Avant-hier fils de millionnaire, millionnaire, membre du tout-puissant clan Mobutu. Hier chef de guerre puis vice-président de la RD Congo. Aujourd’hui en prison, probablement pour longtemps.
Longtemps, il se demandera pourquoi il s’est lancé dans la politique, un virus doit être sans remède pour que le premier avertissement qu’aurait dû constituer la fin tragique de son premier mentor, le tout-puissant Mobutu Sese Seko, n’ait pas servi d’antidote.
Après une enfance dorée de fils du millionnaire Jeannot Bemba Saolona, Jean Pierre Bemba Gombo n’avait connu que facilité. En plus d’être le fils du patron des patrons zaïrois, Jean Pierre avait réussi de très bonnes études. Licence en sciences commerciales et consulaires à Bruxelles, puis maîtrise en business aux Etats-Unis, où il apprend également à piloter.
De retour au pays, il est tout désigné pour s’occuper des entreprises de son père, parmi lesquelles Scibe Zaïre, une compagnie d’aviation qui fait la pluie et le beau temps au point de précipiter la faillite de la compagnie nationale Air-Zaïre. Au début des années 90, il se lance dans les télécommunications avec la création de Comcell, pour concurrencer Télécel qui détient le monopole de la téléphonie cellulaire zaïroise. Son père n’est pas seulement millionnaire et président de l’ANEZA (Association nationale des entreprises du Zaïre) pendant une quinzaine d’années. Il a fait alliance avec le maréchal Mobutu, qui règne sans partage sur le Zaïre. La sœur de Jean Pierre Bemba s’est mariée avec un des fils du maréchal, Joseph Nzanga Mobutu, actuel ministre d’Etat en charge de l’Agriculture.
Millionnaire en dollars
Peu à peu, il abandonne les affaires familiales pour s’occuper de ses propres entreprises. Il reste dans l’aviation en se spécialisant dans le cargo, tout comme l’audiovisuel avec la création des chaînes de télévision Canal Kin et Canal Congo Télévision.
Il devient aussi l’un des nombreux conseillers du maréchal. Mais un conseiller proche, écouté. Sa fortune, alors, n’est pas connue avec exactitude. Il est certain qu’il est multimillionnaire en dollars. Mais il n’a probablement pas su appliquer ses leçons de management car, malgré tous ses atouts, toutes ses affaires périclitent une à une. Le coup de grâce est donné par Laurent Désiré Kabila, qui chasse du pouvoir Mobutu et contraint les Bemba à l’exil, comme tous les proches du maréchal qui ont préféré sagement quitter le navire. Ce premier revers d’abord lié à son alliance politique avec Mobutu ne le détourne pas du champ politique. A moins que ce ne fût pour renflouer des caisses déjà mises à mal par le gaspillage et le goût du luxe.
Il n’a probablement pas su appliquer ses leçons de management car, malgré tous ses atouts, toutes ses affaires périclitent une à une.
Exil
En 1997, après l’entrée dans Kinshasa de Laurent Désiré Kabila, c’est le début de la chasse aux sorcières. Les Etats-Unis voient-ils en lui un autre Savimbi, l’Angolais qui a longtemps fait pièce aux forces d’Agostino Neto, réputé communiste ? Lui, que personne ne croyait capable de se muer en opposant militaire, crée en 1998 le Mouvement de libération du Congo (MLC) et son bras armé, l’Armée de libération du Congo (ALC), avec le soutien des troupes ougandaises. Décidément, imprévisible, il bénéficiera aussi en 2002 de l’appui de la Libye. Il a les moyens de créer une véritable enclave dans le pays devenu République démocratique du Congo. Il peut se refaire une santé financière grâce aux revenus tirés de l’exploitation des diamants qu’il exporte via la République centrafricaine voisine. Il n’entend pas être absent de la lutte pour le pouvoir. Son allié est Ange-Félix Patassé, qu’il finit par soutenir militairement. C’est cet épisode qui lui vaut aujourd’hui les poursuites de la Cour pénale internationale. Lors de ces interventions, ses milices sous-payées se livrent aux pires exactions : vols, viols, pillages. Il est même question de cannibalisme bien que, sur ce plan, les témoignages s’avèrent contradictoires.
