Mr Bernard N’DOUMI
Directeur associé de Africa Assistance Consulting and management (2ACM)
APRES LA CNPS : LE NOUVEAU CHALLENGE DE BERNARD N’DOUMI
13 années. C’est le temps passé par M. Bernard N’DOUMI à la tête de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS). Au moment où il fait valoir ses droits à la retraite, il partage dans cette interview son expérience professionnelle et personnelle en tant que serviteur de l’Etat Ivoirien.
Il dévoile en outre, les grandes reformes qu’il a entreprises pour repositionner contre vents et marées, la CNPS parmi les Entreprises qui comptent en Côte d’Ivoire.
- le Directeur, veuillez-vous présenter aux opérateurs économiques et aux lecteurs du magazine PME PMI.
Avant tout propos, je tiens à vous remercier de m’avoir accordé cet entretien. En général, quand vous partez à la retraite, on vous oublie, car comme dit un vieux dicton « partir, c’est mourir un peu ». Je suis donc Bernard N’DOUMI et j’ai dirigé la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) du 25 septembre 2000 au 30 septembre 2013. La CNPS, il faut le dire, est une Institution assez bien connue et qui compte pour la Côte d’Ivoire. Elle est en charge de la Protection Sociale des travailleurs du secteur privé et assimilés.
Mais au-delà de cet aspect, elle est une Institution financière et économique puisqu’elle gère une épargne longue et investit également. J’ai fais valoir mes droits à la retraite depuis le 1er Octobre 2013. J’avais envisagé de passer le relais à la fin de l’année 2012 mais j’ai dû prolonger ma mission pour des raisons indépendantes de ma volonté telles que la construction du complexe immobilier « La Prévoyance » qui n’était pas encore achevée.
Etant une personne très active, je me suis posé la question de savoir ce que je pouvais encore apporter à mon pays bien que l’ayant servi en tant que Directeur Général de la CNPS. Ainsi, lorsque j’ai été proposé comme membre du Conseil d’Administration de la CNPS, j’ai longuement hésité, mais finalement après mûres réflexions j’ai accepté afin de continuer à apporter ma modeste contribution à l’édifice qui continue sa marche, car une grande œuvre n’est jamais parfaite et n’est jamais achevée. Il faut dire qu’en dehors de la CNPS, je suis Administrateur ainsi que Président d’autres Sociétés et Organisations de la Société Civile. Il s’agit donc pour moi d’une retraite active, grâce à la confiance que l’on me témoigne.
Alors si l’on vous demandait de faire le bilan de vos 13 années de gestion, que nous diriez-vous ?
Je crois qu’il est prétentieux de faire son propre bilan. Mais, il y a un adage qui dit « Qu’un grand Homme se reconnaît à travers ses œuvres ».
Mon histoire avec la CNPS, est pour moi une belle aventure humaine et professionnelle.
Au moment où je prenais la tête de cette structure le 25 Septembre 2000, c’était pour moi un saut dans l’inconnu. Pourtant, étant un pur produit du secteur privé, j’aurais dû la connaître. Même si à ma décharge dans nos entreprises à l’époque, en tant que cadres dirigeants, nous nous intéressions plus aux impôts qu’aux cotisations sociales. D’ailleurs bien souvent, nous recevions l’Inspecteur vérificateur des impôts avant le contrôleur de la CNPS. C’est dire que la Protection Sociale des travailleurs était le dernier des soucis de nombreux employeurs.
Lorsque l’on me confiait la direction de cette entreprise, je me suis demandé ce que j’allais y faire ; et comme je ne cesse de le répéter, c’est sur l’insistance de mon épouse que j’ai accepté d’assumer ces fonctions. En effet, devant mon hésitation à accepter d’assurer les fonctions de Directeur Général de la CNPS, elle m’a dit : « Je crois que le moment est venu de servir la Côte d’Ivoire que tu aimes tant et qui t’a beaucoup donné. Tu as toujours travaillé dans le secteur privé, mais tu n’as pas encore servi ton pays… ». Ces propos ont « fouetté » mon orgueil et j’ai décidé de me lancer dans cette aventure.
