La récente levée exceptionnelle de fonds d’Africa Internet Group ne saurait cacher la difficulté pour les start-up africaines de trouver des financements. Récit.
Le géant nigérian du e-commerce Africa Internet Group (AIG) n’en finit pas de séduire. Après les capitalisations en mars de Goldman Sachs, du sud-africain MTN et de l’allemand Rocket Internet (225 millions d’euros en tout), c’est au tour d’Orange de miser sur ce groupe. L’opérateur français vient d’y investir 75 millions d’euros. Le même montant qu’Axa en février. Cette opération consacrait alors AIG « première licorne africaine » en le valorisant à plus de 1 milliard d’euros. Un cas isolé ? Pas tout à fait. En début d’année, une autre entreprise implantée au Nigeria, Interswitch, spécialisée dans les transactions financières électroniques, était pressentie pour accéder à ce statut envié, « un signe du développement extraordinaire de l’écosystème des TIC (technologies de l’information et de la communication) en Afrique », comme l’observe Tom Jackson, cofondateur du portail d’information sur les start-up africainesDisrupt Africa.
Le fort impact du « saute-mouton » technologique
Disrupt Africa est à l’origine du premier rapport sur les levées de fonds des start-up africaines. Les 125 start-up suivies – considérées comme innovantes, datant de moins de 5 ans et comptant moins de 20 employés – ont totalisé près de 163 millions d’euros de financements en 2015. Le rapport souligne les hausses du nombre et du montant des levées de fonds. « Les start-up font aujourd’hui l’objet d’acquisitions ou d’investissements de certains grands acteurs mondiaux du capital-risque. Dans certains secteurs, comme le solaire, une véritable industrie s’est développée », précise Tom Jackson. Captant près d’un tiers des investissements, le secteur solaire est porté par les projets kenyanM-Kopa et tanzanienOff-Grid Electric, des solutions simples et à bas coût qui permettent déjà d’alimenter des centaines de milliers de foyers d’Afrique de l’Est en électricité.
Le fintech (terme qui combine finance et technologie) attire, quant à lui, 30 % des investissements. Le potentiel est fort sur le continent, où 80 % des adultes n’ont pas de comptes en banque ; le mobile banking est en train d’y révolutionner les pratiques. Viennent ensuite le e-commerce et la e-santé. Ce dernier domaine illustre particulièrement, selon Tom Jackson, la capacité de « leapfrogging » de l’Afrique. Le terme, qui signifie « saute-mouton », renvoie à l’adoption d’une technologie en sautant une étape intermédiaire. « Les Africains sont passés directement à la téléphonie mobile (sans avoir vraiment connu le téléphone fixe), ils sont passés à la 3G en sautant la 2G et ils vont passer directement à l’énergie solaire », résume Tom Jackson.
Les start-up d’Afrique anglophone plus attractives
Si cet attrait pour les start-up innovantes est plus que bienvenu sur un continent exportateur de matières premières, la tendance masque cependant des disparités. À commencer par les disparités géographiques. Afrique du Sud, Nigeria et Kenya concentrent plus de 80 % de ces investissements. L’Égypte, le Ghana et la Tanzanie se partagent ensuite une très large part des quelque 18 % restants. Outre le fait que ces pays sont majoritairement anglophones, tout comme la plupart des investisseurs, ils bénéficient d’un écosystème favorable au développement de start-up (infrastructures, formation, politiques publiques). « L’intérêt pour les start-up commence à se répandre largement au-delà de ces pays », nuance toutefois Tom Jackson. Et de citer le Cameroun, avec le premier studio de jeux vidéo d’Afrique centraleKiro’o Games ou la plateforme de e-santé GiftedMom, le Rwanda, avec l’appli de transfert d’argent Mergims ou Safemotos et le Sénégal.
