Fondatrice de Welcoming Diasporas et d’Africa is Calling you (#AICY17), Isabelle Berrier s’affirme clairement « afro-optimiste ». Consultante en création de start-ups en Afrique depuis plus de dix ans, elle met son expertise et son engagement au service des porteurs de projets d’entreprise des diasporas. Sa méthode de travail, avec toute l’équipe Welcoming Diasporas : la co-construction.
« Dès le commencement de Welcoming diasporas, la start-up à but non lucratif d’afro-optimistes issue de la société civile que nous avons créée en 2016, nous avons engagé une démarche de co-construction. Nous nous sommes retrouvés dans les locaux d’Ashoka [réseau d’entrepreneurs sociaux pour l’innovation sociale, ndlr] afin d’échanger avec les différents acteurs parisiens de l’accompagnement et du financement des diasporas. Nous étions à
la recherche d’une approche optimale, mais avec un objectif déjà bien identifié : créer une plateforme collaborative pour fédérer les initiatives entrepreneuriales portées par les diasporas africaines. »
Diplômée de Sciences Po Bordeaux (section Relations Internationales avec spécialisation sur l’Afrique, la micro-entreprise et la microfiance), Isabelle Berrier bénéficie d’une solide expérience dans ce domaine : voilà dix ans et plus qu’elle travaille avec le continent africain, « toujours pour des structures locales » exerçant son métier de consultante en création d’entreprises, de direction d’études de marché, d’accompagnement à la recherche de financements et à la création d’incubateurs.
« J’ai fait des consultances à l’entrepreneuriat féminin et à la création d’entreprises de diasporas sur le continent. Le premier projet de ce type que j’ai eu à étudier, c’était en 2008. Dix ans, déjà ! C’est à cette époque que j’ai pris conscience de l’importance des diasporas. »
Un sondage surprenant et décisif conduit à lancer l’appel « Africa is Calling You »
Si l’expérience nourrit l’intuition, encore faut-il en vérifier la pertinence. C’est en tout cas ce qu’a voulu faire Isabelle Berrier avec l’équipe WD : « En octobre 2016, nous avons pensé que le meilleur moyen de savoir comment la nouvelle génération des diasporas souhaitait s’investir était d’organiser un sondage… dont le résultat fut une belle surprise : 77 % des interviewés avaient un projet d’entrepreneuriat sur le continent africain, et 77,3 % étaient prêts à investir dans un pays africain autre que leur pays d’origine.
Enfin, 84,6 % des personnes avaient des projets en cours et pour 63,1 % d’entre elles, leur projet avait une dimension d’utilité sociale et ou environnementale. »
Élaboré selon les règles de l’art avec la participation d’un professeur en sociologie et anthropologie de Sciences Po Grenoble, sur un panel cible âgé de 25 ans à 40 ans, et avec un questionnaire accessible en ligne pendant trois semaines, le sondage n’aura en fait recueilli que 203 réponses – base qui pourra sembler assez faible aux spécialistes.
Néanmoins, dans son commentaire des résultats, le Professeur Jacques Barou relevait que « les sondés manifestent un intérêt réel et réfléchi pour mener des actions solidaires en Afrique, qu’ils voient surtout sous la forme d’initiatives entrepreneuriales reflétant une certaine éthique par rapport aux responsabilités sociales et à l’environnement. Méfiants par rapport aux autorités politiques de leur pays, les sondés comptent sur les initiatives de la société civile. (…) Il apparaît donc utile de créer un réseau d’appui et de conseils pour aider ceux qui veulent se lancer dans l’aventure. »
Autant dire que l’intuition de Welcoming Diasporas recevait là une reconnaissance académique sans réserve ! En tout cas, « c’est à la suite de ce sondage que nous avons lancé l’appel à mobilisation Africa is Calling You », révèle Isabelle Berrier.
À nouveau, la démarche s’enclenche sous forme collaborative, en travaillant avec les acteurs déjà présents dans le secteur et en lançant un appel à « une mobilisation par les valeurs, car en fait cette diaspora souhaite s’investir principalement par l’entrepreneuriat. C’est tout nouveau, car jusque-là les anciennes générations étaient tournées vers la création d’ONG, et le plus souvent pour agir dans leur village d’origine », relève Isabelle Berrier.