J’avoue qu’au départ, je m’étais donné entre 5 et 8 ans à la tête de la CNPS. Mais au fil des années, l’aventure devenait de plus en plus passionnante avec des challenges à relever. C’est ainsi que j’ai consacré 13 ans de ma vie professionnelle.
Quand on regarde le chemin parcouru et toutes les innovations apportées, on peut affirmer qu’on n’a pas failli à notre mission, loin s’en faut.
Il y a de nombreux témoignages que j’ai trouvés très émouvants et qui m’ont profondément touché lors de la cérémonie d’hommage qui m’a été rendu et qui a été organisée par mes proches et fidèles collaborateurs au nom de l’ensemble du personnel, le 30 Septembre dernier. Je profite d’ailleurs de cette interview pour leur exprimer ma profonde gratitude et leur renouveler mon estime. Ils sont nombreux (ils et elles se reconnaîtront). Ces témoignages m’ont permis de réaliser ce que j’ai apporté à la CNPS pendant ces treize années. Ils sont plus éloquents que ce que j’aurais pu dire si je devais faire mon bilan.
Lorsque j’ai entendu ces témoignages, j’ai eu le sentiment du devoir accompli.
Quand je vois le nouveau complexe immobilier « La Prévoyance » achevé et inauguré le 03 Juin 2013 par Le Premier Ministre, je suis fier et je me dis : « Tu laisses quelque chose à la postérité». Cet édifice peut être considéré comme le couronnement de nos 13 années de dur labeur. J’ai mesuré que le chemin parcouru avait été parsemé de quelques embûches mais surtout d’œuvres et d’ouvrages.
Quelles sont les grandes réformes que vous avez entreprises pour repositionner la CNPS ?
Nous avons apporté de nombreuses innovations à la CNPS dont les plus importantes sont notamment la mensualisation du paiement de la pension de retraite. Nous n’avons jamais compris pourquoi la pension était payée par trimestre alors que c’est au moment de la retraite que les revenus s’amenuisent. Mais cette décision constituait un réel challenge car le délai de trois mois permettait de recouvrer les cotisations afin de pouvoir payer les pensions de retraite aux assurés sociaux.
En effet, pour relever ce défi, il a fallu dès lors payer les pensions avant d’avoir terminer d’encaisser les cotisations. Autre innovation, nous avons décidé également de ne plus payer les assurés sociaux à nos guichets. Cela est une innovation importante. En plus, nous avons décidé qu’ils soient payés le plus proche possible de leur lieu d’habitation. Ce sont les banques qui les paient désormais, le même jour sur l’étendu du territoire ivoirien, mettant ainsi en application le traitement de l’égalité des assurés sociaux. C’est une chose extraordinaire. De surcroît, c’est l’assuré qui choisit sa banque. Il peut le modifier autant de fois qu’il le souhaite.
Malgré ces avancées, notre préoccupation actuellement, est d’améliorer les revenus de nos assurés sociaux. Autres innovations à relever, c’est que nous avons modernisé notre système de paiement et nous avons surtout informatisé tous nos services. Si j’ai entrepris ces reformes, c’est justement parce que je sais que pour la bonne gouvernance, il faut mettre l’accent sur la qualité des services rendus aux usagers. C’est pourquoi j’ai engagé la CNPS dans le SMQ (Système du Management de la Qualité) avec la certification de tous nos Services. Au moment où je quittais l’entreprise le 30 Septembre 2013, deux de nos Agences principales (celle du Plateau et celle de Cocody) étaient certifiées ISO 9001 version 2008. J’espère que l’équipe qui m’a succédé va poursuivre car c’est un engagement que nous avons pris avec l’Etat et surtout avec les employeurs, les travailleurs et les bénéficiaires de nos prestations.
A mon arrivée, j’ai défini avec mes collaborateurs à travers une « charte managériale », ma vision, nos ambitions et nos valeurs. Cela a constitué le point d’ancrage de toutes nos actions.
Mais depuis mai 2013, nous avons commencé à mettre en place notre « projet commun d’entreprise », qui était au stade final de sa confection le 31 Août 2013 (avec une approche collégiale et consensuelle). J’avais prévu de la vulgariser avant sa mise en œuvre au plus tard le 31 Octobre 2013.
