.
Les engrais biologiques ont leur importance, répond Amit Roy, mais ils ont aussi leur limite. «La qualité du fumier dépend de la qualité de l’alimentation de ces animaux», explique-t-il. Quand les sols sont appauvris, «le fourrage contient trop peu de ces nutriments dont ont justement besoin les cultures». Les seuls engrais biologiques «ne sont certainement pas la réponse à la crise de la fertilité des sols en Afrique. Nous devons utiliser plus d’engrais – qu’il soit biologique ou chimique».
Le PDDAA est du même avis. Selon la nouvelle approche intégrée de l’agriculture africaine défendue par le NEPAD, «les engrais minéraux et la matière organique sont traités comme compléments, plutôt que substituts».
Accroître la production locale d’engrais constitue un moyen d’en faciliter la distribution à des prix plus abordables, pour réduire les coûts et la pression sur les réserves en devises étrangères, tout en raccourcissant la chaîne d’approvisionnement des agriculteurs. Même si l’Afrique ne consomme qu’1% de la production mondiale d’engrais (et en produit encore moins), les perspectives de fabrication d’engrais à des fins commerciales sont bonnes. L’azote fait partie des éléments les plus communs au monde, mais sa conversion en vue d’une utilisation pour les plantes est coûteuse en énergie. Amit Roy note que les vastes réserves encore inexploitées de gaz naturel d’Afrique de l’Ouest en font une région idéalement équipée pour la fabrication d’engrais à base d’azote. L’Afrique dispose aussi de larges réserves de phosphore et exporte déjà ce minerai vers la Chine ou l’Inde, où il est utilisé par les agriculteurs de ces pays.
Mais l’investissement dans les engrais n’interviendra qu’en réponse à une demande plus importante des agriculteurs eux-mêmes, explique encore Amit Roy. Convaincre les exploitations familiales africaines que l’achat d’engrais est un investissement judicieux nécessitera des améliorations significatives dans le réseau des transports et d’infrastructures en milieu rural, le développement d’un réseau de fournisseurs et de marchés et une amélioration des recettes financières, notamment grâce à une protection améliorée contre les fluctuations des prix et la concurrence subventionnée des pays du Nord.
«Les engrais ne sont pas la réponse à tout»
«Les engrais ne sont pas la réponse à tout», reconnaît cependant Amit Roy. L’engrais ne sert à rien s’il arrive trop tard, ou si les cultures ne sont pas arrosées, ou encore si les récoltes ne peuvent être vendues. Les agriculteurs le savent et c’est pourquoi le PDDAA est aussi important : les besoins des agriculteurs y sont abordés de manière globale.»
L’irrégularité des pluies dans de grandes parties de l’Afrique orientale et australe, signifie qu’il est également urgent d’accroître la superficie des terres irriguées. L’ancien Directeur-général du Programme alimentaire mondiale Jacques Diouf avait fait part de son étonnement à un groupe de ministre africains de l’agriculture face à la faible proportion des terres arables irriguées en Afrique subsaharienne (autour de 4%), comparée à l’Asie où cette proportion atteint 38%. Alors même que l’Afrique dispose d’abondantes réserves d’eau, il soulignait que «la région utilise moins de 3% de ses ressources en eau, le pourcentage le plus faible dans le monde en développement». Un autre défi concerne la reconstruction des réseaux de fournisseurs et de commercialisation, afin que les agriculteurs soient encouragés à produire plus. Jadis, des comités de commercialisation agricole existaient au sein des gouvernements. Ils assuraient certaines de ces tâches tout en offrant une stabilité des prix, des services de prolongement de crédit, des semences et des technologies de meilleure qualité aux agriculteurs.
Si Amit Roy voit dans la participation croissante du secteur privé aux activités de commercialisation et de fournitures d’intrants agricoles une solution à long terme. Il reconnaît aussi que les taux de pauvreté élevés en milieu rural et les besoins importants en «bien publics», tels que les routes ou les marchés, offrent aux gouvernements africains un rôle clef d’encouragement à l’investissement privé.
L’extension et l’amélioration de l’efficacité des services de vulgarisation peuvent aussi générer d’important dividendes en améliorant les techniques de gestion des terres et d’eau ou en en introduisant de nouvelles techniques (comme la rotation des cultures ou le mélange des semences sur une même exploitation), et en faisant bénéficier plus rapidement les agriculteurs de l’expertise scientifique et des nouvelles technologies.
«Le cultivateur africain est souvent une cultivatrice, rappelle Amit Roy. Et une bonne agricultrice est celle qui parvient à nourrir sa famille, son pays et son continent si on lui donne les outils et la possibilité d’y parvenir».
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Avec Afrique Renouveau