Le Sénégalais, à la tête de la FAO, vient de réunir le gotha mondial mais il n’a pas réussi à convaincre que l’élimination de la faim est aussi une nécessité économique.
Les avis sont partagés. Le directeur général de l’Organisation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, le Sénégalais Jacques Diouf, s’est dit satisfait de son sommet mondial. Ce n’est pas l’opinion la plus généralement exprimée.
Mais Jacques Diouf savait bien que son sommet ne pouvait prétendre changer l’ordre du monde. Sa mesure, c’est d’abord la présence des grands du monde. Gâté. Une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement et les responsables onusiens et des autres institutions internationales. Ce n’était pas gagné. Un rapport d’audit, commandité par lui-même a été très sévère sur l’institution qu’il dirige depuis quatorze ans déjà. Il est donc forcément comptable du bilan. Mais il a démontré que les tares les plus sévèrement critiquées ne relèvent pas de la direction générale de l’institution mais des gouvernements propriétaires, qui décident de son orientation et de ses moyens d’action, souvent, il l’a démontré, au mépris des propositions longuement préparées par l’institution.
Une chausse-trappe de plus, évitée par Jacques Diouf. Des peaux de banane, des accrocs dans sa longue carrière, il en a souvent connus. Il s’en est toujours relevé, encore que souvent, il n’ait que trébuché. Un insubmersible, disent ceux qui le connaissent depuis toujours.
Longues études
La veine, sans doute. Il en faut dans les milieux où il a fait carrière. La recherche, la politique, un peu, la fonction publique internationale. Milieux féroces s’il en est. Mais il n’a pas eu que de la chance. C’est qu’il y a été particulièrement bien préparé par ses études d’abord, et par sa carrière ensuite.
Né à Saint-Louis, au nord du Sénégal, le 1er août 1938, il y entame ses études. Primaires à l’École Duval, secondaires au lycée Faidherbe, sanctionnées par un baccalauréat, sciences expérimentales. Cap sur la France pour les meilleurs élèves dont il était. Il décroche un diplôme d’ingénieur en agronomie à l’École nationale d’agriculture de Grignon-Paris. Il se spécialise ensuite en agronomie tropicale. Nouveau diplôme d’ingénieur en agronomie tropicale à l’École nationale d’application d’agronomie tropicale de Nogent, à Paris toujours. Sa soif de savoir n’est pas pour autant étanchée. Il y ajoute un doctorat ès sciences sociales du monde rural à la Sorbonne.
Dans son domaine, il a tous les diplômes qui comptent mais il sait que sa formation gagnerait à s’élargir à la gestion et à la pratique de l’anglais. L’American Management Association de New York pourvoit aux deux. Certificat supérieur en gestion des entreprises et en prime, maîtrise de l’anglais.
Riche carrière
Si bien diplômé, Jacques Diouf n’a, à la fin de ses études, nulle difficulté à trouver à s’employer. Dès 1963, il est nommé directeur du Programme agricole de l’Office de commercialisation agricole. Pour quelques mois seulement. En 1965, il devient secrétaire exécutif du Conseil africain de l’arachide, à Lagos au Nigéria. L’organisme a fort à faire. L’arachide commence à subir la concurrence d’autres huiles.
Des peaux de banane, des accrocs dans sa longue carrière, il en a souvent connus. Il s’en est toujours relevé. Un insubmersible, disent ceux qui le connaissent depuis toujours.
En 1971, il quitte pourtant pour un autre organisme, cette fois, plus tourné vers la recherche. Il est élu secrétaire exécutif de l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest, à Monrovia au Libéria.
Sa carrière internationale s’achève toutefois pour une arrivée au Sénégal par la grande porte. Il est nommé en 1978, secrétaire d’État à la Recherche scientifique et technique de son pays. Expérience plutôt courte. Le président Abdou Diouf donne un tour plus politique à son gouvernement en 1983. Jacques Diouf ne fait pas partie des ministres politiques. Il a bien essayé de militer à Saint-Louis, sa ville natale, mais sans grand succès. Exit Jacques. Il doit se contenter d’un mandat peu valorisant de député. Il s’ennuie ferme.