De Paris à Dakar en attendant Oran : une semaine d’échanges intensifs
Lancé lors du Forum des Jeunes Entrepreneurs Togolais de Claude Grunitzky (https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Grunitzky) grâce à l’équipe de l’antenne Welcoming Diasporas du Togo, l’appel à mobilisation se concrétise par une première édition des Rencontres économiques, sociales et culturelles Africa is Calling You à Paris, en septembre 2017, et une deuxième à Dakar, en mars 2018 – la troisième est déjà prévue du 21 au 28 octobre prochain à Oran, en Algérie.
Le fait que l’appel soit lancé depuis l’antenne locale Welcoming diasporas du Togo n’est pas anodin, il revêt un sens symbolique fort, comme l’explique Isabelle Barrier : « Lorsque les diasporas reviennent au pays qu’elles ont quitté depuis dix ans ou plus, elles ne le connaissent plus vraiment, et encore moins quand elles n’y sont pas nées, bien sûr.
Or, comme l’économie africaine est surtout informelle, comment vont-ils l’appréhender ? C’est pour cela que l’on met en place une antenne locale, composée à 80 % de diasporas qui sont rentrées, et à 20 % d’entrepreneurs locaux. Pour ne pas créer une dichotomie entre ces derniers, très dynamiques, et ces diasporas qui arrivent parfois comme des cow-boys, il faut le reconnaître, genre « on va leur montrer comment il faut faire ! »
Coproduites avec « l’Afrique c’est chic world », les Rencontres économiques, sociales et culturelles Africa is Calling You illustrent cette même volonté de coopération et d’échange entre « sachants » et « apprenants » : « Pendant toute la semaine que dure le “boot camp”, nous accompagnons les porteurs de projets à impact sur le continent africain. Accompagner, cela veut dire loger, nourrir, former de manière intensive avec des acteurs locaux. Sur Paris, nous avons bénéficié des contributions de l’IRD, Bond’innov, Jokkolabs, Afrikwity, MakeSens, ScaleChanger… des professionnels venus partager leurs expertises et expliquer ce qu’ils peuvent apporter. »
C’est ainsi qu’à la fin de la semaine les « boot campers » auront pu se faire une première idée de l’écosystème, suffisante pour s’orienter ensuite vers ce qui les intéresse le plus. Et comme dans toutes les belles histoires d’entrepreneurs en herbe… les trois finalistes reçoivent un prix !
Remarquable aussi, le choix de visibilité maximale retenu par les organisateurs, faisant que ces événements parisiens se sont déroulés dans des lieux luxueux, « où l’Afrique n’était pas forcément attendue », comme à Saint-Germain-des-Prés, sur le toit terrasse des Galeries Lafayette ou encore dans des écoles de commerce réputées…
« À Paris comme à Dakar, ces Rencontres d’Africa is Calling You ont eu un fort impact parmi les participants ! Nous avons tout de même mobilisé 4 000 personnes en présentiel et 60 000 en digital », relève Isabelle Berrier.
C’est aussi à l’occasion des premières Rencontres #AICY17 de Paris qu’une plateforme d’échanges https://africaiscallingyou.co/ a été mise en place, afin que les gens puissent échanger pendant et après les rencontres.
Reste que si l’association a réussi à équilibrer le budget des événements, « ce n’est pas si facile, estime la présidente de Welcoming Diasporas et vice-présidente d’Africa is Calling You. Parce que nous sommes encore un ovni, on n’a pas deux années d’existence, les gens se posent des questions avant de soutenir… »
Pour autant, ce parcours ne manque pas de vertu : tandis que dans le monde du développement on fonctionne beaucoup sur la base d’appels à projet « qui d’une certaine manière vont façonner et faire vivre des projets sur une durée bien déterminée de deux ans en moyenne avant de les laisser à leur sort… Nous avons fait l’inverse : nous avons mis sur pied le projet que l’on voulait, on s’est dit on fonce, on y va ! »
Et donc deux ans après sa création, le projet n’est pas exposé aux aléas de la reconduction d’une hypothétique subvention, et c’est déjà une réussite : le plaidoyer pour la mise en scène des diasporas est certes encore balbutiant, mais il est désormais installé dans le paysage public – la participation au Forum des Diasporas Africaines (#FDDA 2018) du 22 juin au palais des Congrès de Paris en sera d’ailleurs une prochaine et forte illustration, et l’occasion pour l’association de lancer le prochain appel à candidature pour le social innovation « boot camp » #AICY18 Oran.
Comment avancer encore ? Isabelle Berrier répond : « Nous nous sommes engagés dans cette aventure avec la conviction forte, née de l’expérience accumulée, que beaucoup de solutions existent déjà ! Il faut juste les valoriser et les mettre en synergie, il faut juste… persévérer ! »
Avec AfricaPresse.Paris