Nous avons rencontré Ismaël Sidibé dans les studios de la chaîne continentale Africable, au milieu de ses collaborateurs.
Ce Malien de 47 ans, marié et père de cinq enfants, est un passionné du monde des médias, qui s’enflamme dès qu’on parle de l’Afrique : « Comment pouvons-nous être pauvre avec toutes nos richesses ? », rétorque-t-il tout de go, avec cette fierté qui rappelle les grandes épopées de l’empire du Mali. « Notre premier rôle, nous médias, c’est de ne pas croire tout ce que l’on nous raconte. Tiens, par exemple, j’arrive à faire pousser des raisins sur le sol malien. » Et de fustiger cet africain là, assis sur l’or, le ventre en Chine et la tête en Europe. Pour l’infatigable travailleur qu’est Ismaël Sidibé, le salut du continent ne viendra pas de son sous-sol, mais d’abord de ses hommes.
A la tête de l’une des rares chaînes panafricaines basées sur le continent, il a eu le mérite d’avoir résisté à l’appel de l’étranger et de créer à partir de quelques idées un véritable projet intégrateur. Panafricaniste engagé, Ismaël Sidibé était, au moment où nous l’avions rencontré, en train de travailler d’arrache-pied à la dernière pièce de son projet du cinquantenaire : une caravane d’animateurs, de journalistes, d’intellectuels, qui va sillonner douze pays africains dans le cadre des festivités du cinquantenaire. Montant du budget, 2 millions d’euros. Le périple devait commencer le 2 mai 2010, au niveau du Monument de la Renaissance à Dakar, puis à Nouakchott, le 3 mai. La caravane mobiliserait 150 personnes, sur un trajet long de 25 000 km.
Les Afriques : Vous vous apprêtez à lancer une caravane pour marquer le cinquantenaire des indépendances de l’Afrique. Pourquoi une telle opération ?
Ismaël Sidibé : Le cinquantenaire des indépendances nous offre une formidable occasion de nous réunir pour faire le point sur l’état de notre continent. Même si les difficultés sont grandes, nous avons malgré tout progressé. L’idée de la Caravane est donc de permettre aux peuples africains de mieux se connaître et de partager leurs expériences respectives au cours des cinquante dernières années.
« En termes de chiffre d’affaires, nous avons dépassé les 2,5 milliards de FCFA en 2009. »
Pour ce faire, nous allons aller dans les capitales, mais aussi dans les villages les plus reculés, donner la parole aux citoyens africains, acteurs des indépendances, politiques, homme d’affaires, société civile et simples citoyens. C’est aussi l’occasion de célébrer l’intégration sous-régionale, et de l’encourager davantage, en montrant à tout un chacun qu’il peut être le vecteur de développement pour toute la sous-région. C’est dans ce cadre que la commission de l’UEMOA a choisi de nous accompagner, en tant que parrain officiel.
LA : Comment vous est venue l’idée de lancer une chaîne panafricaine ?
IS : Avant de fonder Africable, j’ai commencé par gérer un vidéo club, puis par poser des antennes paraboliques en Côte d’Ivoire et au Mali, en 1990, pour permettre aux foyers africains de recevoir les chaines internationales. Deux ans plus tard, j’ai fait une demande d’installation d’un réseau MMDS (télévision par micro-ondes), puis créé, en 1995, la société Multicanal, qui propose aujourd’hui encore un bouquet satellitaire de chaînes francophones telles que TV5, MCM Africa, CFI ou encore Canal Horizons. Ce n’est qu’en 2000 que l’aventure Africable a réellement débuté. Alors membre de l’association des Opérateurs privés de télévision d’Afrique (OPTA), j’ai créé avec des collègues du Togo, du Bénin et de Djibouti, une société de droit malien dénommée Africable. La nouvelle chaîne de télévision a démarré officiellement ses émissions le 24 avril 2001. Elle proposait alors depuis Paris un bouquet de chaînes cryptées, destiné à tous les opérateurs du réseau africain comme Excaf au Sénégal et Mediatrix au Togo. Mais, au bout d’une année, l’expérience a pris fin, faute de rentabilité. L’idée d’Africable nouvelle formule m’est venue, car je me suis rendu compte que notre continent n’était pas assez valorisé sur les chaînes étrangères et qu’il était même dévalorisé. Par ailleurs, aucune chaîne africaine ne parvenait réellement à s’imposer sur la scène continentale. J’ai donc relancé le projet à partir de Bamako, profitant de l’arrivée sur le marché d’équipements de régie et de diffusion numérique inédits, ainsi que du lancement de nouveaux satellites à destination de l’Afrique. J’ai alors été appuyé financièrement par le groupe Ecobank.
LA : Aujourd’hui, quel bilan faites-vous d’Africable ? Arrivez-vous à conserver vos parts de marché face aux puissants groupes comme Canal Horizons et aux nouvelles chaînes africaines basées en Europe ?
IS : Africable se porte plutôt bien et le bilan est positif. Nous avons fêté nos cinq ans en 2009 et ouvert des bureaux à Ouagadougou, Abidjan, Dakar et Libreville. Le nombre de collaborateurs de la chaîne dépasse la soixantaine et notre modèle fonctionne, car nous proposons un contenu africain, contrairement aux groupes comme Canal Horizons. Quant aux chaines africaines basées en Europe, je salue ces initiatives qui permettent aussi de montrer notre continent avec un regard africain, et donc plus positif. Cela dit, je m’interroge sur la pérennité de ces structures, dont les coûts de fonctionnement sont élevés, alors qu’elles s’adressent à un public et à des clients africains. L’exemple de Telesud, qui est passé plusieurs fois au bord de la faillite, est assez révélateur.
Nous sommes les premiers à avoir diffusé largement les séries et sitcoms africains, de même que des concepts de téléréalité comme Casa Sanga, la star academy africaine, ou ministar. Aujourd’hui, nous sommes convaincus que la bataille se jouera au niveau du contenu. Nous arrivons donc à maintenir nos parts de marché, voire à les élargir, car nous sommes une chaine généraliste, tout public, contrairement à Africa 24, qui ne traite que l’information. Nous avons encore de grosses marges de progression, dans la mesure où la chaîne n’est pas encore diffusée partout en hertzien. Cela dit, les Africains de la diaspora résidant en Amérique du Nord ou en Europe peuvent nous retrouver sur de nombreux bouquets, ce qui a fortement contribué à élargir notre audience. En terme de chiffres, le CA augmente en moyenne de 15% depuis cinq ans et nous avons dépassé les 2,5 milliards de FCFA en 2009.
avec lesafriques