Nous préparions également de nouveaux produits à nos assurés. Nous étions en train de finaliser notre projet de mise en place d’une retraite complémentaire, pour améliorer le montant de la pension en la rendant plus consistante.
En Europe, quand une personne part à la retraite, elle a une pension qui correspond à 60 voire 80% de ses revenus moyens quand elle était en activité. En Côte d’Ivoire, le travailleur qui part à la retraite, dans le meilleur des cas, percevra au maximum 50% de son salaire soumis à cotisation (c’est-à-dire 50% maximum de 36 fois le SMIG).
Nous avons remarqué également qu’une frange de la population n’est pas couverte par la sécurité sociale. Nous pensons à ces travailleurs du secteur privé dits indépendants. Il faut que toutes ces personnes soient couvertes par la sécurité sociale et c’est l’un des projets majeurs que j’ai initié et qui me tient à cœur. C’est la raison pour laquelle, je souhaite qu’il connaisse dans les meilleurs délais son aboutissement par sa mise en œuvre effective car l’extension de la couverture sociale est un projet innovant et nécessaire.
Quelle politique avez-vous menée pour inciter les chefs d’entreprises à déclarer leurs employés à la CNPS ?
Il faut que je souligne que l’une des plus grandes satisfactions de ces 13 années passées à la CNPS, est que chaque année, nous notions une nette progression du nombre de cotisants, même pendant les différentes crises. Les statistiques sont vérifiables. Cela veut dire que notre politique d’ouverture et de formation a commencé à porter des fruits. Pour atteindre cet objectif, nous avons renforcé notre effectif en ce qui concerne les contrôleurs d’exploitation. Nous avons décidé d’aller chercher les cotisations là où elles se trouvent. Pour ce faire, nous avons mis à la disposition de tous nos contrôleurs des voitures pour mener à bien leur mission sur toute l’étendue du territoire.
Ce que je ne comprends pas c’est que souvent, ce sont les hauts cadres qui négligent la couverture sociale de leurs employés. Il faudrait qu’on arrive en Côte d’Ivoire à considérer comme un délit le fait de prélever des cotisations à des travailleurs et ne pas les reverser aux organismes de protection sociale. Cela se fait déjà au Ghana où il y a même un Tribunal ad’hoc qui s’occupe de ces cas.
J’ajoute que les émissions de sensibilisation et d’information produites par la CNPS ont contribué à augmenter le nombre d’employeurs immatriculés, et le nombre de travailleurs déclarés.
Je souhaite vivement que ces émissions soient à nouveau diffusées sur les antennes de la RTI.
Quels avantages peuvent tirer non seulement l’employeur mais aussi l’employé en se mettant en règle vis-à-vis de la CNPS ?
Pour répondre à cette question, je vais prendre deux exemples concrets. Le premier, c’est le cas d’un employeur qui n’avait pas déclaré sa fille de ménage. Un jour, cette dernière a été victime d’un accident mortel alors qu’elle partait acheter du pain pour la famille. Quand il a été informé de ce drame, il a pris en charge une grande partie des obsèques. Mais si cette jeune fille avait été déclarée, la CNPS prendrait tout en charge parce que c’est un accident du travail. Le deuxième exemple, c’est l’histoire d’un monsieur que je connais personnellement. Il a travaillé pendant quarante ans avant de faire valoir ses droits à la retraite. Et c’est à la retraite qu’il s’est rendu compte qu’il n’a jamais été déclaré. Il voulait savoir ce que la CNPS pouvait faire dans ce cas. Je lui ai répondu tout simplement « Rien, il est trop tard ». Qu’est ce que ça coûte à un employé de vérifier s’il a été déclaré ou pas à la CNPS par son employeur. Vieillir, tomber malade, avoir un accident du travail, mourir…sont des risques certains contre lesquels, il faut se prémunir. C’est pourquoi, il faut immatriculer son entreprise et déclarer tous ses travailleurs à la CNPS.
Après donc cette palpitante mission à la tête de la CNPS, qu’est ce qui meublera désormais votre quotidien ?
