Leader des dessertes entre le continent et l’Europe, le groupe franco-néerlandais veut davantage diversifier son réseau long-courrier en s’appuyant notamment sur ses partenaires ivoirien et kényan.
Pour son premier déplacement en Afrique de l’Ouest, c’est au Ghana que s’est rendu le 28 février Jean-Marc Janaillac, PDG d’Air France-KLM depuis juillet 2016, à l’occasion du vol inaugural Paris-Accra de la compagnie française. De là, il a entrepris une tournée qui l’a mené à Abidjan, où il a pu discuter avec le président du conseil d’administration d’Air Côte d’Ivoire, le général Abdoulaye Coulibaly, des projets de partage de code qui devraient lui permettre d’accroître son réseau en Afrique de l’Ouest.
Faire face à la chute de trafic
Cela a aussi été l’occasion pour le patron d’Air France-KLM d’annoncer qu’il participera à l’augmentation du capital de l’opérateur ivoirien – son principal partenaire sur le continent africain, avec Kenya Airways. Si le groupe franco-néerlandais reste leader sur le continent, il doit composer avec une situation globale délicate. Le holding affiche, certes, près de 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016, avec plus de 1 milliard d’euros de bénéfices, soit un résultat en hausse de 34,5 % par rapport à 2015.
Mais Air France, qui a particulièrement souffert d’une chute de trafic sur son marché principal à cause des attentats en France, doit trouver un nouveau modèle économique face à ses concurrents du Golfe et aux compagnies low cost long-courriers comme Norwegian. « Paradoxalement, chez nous, des lignes qui sont parmi les plus remplies comme le Paris-Bangkok sont celles qui perdent le plus d’argent, car ce n’est plus la compagnie qui fixe le prix du billet, mais le marché », relève un haut dirigeant du groupe.
Nous restons ouverts à tout nouveau partenariat avec une compagnie africaine
La création de la filiale à coûts réduits Boost sur les lignes les moins rentables, validée par 58 % des pilotes mi-février, censée remédier à cette situation, doit encore être acceptée par l’ensemble des salariés, ce qui est loin d’être gagné.
Entouré de Patrick Alexandre, directeur général adjoint, et de Frank Legré, directeur général Afrique, Jean-Marc Janaillac a répondu aux questions de Jeune Afrique, juste avant l’atterrissage à Accra.
Jeune Afrique : L’ouverture de la ligne d’Air France vers Accra procède-t‑elle d’un rééquilibrage du réseau avec KLM, historiquement présent en Afrique anglophone ?
Jean-Marc Janaillac : Il faut plutôt le voir comme le signe que la destination et le marché sont suffisamment intéressants et dynamiques pour que l’on puisse avoir les deux compagnies présentes. KLM, qui est active au Ghana depuis cinquante-sept ans, dessert Accra en quotidien, avec des coefficients de remplissage très élevés. Il nous a paru utile d’avoir des vols supplémentaires.
Les proposer sur Air France plutôt que sur KLM nous permet d’accroître l’effet réseau : les passagers ont désormais la possibilité d’aller en Europe soit via Paris, soit via Amsterdam. Le hub de Roissy est plus relié à l’Europe du Sud que celui d’Amsterdam. Cela fait partie de notre stratégie de groupe d’avoir deux offres en combinant les deux hubs. Jusque-là, seules quatre villes en Afrique étaient desservies par les deux compagnies : Johannesburg, Le Cap, Luanda et Lagos.
Dans la période de difficultés que vous traversez actuellement, comment résistez-vous sur vos différents marchés à l’international ?
L’important pour Air France-KLM, c’est d’avoir le réseau long-courrier le plus diversifié possible. Le groupe a par rapport à ses grands concurrents de l’Europe et du Golfe un réseau extrêmement bien équilibré entre l’Asie, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine et l’Afrique. À l’époque où il y avait des soucis sanitaires ou économiques en Afrique, c’était important d’avoir des marchés asiatiques fortement émetteurs de touristes vers l’Europe et la France.
Le business est fortement lié au moral des ménages qui partent en vacances
À l’heure où ceux-ci désertaient l’Europe, l’Afrique compensait avec ses flux plus réguliers. Sur ce continent, la position de leader que nous occupons sur les liaisons avec le continent européen nous sert de pôle de stabilité et nous permet de dépasser les phénomènes conjoncturels.
L’issue plus qu’incertaine des prochaines échéances électorales en France influe-t‑elle sur votre visibilité à court terme ?
Ce qui nous intéresse, ce n’est pas l’environnement politique mais l’environnement économique. Après deux années moroses, la situation économique de ce début d’année se caractérise par un retour au vert de beaucoup d’indicateurs : d’activité, de confiance des chefs d’entreprise…
Et le taux de réservation est plutôt positif. On note un retour de nos touristes chinois et japonais et une meilleure forme économique du Brésil. Pour nous, le business est fortement lié au moral des ménages qui partent en vacances et à celui des chefs d’entreprise qui vont investir à l’étranger.
Les coûts sociaux et les taxes sont beaucoup moins favorable en France qu’aux Pays-Bas
On entend cependant bien profiter du débat électoral français pour rappeler aux candidats qu’il est absolument nécessaire de nous assurer un environnement fiscal et social qui nous permette de lutter à armes un peu plus égales avec nos concurrents.
KLM s’en sort mieux qu’Air France. Pourquoi ?
