Petit-fils du leader congolais Patrice Émery Lumumba, Kahi Lumumba, jeune pousse de la com internet reste éloignée de la politique et vise à inspirer les managers africains.
Les Lumumba, on les croise surtout sur la scène politique congolaise. Il y a eu le grand-père, Patrice Émery, figure du panafricanisme et héros de l’indépendance de la RD Congo, le père, François, ou encore la tante, Juliana. Mais ne cherchez pas Kahi dans ce microcosme-là ! Le petit-fils évolue dans l’univers du numérique. Très loin des arcanes du pouvoir, des QG de l’opposition ou des mouvements citoyens. Le monde de Kahi, c’est l’entrepreneuriat. « C’est ici que je m’éclate », confie le jeune homme de 32 ans, voix maîtrisée, sourire contagieux.
Le dirigeant de l’agence de web marketing Totem Experience nous donne rendez-vous dans un bar afro-cubain du centre de Paris. Il revient de plus en plus fréquemment dans cet îlot exotique qu’il a tout récemment découvert. On y sert à volonté de la salsa, mais aussi des sons en vogue de l’afro-pop. Ça tombe bien ! « Une génération qui peut être à la fois fan de Fally Ipupa et fière de Nelson Mandela ou de Thomas Sankara » passionne Kahi.
Au point qu’il a laissé tomber son boulot de consultant spécialisé, entre autres, dans la négociation des contrats, pour s’approcher davantage de cette génération. « Je voulais me lancer dans quelque chose de concret : avoir un impact direct sur les gens », justifie-t-il. Kahi ne se sentait « plus à sa place » dans son travail de l’époque. « Faire économiser 500 000 euros à une société » ne lui disait plus rien.
« Kahi président ! »
L’« impact direct » sur la communauté africaine, Kahi ne l’a trouvé ni à Londres ni à Paris, villes où il a effectué ses dernières missions pour le compte de l’agence de consulting qui l’employait. À la Défense, quartier d’affaires de la capitale française, le natif de Bruxelles était notamment intervenu dans le service informatique de la Banque postale en 2010, puis à Gaz de France (GDF) l’année suivante. Avant finalement de décider de voler de ses propres ailes vers les cieux lointains de la com et du brand content [contenu de marque].
La reconversion est totale, le challenge, « excitant ». Kahi s’entoure alors de deux autres jeunes motivés, Antony Bah et Ludovic Caffa. Le trio de choc multiplie les séances de travail et les échanges sur Skype. Malgré l’abandon d’un des associés, le projet avance. Année après année, Totem Experience gagne en crédibilité et en notoriété. « La créativité africaine demeure au centre de notre stratégie », théorise Kahi, qui vient de réussir le pari de réunir pour la première fois tous les « influenceurs » africains de renom à Paris. C’était lors des Africa Digital Communication Days (Adicom Days) coorganisés début mars avec l’agence de communication Hopscotch Africa.
« Nous avons franchi un cap », nous glisse-t-il entre deux réunions de panels. Fidèle à ses valeurs, c’est le « nous » qu’il met en avant, l’équipe de Totem. Mais le public n’a d’yeux que pour une personne. Avant la clôture de l’event, c’est unanime qu’il s’adonne à un vibrant « Kahi président ! Kahi président ! » Son destinataire, ému, esquisse un sourire.
Et profite du moment tout trouvé pour annoncer son nouveau-né. Avec des airs de Tim Cook en train de « pitcher » les prouesses de la nouvelle trouvaille de la marque à la pomme croquée, seul sur la tribune et devant un grand écran, Kahi dévoile Tina Africa, « la première plateforme qui met les annonceurs en relation avec les leaders d’opinion et les créateurs de contenus africains ». « Ce jour-là, beaucoup ont découvert ce que nous faisions de nos journées. Et ont changé de regard sur notre entreprise », décrypte le porteur du projet.
Bientôt des bureaux à Abidjan
Mais pas question de s’arrêter en si bon chemin. Totem Experience, déjà présente au Bénin, veut désormais ouvrir des bureaux ailleurs sur le continent, notamment à Abidjan, où se tiendra la deuxième édition des Adicom Days en 2018.
« On ne peut pas vouloir inspirer les managers africains dans le domaine de l’innovation et vivre éternellement à Paris », commente Kahi. Né durant l’exil de son père, il n’exclut pas de revenir s’installer en Afrique. Ce ne sera pas une première pour le jeune homme. Déjà à 13 ans, avec son frère, il avait suivi sa mère, cadre de l’Organisation internationale du travail (OIT), mutée à Abidjan.
Nous sommes tous des petits-fils de Patrice Lumumba
« C’est pendant cette période-là que j’ai vraiment saisi l’importance du nom que je porte : j’ai vu des personnes contentes parce qu’elles avaient croisé sur leur route un membre de la famille Lumumba. Alors qu’en Belgique les gens s’arrêtaient plus par curiosité », se souvient Kahi, un brin nostalgique.
Forcément, le poids historique de ce patronyme modèle son état d’esprit. « Inconsciemment, on s’interdit de faire n’importe quoi », confirme celui qui se dit « fier de l’héritage » du patriarche. Mais, en réalité, « nous sommes tous des petits-fils de Patrice Lumumba », conclut-il, raie bien placée à gauche. Hommage au grand-père ? « Juste un style », esquive Kahi, amusé. Vous étiez prévenus. Ne le cherchez point sur le terrain politique.
Avec jeuneafrique