Le Sénégal fer de lance de l’innovation en Afrique francophone
Pour Geek Nation, start-up togolaise qui a lancé en novembre 2015 sa première appli, Nkeleo (« quoi de neuf » en ewe), sorte d’agenda culturel à visée interactive, Dakar fait figure de place à conquérir. Si le taux de pénétration d’Internet y est presque dix fois plus élevé qu’au Togo selon Internet World Stats, le Sénégal offre surtout des possibilités d’accompagnement aux jeunes talents numériques, avec l’espace de coworking Jokkolabs, l’incubateur CTIC ou l’accélérateur Jambar Tech Lab. « C’est la plaque tournante de la tech et de l’innovation en Afrique de l’Ouest, et si on maîtrise ce marché-là, on sera plus visible », assure Israël Agbotse. Ce jeune mordu de TIC de 22 ans a rassemblé autour de lui une équipe de sept développeurs et designers, tous bénévoles. L’appli Nkeleo, sur laquelle ils ont planché durant deux ans, a été téléchargée 1 000 fois et compte 400 utilisateurs réguliers, essentiellement au Togo. « On a réussi à se positionner », se félicite Israël Agbotse, désormais confronté à une nouvelle étape : séduire de nouveaux utilisateurs hors du Togo et promouvoir la nouvelle version de Nkeleo, qui doit sortir en juin.
Du capital-risque pour les petites entreprises
Pour ce jeune diplômé en droit des affaires et autodidacte en informatique, entreprendre dans les TIC semblait « plus facile » que dans l’agriculture. « On a besoin de moins de fonds au départ. Mais c’est avec le temps que c’est compliqué », avoue-t-il. Un constat amplement partagé. La société de capital Teranga Capital, inaugurée le mois dernier à Dakar, s’intéresse au segment délaissé des petites entreprises qui peinent à capter des financements. « D’un côté, elles n’intéressent pas les fonds d’investissement qui visent des projets à fort potentiel d’expansion et injectent rarement moins d’un million d’euros et, de l’autre, elles n’accèdent pas au crédit bancaire, car on leur demande un niveau de garantie trop élevé », résume son cofondateur, Olivier Furdelle. Dotée d’un fonds initial de 4,9 millions d’euros, Teranga Capital intervient tout d’abord en renforçant les fonds propres des entreprises (entre 75 000 et 300 000 euros), dont elle devient actionnaire minoritaire. Mais surtout, dans ce paysage économique « peu formalisé » où « on est entrepreneur par nécessité », Olivier Furdelle et son partenaire Omar Cissé proposent des solutions d’accompagnement sur mesure et innovantes en matière de structuration, de gestion ou de formation. Le binôme a déjà rencontré 220 entrepreneurs au Sénégal. Et s’ils ne se limitent pas au secteur des TIC, car « il y a des pépites dans chaque secteur », selon Olivier Furdelle, ils relèvent que ce secteur fait l’objet d’un « très fort engouement » en Afrique, où « la technologie est accessible » et la concurrence moindre.
Le concours, piste « la plus accessible »
Les pistes de financements restent cependant restreintes en Afrique de l’Ouest, où « la banque n’est pas une option », selon Israël Agbotse. Alors qu’émerge un réseau de Business Angels en Côte d’Ivoire (IBAN), sa petite start-up lorgne des investisseurs à l’étranger et s’intéresse notamment au tremplin proposé par l’homme d’affaires nigérian Tony Emelulu. La piste des concours est également privilégiée par le Tchadien Patrick Guirbaye. Cet ingénieur en génie civil diplômé de l’Institut d’ingénierie de l’eau et de l’environnement de Ouagadougou (I2E) a créé BioPanneaux en 2012, un projet très ambitieux. Il s’agit de commercialiser des panneaux isolants thermiques à bas coût et fabriqués à base de déchets de coton et de papier. Si le prototype et les essais de performance ont été réalisés, le projet repose aussi sur la collecte et le tri de déchets, activité qui doit être créée. En matière de financements, quatre pistes sont étudiées : incubateur, investisseurs privés, crowdfunding, compétition internationale. Cette dernière option est « celle qui nous sourit, car c’est la plus accessible », note Patrick Guirbaye. Ce n’est pas peu dire. Son projet s’est hissé à la finale francophone de la Global Social Venture Competition (GSCV) 2015, a été finaliste du concours innovation de l’African Business Club (ABC) en juin 2015 et lauréat de l’édition 2016 du concours Startupper par Total. Une belle vitrine qui attend de séduire des fonds.
avec businessmanagementafrica