CRDI
Il ne tient pas plus de deux ans. En 1984, le Centre canadien de Recherche pour le Développement international, CRDI, le récupère. Puisque son pays peut se passer de sa riche expérience de recherche, le Canada le nomme conseiller du président et directeur régional.
C’est peut être ce qui incite son pays à le rappeler en 1985 pour le bien juteux poste de secrétaire général de la BCEAO à Dakar qui revient traditionnellement au Sénégal. A priori, il n’a pas le profil de l’emploi. Pourtant il y demeure six bonnes années.
Il ne partira que pour reprendre une fonction internationale. Encore éloignée de ses compétences. En mai 1991, il est accrédité comme ambassadeur à la Mission permanente du Sénégal aux Nations Unies.
Consécration
En 1993, c’est la consécration. Jacques Diouf est élu, directeur général de la FAO, le 8 novembre. Une élection difficile, remportée après quatre tours de scrutin. La diplomatie sénégalaise a bien sûr été mobilisée par le président Abdou Diouf.
« Tout être doué de raison devrait comprendre sans difficulté l’énorme avantage, pour les producteurs de biens et de services, de la transformation de 200 millions d’affamés en consommateurs. »
Mais le seul soutien africain n’aurait jamais suffi. Jacques a apporté sa grande connaissance, sa bonne réputation avérée dans les milieux internationaux de la recherche et des politiques agricoles. Auprès de ceux qui comptent dans ce domaine, il a eu l’occasion de faire la preuve de sa compétence. La liste est interminable : Groupe consultatif de la recherche agricole internationale à Washington, conseil d’administration des centres internationaux de recherche agricole : CIRAF (Kenya), SIRAN (Pays-Bas), IITA (Nigeria), Institut international de recherche scientifique pour le développement en Afrique (Côte d’Ivoire), Fondation internationale pour la Science (Suède), Conseil de la Fondation islamique de la science et la technologie pour le développement (Arabie saoudite), Comité consultatif de la recherche médicale et du Comité de transfert de la technologie, Conseil de l’Institut mondial de recherche pour le développement économique de l’Université des Nations unies, (Finlande)…
Elu dans la douleur la première fois, le renouvellement de son mandat passe comme lettre à la poste. 137 voix contre 26 à l’Argentin Juan Carlos Vignaud.
Persuader le monde
Dit-il aujourd’hui, mission accomplie ? Probablement pas. Son institution n’a pas réussi à aider son continent à se nourrir. Ce n’est pas faute d’avoir argumenté. Toutes les tribunes qu’il parcourt à longueur d’année, ne lui suffisent pas. Les grands journaux du monde publient ses articles. Sans relâche, il cherche à persuader le monde développé qu’il a intérêt à ce que l’Afrique, aussi, mange à sa faim. Dans Le Monde diplomatique de décembre 2004, il explique que« l’élimination de la faim n’est pas seulement un impératif d’ordre moral ou éthique, c’est aussi une nécessité économique… Selon une étude de la FAO, le produit intérieur brut (PIB) annuel par habitant en Afrique subsaharienne aurait pu atteindre, s’il n’y avait pas eu de malnutrition, entre 1000 et 3500 dollars en 1990, alors qu’il n’a pas dépassé les 800 dollars. Tout être doué de raison devrait comprendre sans difficulté l’énorme avantage, pour les producteurs de biens et de services, de la transformation de 200 millions d’affamés en consommateurs avec un pouvoir d’achat effectif. »
Il n’a guère été entendu. A Rome, la semaine dernière, il a comparé les 30 milliards nécessaires à l’éradication de la faim aux 1200 milliards dépensés pour tuer. Ce mandat, est probablement le dernier. Même si son prédécesseur, le Libanais Edouard Saouma, a dirigé la FAO pendant dix huit ans. Jacques Diouf, marié à Aïssatou Sèye, père de cinq enfants, rêve peut être d’un autre destin.
avec lesafriques