Effectivement, les résultats de 2016 de KLM ont été meilleurs que ceux d’Air France. À cela il y a des explications conjoncturelles, notamment les attentats de novembre 2015 à Paris et de juillet 2016 à Nice, qui ont fait perdre 150 millions d’euros de résultats à Air France, ou encore les 100 millions d’euros dus aux deux grèves…
Structurellement, il y a aussi une différence de rentabilité que nous pouvons en partie corriger en étant plus compétitifs, mais aussi des phénomènes qui nous dépassent : on a un environnement beaucoup moins favorable en France qu’aux Pays-Bas en matière de coûts sociaux et de taxes.
Dans le contexte actuel de hausse du dollar et des taux d’intérêt et de rebond des cours du pétrole, comment se définit votre stratégie africaine ?
Elle consiste premièrement à continuer à nous renforcer sur les liaisons entre l’Afrique et l’Europe. Aujourd’hui, nous avons 51 destinations en Afrique et 480 vols par semaine, avec une part de marché supérieure à 20 %. Nous entendons conserver cette position et pour cela continuer à ouvrir de nouvelles lignes, chez KLM en particulier.
L’augmentation de notre facture de pétrole sera de 100 millions de dollars en 2017
Nous développerons également des liaisons intra-africaines et de l’Afrique vers l’Asie avec nos deux partenaires africains, Air Côte d’Ivoire à l’ouest et Kenya Airways à l’est, afin d’avoir une présence plus importante en Afrique et pas seulement entre l’Europe et l’Afrique. Notre position doit nous permettre d’aider tous nos partenaires à l’international, comme Delta Airlines, à voler sur notre réseau africain. Nous restons ouverts à tout nouveau partenariat avec une compagnie africaine, à condition qu’il soit cohérent avec ceux que nous avons déjà.
Le rebond des cours du pétrole constitue-t‑il un avantage pour certaines de vos dessertes africaines ?
Pour nous, la balance des coûts et des recettes penche plutôt du côté des coûts. Pour autant, les hausses restent assez modérées : l’augmentation de notre facture de pétrole sera de 100 millions de dollars [94 millions d’euros] en 2017 et de 200 millions de dollars en 2018. Paradoxalement, nous espérons que l’économie pétrolière va repartir, car nous comptons Total parmi nos principaux clients en Afrique.
Pour nous, l’idéal, c’est un pétrole qui augmente, mais pas trop. Une relative stabilité nous permet d’anticiper et de maîtriser notre budget.
Pour vous qui cherchez à limiter vos coûts, l’Afrique n’est-elle pas le terrain idéal pour lancer votre compagnie à bas coût Boost ?
Non, pas vraiment, parce que Boost a pour vocation de lutter contre les concurrents que sont les compagnies du Golfe vers le Sud-Est asiatique, en rendant rentables des lignes où l’on perd beaucoup d’argent et en rouvrant des lignes abandonnées. Mais pour assurer de bonnes rotations, il n’est pas exclu qu’un avion qui se dirige vers l’Asie puisse faire un vol soit vers l’Afrique, soit vers le continent américain.
Vous participerez à une augmentation du capital d’Air Côte d’Ivoire (déjà détenu à 10,8 %). Comment évoluera votre partenariat ?
On est très admiratifs de la façon dont cette compagnie monte en puissance avec un réseau qui fonctionne, un produit de grande qualité, une grande ponctualité. Elle doit encore passer un certain nombre d’audits pour obtenir les certifications qui lui permettront d’être en partage de codes avec nous, c’est imminent. Notre partenaire Middle East Airlines [MEA] sera par exemple extrêmement intéressé de conforter sa position en Afrique de l’Ouest grâce à ces codes shares, compte tenu de l’importante communauté libanaise qui vit en Afrique.
L’arrivée en Europe de compagnies africaines ne constitue pas un tremblement de terre pour nous
Vous misez beaucoup sur le hub de Kenya Airways à Nairobi pour vous déployer en Afrique de l’Est et en Asie. Or cette compagnie connaît des difficultés financières. C’est un frein à vos ambitions ?
La principale passerelle pour entrer en Afrique depuis l’Asie est Nairobi. Mais soyons clairs : notre partenaire est en difficulté parce qu’il est asphyxié par la concurrence des compagnies du Golfe. En Éthiopie, une meilleure régulation préserve Ethiopian Airlines. Kenya Airways a réagi à la hauteur des problèmes par des ventes d’avions et une forte restructuration du réseau pour se recentrer sur ses dessertes nationales et consolider ses parts de marché vers Londres par les Pays-Bas.
Au travers de KLM, nous avons 27 % du capital de cette compagnie et nous avons des projets de développement de lignes vers le Kenya au départ de la France dans les prochains mois.
Les difficultés s’amoncellent aussi au Nigeria. Comment y voyez-vous votre avenir ?
Ce pays connaît des difficultés financières passagères, qui nous incitent à la prudence dans la gestion de notre trésorerie sur place. Mais nous lui restons fidèles et maintenons nos trois destinations : Lagos, Abuja et Port Harcourt. Nous gérons au mieux les capacités pour privilégier certains marchés d’Amérique et du Royaume-Uni qui apportent des ressources en devises au Nigeria. Nous n’avons pas l’intention d’y réduire notre offre, bien au contraire.
Vous avez parlé de la concurrence des pays du Golfe, mais n’êtes-vous pas aussi menacés ici par des compagnies africaines qui veulent assurer des liaisons vers l’Europe ?
La concurrence existe déjà en Afrique avec British Airways, Brussels Airlines, Turkish Airlines. On respecte tout à fait le choix des compagnies africaines comme Asky qui veulent venir en Europe, mais ce n’est pas un tremblement de terre pour Air France.
Avec jeuneafrique