« Notre objectif : près d’une centaine de sites d’ici à dix ans »
Le 18 décembre dernier, CFAO a inauguré son premier centre commercial à Abidjan en Côte d’Ivoire. Il a pour locomotive un hypermarché Carrefour, le premier d’Afrique francophone subsaharienne. Sa surface – 3 200 m² – apparaît modeste. L’Afrique noire n’est pas encore mûre pour de gros hypers ?
Il ne faut pas y voir de la prudence de notre part mais la volonté de nous adapter au potentiel existant dans chaque pays africain. Ce premier Carrefour d’Abidjan est compact mais à chaque fois que nous aurons la possibilité d’ouvrir des Carrefour de 6 000 ou 7 000 m² nous le ferons. En revanche, je ne crois pas à des 12 000 m².
J’ajoute que notre stratégie n’est pas uniquement de développer l’enseigne Carrefour mais aussi de créer des centres commerciaux, baptisés PlaYce. Celui d’Abidjan fait 20 000 m², avec 51 magasins dont nos quinze franchises du Club de Marques.
Les enseignes du Club de Marques seront systématiquement associées à nos centres commerciaux africains : Cache Cache, Jules, La Halle, Morgan, Beauty Success, Brioche Dorée, Jeff de Bruges, etc. Nous apportons vraiment quelque chose de différent et de moderne en Afrique.
La grande distribution alimentaire n’était pas la spécialité de CFAO. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer ?
Ce secteur ne nous est pas inconnu. Par le passé, CFAO y a déjà eu des activités, avec les épiceries Score en Afrique. En 2009, lors de la cotation en bourse de CFAO, nous avons fait ce constat : les fondamentaux de l’Afrique sont bons et les métiers des biens de consommation vont exploser dans les années à venir. C’est ce qui m’a décidé à proposer à Carrefour un partenariat pour développer son enseigne en Afrique de l’ouest et centrale (la société commune est contrôlée à 55 % par CFAO et à 45 % par Carrefour, NDLR).
Ce partenariat prévoit l’ouverture de Carrefour dans huit pays d’Afrique de l’ouest et centrale*. Qu’en est-il des autres enseignes du distributeur : Market, proximité ?
Tous les formats, toutes les enseignes du groupe Carrefour sont possibles. Le second centre commercial PlaYce est prévu à Abidjan fin 2016-début 2017. Il intégrera un supermarché Carrefour Market. Pour nos prochaines ouvertures, il y aura aussi des Market en stand alone ou dans des centres commerciaux ne nous appartenant pas. Nous pouvons aussi développer du cash & carry et des enseignes de proximité.
Lancerez-vous aussi en Afrique des drives ou des sites de commerce en ligne comme l’a fait Casino avec Cdiscount ?
Cela fait partie de nos pistes de réflexion même si aujourd’hui, les volumes du commerce en ligne sont anecdotiques en Afrique.
Quel est l’ampleur et le calendrier de votre plan d’ouvertures ?
Nous allons ouvrir des magasins Carrefour dans les sept autres pays africains concernés par l’accord. Nous nous sommes fixés un objectif de près d’une centaine de sites d’ici à dix ans (pour les enseignes Carrefour et Market, NDLR).
D’autres pays africains francophones et anglophones sont-ils dans votre ligne de mire ?
Avec Carrefour, nous avons convenu que nous pouvions potentiellement implanter des Carrefour dans d’autres pays que les huit déjà annoncés. Nous privilégions la bande côtière d’Afrique de l’ouest et les pays d’Afrique centrale où l’écart est important entre la demande des Africains et l’offre existante en grandes surfaces modernes.
Et l’Afrique du Sud ?
Non, c’est un autre monde, et la distribution moderne y est déjà très développée.
A l’inverse, les distributeurs sud-africains sont-ils conquérants en Afrique subsaharienne ?
Oui. Massmart, filiale de l’Américain Walmart, et Shoprite commencent à s’intéresser à l’Afrique subsaharienne, y compris aux pays francophones. Beaucoup de distributeurs s’intéressent à l’Afrique ! Des Sud-Africains mais aussi des Indiens, des Turcs.
Quels seront vos recrutements pour accompagner votre essor ?
Nous avons prévu pour CFAO Retail 4 000 salariés d’ici à 2018 et 12 000 d’ici à 2023. Nous recruterons quelques cadres expatriés par magasin, un nombre qui diminuera ensuite au fur et à mesure de la formation de cadres africains sur place.
Quel est selon vous le potentiel de la grande distribution en Afrique noire ?
Le pouvoir d’achat n’est pas le même selon les pays. Globalement, les classes moyennes se développent mais elles ne représentent pas la majorité de la population, loin de là. Elles pèsent 8 à 15 % de la population d’Afrique subsaharienne. Avec des profils de revenus plus réduits qu’en Europe.
Ce serait une grosse erreur que d’avoir une approche globale de l’Afrique. La grande force de CFAO est de bien connaître ces marchés. Le groupe, au travers de ses différentes activités et filiales, est implanté sur le continent africain depuis plus d’un siècle. Il couvre aujourd’hui 34 pays. Les huit pays dans lesquels CFAO Retail a prévu de déployer ses centres commerciaux représentent 300 à 350 millions d’habitants mais environ 30 millions pour les seules classes moyennes.
Peut-on faire un parallèle entre le potentiel africain et l’explosion des GMS en Russie ou en Chine depuis quinze-vingt ans ?
Il faut être prudent. En Russie, la grande distribution moderne était très en retard mais la classe moyenne était déjà présente. Le potentiel en la matière a ses limites en Afrique et l’essor de la grande distribution y sera moins rapide.
Quels seront vos concurrents directs ? Les supermarchés Casino déjà existants ou les petits commerces traditionnels ?
Par leurs niveaux de prix pratiqués, les supermarchés existants s’adressent aux expatriés et aux classes supérieures. Nous voulons surtout prendre des parts de marché aux circuits traditionnels.
Mon enjeu est d’attirer les classes moyennes vers nos centres commerciaux, en leur apportant l’assurance de la sécurité sanitaire des produits, la régularité d’approvisionnement et des prix compétitifs voire moins chers que sur les marchés traditionnels. Les prix des PGC sont très élevés en Afrique en raison du nombre d’intermédiaires.
Au Carrefour d’Abidjan, l’accent a été fortement mis sur la qualité des produits frais. Nous faisons la différence sur les fruits et légumes, la boucherie, la poissonnerie ou la boulangerie-pâtisserie, avec de très bons professionnels en rayon. Les MDD Carrefour sont également très attendues par les Africains, autant que les produits de grandes marques.
Les attentats terroristes sont récurrents dans des pays africains où vous allez implanter Carrefour. Est-ce un frein à votre plan de développement ?
Non, nous sommes bien sûr très vigilants mais cela ne modifie en rien notre stratégie. L’insécurité au Cameroun ou au Nigeria frappe le nord de ces pays et elle est déjà ancienne. Nous nous implantons au sud et dans les grandes villes, sûres.
* Cameroun, Congo-Brazzaville, Rép. Démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Ghana, Nigéria, Sénégal.
Propos recueillis par F. C.-L
Avec lineaire.com