Je vais m’occuper autrement, en changeant d’activités. En réalité, depuis 2000, lorsque je quittais mon ancienne entreprise pour la CNPS, j’avais déjà l’idée d’avoir mon propre Cabinet pour mettre à profit toute l’expérience professionnelle que j’avais acquise, lorsque j’ai été sollicité pour prendre la Direction Générale de la CNPS.
Aujourd’hui, c’est chose faite, j’ai créé avec trois autres associés un cabinet qui se nomme AFRICA ASSISTANCE CONSULTING & MANAGEMENT en abrégé 2ACM dont je suis le Gérant Associé.
J’aurais l’occasion de mieux présenter cette structure lors de la présentation du Cabinet au grand public d’ici fin Février 2014. En général, les Entrepreneurs créent des sociétés sans savoir toujours où ils vont. Notre Cabinet leur définira les opportunités, et les accompagnera dans la réalisation de leur projet entrepreunarial. Que ce soit en matière d’organisation, de recherche de financement, de recherche de solutions innovantes, de conduite du changement, de coaching, de management, de développement d’activités, d’adaptation aux réalités du marché et de l’environnement, notre cabinet les conseillera, les assistera et les accompagnera.
De plus, nous mettrons au service de nos clients une approche encore inédite dans les cabinets concurrents en Côte d’Ivoire. Nous fournissons aux Etats qui le souhaitent, des solutions sur mesure en matière de protection sociale.
Par ailleurs, grâce à un pôle entièrement dédié à l’accompagnement des PME-PMI, nous créons des solutions faciles à déployer et ayant des résultats rapides et concrets.
A titre d’exemple, le cabinet 2ACM est intervenu récemment avec succès pour accompagner une PME dans le cadre de la recherche de financement, se traduisant de l’élaboration de business plan à la négociation avec la banque.
En outre, au dernier Forum Mondial de la Sécurité Sociale, qui a eu lieu à Doha (au Qatar) en Novembre 2013, j’ai été réélu pour trois ans Président de la Commission Recherche et Développement, l’une des plus importantes de l’Association Internationale de la Sécurité Sociale (AISS). Je suis donc reconnu au niveau international comme un Expert en matière de Sécurité Sociale.
A ce titre, si je suis sollicité je peux aider la Côte d’Ivoire et d’autres pays africains à améliorer le taux de couverture de Protection Sociale de leurs populations. Nous allons aider les pays qui nous le demandent à choisir leurs modèles de Sécurité Sociale.
Comment voulez-vous que les pays où le taux de pauvreté est supérieur à 50 % puissent s’en sortir ? La situation est certes préoccupante mais pas désespérée car si ces pays offraient à leur population un filet minimum de protection sociale ils les rendraient moins vulnérables et moins pauvres.
A la fin de cet entretien, quel est le message fort que vous voulez adresser non seulement à vos anciens collaborateurs mais aussi et surtout à celui qui vous succède?
Vous savez, je suis chrétien catholique, et si tous les croyants en Dieu mettaient en pratique le centième des versets que la Bible et le Coran enseignent, le monde irait mieux. Par ailleurs, je dirais à tous mes anciens collaborateurs qu’ils ont vivement souhaité avoir à la tête de la CNPS, l’un des « leurs » car certains considèrent que tous les Directeurs Généraux qui ont dirigé la CNPS étaient des « parachutés » parce qu’ils ne sont pas sortis « du CIFOCSS ». Aujourd’hui, leur vœu est exaucé, car celui qui m’a remplacé est un « pur produit de la maison ».
Donc, il faut qu’ils l’aident à poursuivre l’œuvre entamée en faisant mieux que ce qui leur a été légué. Qu’ils fassent mentir le dicton « nul n’est prophète chez soi ». Je leur demande de travailler en équipe, dans la confiance, l’honnêteté intellectuelle, dans la cohésion et dans le respect du « Projet d’Entreprise » en regardant tous dans la même direction. Qu’ils gardent à l’esprit, ce que je ne cessais de leur répéter tous les jours « seul, on peut réussir peut-être, mais ensemble on réussit toujours ».
Enfin, qu’ils n’oublient jamais que la CNPS est un bien national. Il faut donc qu’ils en prennent le plus grand soin.
Entretien réalisé par PME PMI MAGAZINE