Malgré ce triste bilan, le personnage est incontournable dans le processus de réconciliation nationale. La communauté internationale n’en peut plus de l’interminable crise des Grands Lacs. Il faut sauver la RD Congo. Cela vaut bien quelque voile pudique sur les atrocités.
Vice-président
Il est nommé vice-président du gouvernement de transition dans le cadre du processus de paix le 30 juin 2003. La transition débouche sur l’élection présidentielle d’octobre 2006. Candidat, il propose un contrat social : alternance pour la reconquête du Congo qui s’articule autour de trois axes : la sécurité, la justice et le développement. Ce n’est toutefois pas à ce programme qu’il doit son bon score, mais davantage à sa contestation tonitruante des origines congolaises de Joseph Kabila. S’il arrive deuxième au premier tour de la présidentielle avec plus de 20% des suffrages exprimés, il le doit à sa région d’origine, l’Equateur, mais aussi à Kinshasa, principalement dans les quartiers populaires réputés frondeurs. Au 2e tour, il totalise 42% des suffrages, introduit plusieurs recours auprès de la Cour suprême, mais n’obtient pas gain de cause.
Les élections sénatoriales du 19 janvier 2007 lui offrent une forme de revanche. Il est élu sénateur. Toutefois, la tension avec le camp présidentiel ne s’attenue pas. Elle dégénère le 22 mars 2007 en une bataille qui fait 600 morts en pleine ville.
Jean-Pierre Bemba est contraint de fuir la RDC le 11 avril 2007 pour se rendre au Portugal, officiellement pour y soigner une vieille blessure à la jambe. Malgré l’exil, il paraît incontournable pour le retour de son pays à la paix. Le 13 juillet 2007, le commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire Louis Michel le rencontre dans le cadre de la médiation qu’il entreprend. Il est tout heureux de pouvoir déclarer que « M. Bemba reconnaît la légitimité de ces institutions [de la RD Congo, Ndlr] et de ceux qui les représentent. Il s’est engagé à conduire son action politique en dehors de toute démarche armée. De plus, il entend reconnaître à la majorité présidentielle “le bénéfice du doute” et laisser le temps opératoire nécessaire à la mise en œuvre du projet de la majorité. »
Les Etats-Unis ont lâché le milliardaire reconverti en chef de l’opposition. Ils financent discrètement les enquêtes du procureur de la Cour pénale internationale.
Traque
Mais le jeu des alliances a une nouvelle fois changé. Les Etats-Unis ont lâché le milliardaire reconverti en chef de l’opposition. Ils financent discrètement les enquêtes du procureur de la Cour pénale internationale, Moreno Ocampo, qu’ils ne reconnaissent pourtant pas. La traque est lancée. Une fois le dossier ficelé, la messe est dite. Il ne reste plus qu’à l’arrêter.
Les Belges ne souhaitent pas que cela se passe sur leur territoire en raison de la présence de nombreux Congolais. Las, la CPI n’attend pas son retour au Portugal, sa terre d’exil. Le 24 mai dernier, l’ancien vice-président de la RD Congo est jeté en prison pour « crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, commis entre 2002 et 2003 en territoire centrafricain par les troupes du Mouvement de libération du Congo, MLC ».
Ce géant, à l’allure imposante, né le 4 novembre 1962 à Bokada, dans la province de l’Équateur, aura du mal à se tirer d’affaire malgré son bagout et son habileté.
« Igwe »
Igwe, le surnom dont l’ont affublé ses partisans en référence à l’autorité traditionnelle du Nigeria, popularisé par les films nigérians en vogue sur les petits écrans congolais, malgré la mobilisation de ses militants qui ont multiplié les manifestations à Kinshasa et à Bruxelles, n’a pas obtenu sa libération provisoire. Igwe risque bien de ne plus exercer son autorité naturelle que sur ses codétenus.
avec lesafriques