Pour les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) qui débutent mardi 26 juillet à Cracovie, et trois ans après son élection, le pape François se rend en Pologne, la patrie de Jean-Paul II. Mais il n’y est pas forcément le bienvenu.
Entre le pape François et ses ouailles polonaises, les relations n’ont jamais été au beau fixe. Loin de l’enthousiasme suscité par le pontificat du polonais Jean-Paul II, qui a presque détrôné le Christ lui-même dans le cœur de ses compatriotes, le nouveau pape inquiète la hiérarchie et provoque l’ire d’une partie des croyants depuis son arrivée au Vatican. Les principaux points d’achoppement : l’opulence de l’Eglise, la politique envers les immigrés et même l’écologie. Dans la très catholique Pologne, où 95 % de la population se déclare croyante, 13 % déclare ouvertement que le nouveau pape n’est pas pour eux un modèle à suivre.
Si le quotidien Rzeczpospolita, proche du pouvoir, contredit de telles accusations en titrant que « l’Eglise polonaise est celle du pape François », ou que la Conférence de l’épiscopat polonais publie un communiqué pour dire que les catholiques polonais aiment le pape François, il semble qu’il s’agit de vœux pieux plutôt que de réalités. Même le très catholiqueGosc Niedzielny L’invité du dimanche prépare ses lecteurs aux paroles critiques de François : « il aura probablement pour nous des vérités qui dérangent » peut-on lire dans ce quotidien.
L’opulence de l’Eglise polonaise suscite les critiques
Car dès les premiers mots de son pontificat, le pape François a mis l’Eglise polonaise dans l’embarras. En appelant à l’humilité et à la pauvreté, le nouveau pape s’est mis à dos les hiérarques de l’Eglise polonaise et a délié quelques langues.
L’archevêque Jozef Michalik a eu beau expliquer aux fidèles réunis au sanctuaire de Czestochowa que la richesse de l’Eglise polonaise ne leur était pas préjudiciable, cette opinion n’est plus partagée par tout le monde. Les critiques se dirigent par exemple vers l’archevêque de Gdansk, Slawoj Glodz, qui avec ses limousines, sa villa rénovée et ses banquets mondains a défrayé la chronique.
Au couvent des sœurs franciscaines de Varsovie, un ordre qui a érigé la modestie en vertu, la sœur Helena est ravie que le pape ait pris le nom de son patron François : « Beaucoup de nos évêques devraient écouter ces paroles ! Car ils sont nombreux à trop s’attacher à des biens matériels. Ils roulent en voitures de luxe. Ils habitent des palais et ils ne donnent pas le bon exemple. C’est bien que le pape François ait rappelé les vraies valeurs ! »
Les comptes de l’église polonaise demeurent un secret très bien gardé. Car loin des cas personnels comme celui de l’archevêque de Gdansk, l’Eglise s’enrichit dans l’ombre, grâce aux dons des fidèles, mais surtout en récupérant les biens immobiliers nationalisés à l’époque communiste. Pour gérer ces demandes de restitution, une commission spéciale a été mise sur pied juste après l’avènement de la démocratie en Pologne en 1989. Grâce à cette commission, en 20 ans, l’Eglise polonaise aurait empoché plus d’un milliard d’euros. Mais pas toujours d’une manière très honnête. Les expertises des biens étaient faussées. L’Eglise est devenue championne de la spéculation immobilière : elle a revendu à des promoteurs les biens récupérés et empoché de très confortables profits. Face à la multiplication de ces fausses expertises, la commission a été dissoute en 2011.
Kataszyna Wisniewska a consacré un chapitre de son livre La bataille pour l’Eglise à cette question. « Comme le montrent les nombreux procès en cours à l’encontre de la commission des restitutions des biens ecclésiastiques, il y a eu beaucoup de malversations, affirme-t-elle. Ce fut le cas à Cracovie, où l’Eglise a récupéré beaucoup plus que ce qu’elle a perdu. »
L’engagement du pape en faveur des réfugiés provoque la colère
Si les appels du pape François à l’humilité et dénuement embarrassent, son discours sur la nécessité d’accueil des immigrés comme un devoir chrétien a déclenché une véritable colère. Les médias sociaux d’extrême droite attaquent le pape depuis qu’il a lavé les pieds de quelques immigrés syriens lors de la fête de Pâques. Le leader des nationalistes polonais, Marian Kowalski, pourtant ultra-catholique, s’est dit énervé par François. La nouvelle star des nationalistes polonais, le prêtre Jacek Miedlar, lui a emboité le pas et a critiqué cette politique de multiculturalisme. La haine de l’autre, surtout s’il est musulman, n’est pas généralisée dans le pays, mais elle est véhiculée via la radio Maryja et la télévision Trwam ultra-catholique du père Tadeusz Rydzyk.
« L’Eglise de Rydzyk incarne un courant qui a depuis longtemps été présent dans l’Eglise polonaise. Dans les années 1930 ce courant se caractérisait par le nationalisme, la xénophobie, l’antisémitisme, affirme Adam Szostkiewicz, sociologue spécialiste de l’Eglise. Tout comme aujourd’hui, ce courant est agressif et excluant. Il n’a pas d’opposants, il n’a que des ennemis. »
Cette Eglise, même si elle est minoritaire, a un fort impact médiatique. Les prêtres et les évêques tolèrent cette frange d’extrême droite car elle est surtout composée de jeunes, qui sont de fervents catholiques. Ils ont contribué à la victoire des conservateurs au pouvoir et s’appuient volontiers sur l’empire médiatique du père Rydzyk. Un signe révélateur : il y a beaucoup moins de pèlerins polonais aux JMJ que prévu – les jeunes croyants préfèrent se rendre dans d’autres sanctuaires que ceux visités par le pape.
Tous les croyants en Pologne ne partagent pas les opinions de cette poignée d’ultras, mais on ne les entendait pas jusque-là. Ils devraient être plus en vue lors des JMJ. Près de 60 000 bénévoles et des centaines de familles sont en train d’accueillir des jeunes du monde entier.
Ce que le discours d’ouverture et de tolérance du pape François met en lumière, ce sont les fractures profondes au sein de l’Eglise catholique, les mêmes qui traversent aujourd’hui la société polonaise. Depuis quelques années, c’est la frange la plus extrême, mais pas forcément majoritaire, qui s’est fait le plus entendre. Reste à savoir si la visite du pape François y changera quelque chose.
avec RFI