Après deux parcs solaires au Sénégal, Meridiam va boucler le financement des aéroports de Madagascar. La méthode de son patron : démarrer les projets très en amont pour mieux les façonner.
Dans son bureau trône une gigantesque photographie du tunnel reliant le port de Miami à la chaussée MacArthur, un monstre de ciment qui enjambe la célèbre baie de Miami, en Floride. Financé par Meridiam, évidemment. Le fonds, créé par Thierry Déau en 2005, ne compte pas moins de 50 projets à son actif, disséminés à travers l’Europe et les États-Unis. Autant de routes, de trams, d’universités, de vélodromes et d’hôpitaux : la société vise uniquement les infrastructures, dans un milieu du capital-investissement plutôt enclin à préférer, à ces grands projets publics qui courent sur plusieurs dizaines d’années, des transactions offrant une rentabilité plus élevée et plus rapide.
Début prometteur en Afrique
Poids lourd sur le Vieux Continent, avec 5 milliards d’euros d’actifs sous gestion, Meridiam était en revanche un quasi-inconnu en Afrique lorsqu’il s’y est annoncé, au milieu de l’année 2014. Certes en pleine euphorie afro-optimiste, mais juste avant l’effondrement des cours du pétrole. Cette première incursion sur le continent, de « taille modeste » – 300 millions d’euros, abondés en partie par ses investisseurs historiques –, se montre malgré tout, selon le patron, à la hauteur de ses attentes.
« En un an et demi, nous avons bouclé le fonds et investi 50 millions d’euros dans trois projets, ce n’est pas si mal », plaisante, faussement modeste, Thierry Déau, en recevant Jeune Afrique dans son bureau qui domine la place de l’Opéra, à Paris.
Meridiam a investi 15 millions d’euros dans deux centrales solaires de 30 MW chacune au Sénégal, où il s’est notamment associé avec la filiale d’Engie Solaire Direct et Proparco. La première, située à Méouane, près de Thiès, est en construction et sera inaugurée d’ici à la fin de ce trimestre, devenant la plus puissante d’Afrique de l’Ouest. La deuxième, Ten Merina, au nord de Dakar, est attendue d’ici au début de 2018.
Expert polyvalent
À l’autre bout du continent, à Madagascar, Meridiam est en train de boucler le financement d’une concession de vingt-huit ans pour la gestion et l’agrandissement des aéroports d’Antananarivo et de l’île de Nosy Be, où il sera, avec 35 millions d’euros, le premier actionnaire d’un consortium alliant ADP Management, Bouygues et Colas. Un contrat important qui sera désormais son « étendard » en Afrique, note un avocat spécialiste du secteur.
« Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, prévient l’intéressé. Nous travaillons activement à une dizaine de projets. » Notamment un barrage hydraulique au Gabon, une centrale biomasse en Côte d’Ivoire, du solaire, à nouveau au Sénégal – où il compte accumuler plusieurs entités –, puis en Éthiopie, un port au Ghana, des autoroutes au Kenya…
Peu de financiers maîtrisent les contraintes du béton comme cet ingénieur des Ponts et Chaussées. « Thierry Déau sait ce que c’est, concrètement, de développer un projet. Il est bon sur les plans technique, financier et politique à la fois. C’est rare chez ses homologues investisseurs, et c’est ce qui explique sa très belle réussite », souligne Bertrand de la Borde, directeur infrastructures Afrique d’IFC, qui le connaît depuis quinze ans. Après un passage en Malaisie chez GMT International, Thierry Déau commence sa carrière à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), bras armé de l’État en matière de financement d’infrastructures, puis gravit les échelons de sa filiale de gestion de projet Egis (2 000 employés), dont il devient directeur général exécutif en 2001.
Investir pour créer à sa guise
S’il crée Meridiam, en 2005, à l’âge de 36 ans, c’est uniquement pour avoir une « plus grande liberté d’action ». « Je fais le même métier depuis vingt ans », lâche ce natif de la Martinique. « Un ingénieur des Ponts et Chaussées est formé pour gérer l’aménagement du territoire jusqu’au bout du chemin, et cela ne se fait pas sans investissements. C’est pour cela que je ne me définis pas comme un financier mais comme un ingénieur. »
Ses interlocuteurs s’accordent à saluer un homme à l’intelligence supérieure, capable d’attirer à lui les meilleures compétences, mais qui peut, notamment en Afrique, où il n’avait aucune expérience, se montrer « arrogant » et « trop sûr » de son analyse – dont il ne cache pas, en privé, qu’elle est en partie alimentée par des connexions dans le milieu du renseignement. « Au début, nous les avons accueillis fraîchement, admet un avocat spécialisé dans le secteur. Mais il faut avouer qu’il y a chez eux un héritage d’Egis. Ils acceptent de prendre des risques et d’être sur le temps long. Cela correspond à un besoin du marché en Afrique. »
Car Meridiam entend apporter plus que du capital. « Une fois qu’ils ont sélectionné un projet, beaucoup d’autres financiers attendent que les développeurs fassent leur travail. Nous ne sommes pas dans cette stratégie », dit le patron. Qui estime d’ailleurs que ses concurrents sont aussi bien les développeurs et les industriels que les fonds.
Stratégie sur le long terme
Une démarche possible grâce à de fortes compétences internes qui assurent le développement des projets, une phase complexe financièrement risquée mais décisive, notamment dans le secteur énergétique. « C’est précisément un travail que l’administration fait en Europe et qu’il faut faire quand on investit en Afrique. Cela demande de déployer beaucoup d’énergie, mais en faisant tout en parallèle on va plus vite. Et, en réalisant par exemple les études d’environnement ou d’impact social très en amont, on est directement compatibles avec les règles des banques de développement, qui restent souvent le meilleur financement, au Sénégal notamment », ajoute-t-il.
Une méthode qui va au-delà de l’énergie. En Côte d’Ivoire, il travaille ainsi avec le gouvernement à établir un programme d’infrastructures sociales (hôpitaux et universités). Avec à la clé des projets sur mesure et, finalement, très sécurisés (via les garanties des banques de développement, mais aussi les assurances disponibles, comme celle de Miga ou d’Opic). « À tel point que, selon les rapports de Moody’s, malgré tous les événements qui peuvent arriver, le taux de défaut des dettes projets est parmi les plus faibles en Afrique. » Si bien que sur le continent, où les projets en partenariat public-privé ont le vent en poupe, Meridiam attend une rentabilité de « 2 à 3 points » supérieure à ses investissements européens.
Avec Jeune Afrique