Institutions à l’arrêt, crise au sommet de l’Etat. Depuis le 12 mai, la Guinée-Bissau est dans l’impasse. Le président José Mario Vaz, élu en 2014, a relevé de ses fonctions l’ensemble de son gouvernement, y compris Carlos Correia, son premier ministre. Une décision qui intervient huit mois à peine après la destitution du précédent chef de l’exécutif, Domingos Simoes Pereira.
« Nous sommes vraiment préoccupés par l’impasse qui continue en Guinée-Bissau et crée une situation difficile pour la population parce que, avec le blocage, il est difficile pour les partenaires de la Guinée-Bissau de travailler avec le gouvernement, a déclaré Mohamed Ibn Chambas, directeur du bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. Les leaders politiques doivent travailler ensemble, dans le consensus, et engager un dialogue pour stabiliser le pays. »
Blocage des institutions
Abonné aux coups d’Etat depuis son accession à l’indépendance en 1974, la Guinée-Bissau a l’habitude des périodes d’instabilité. L’enclave lusophone d’Afrique de l’Ouest est le seul Etat de la région à avoirgagné son indépendance par les armes après une guerre de douze ans contre le Portugal (1962-1974). Mais les divisions qui minent le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), parti historique fondé par Amilcar Cabral, paralysent le pays.
« Le président José Mario Vaz, qui est toujours membre du PAIGC, a été candidat du parti lors de l’élection de 2014, rappelle Vincent Foucher, spécialiste de la Guinée-Bissau au centre de réflexionInternational Crisis Group (ICG). La même année, Domingos Simoes Pereira a été élu à la tête du parti, puis désigné premier ministre. » Après son éviction du gouvernement, celui-ci a rallié derrière lui les frondeurs du parti. C’est cette faction dissidente qui s’est rapprochée de l’opposition pour créer une nouvelle majorité parlementaire et provoquer un blocage des institutions. Lors de sa déclaration de politiquegénérale en décembre 2015, Carlos Correia, membre de longue date du PAIGC, n’a pas obtenu la majorité à l’Assemblée nationale, alors qu’elle lui était indispensable pour gouverner.
« Le président de la République a du pouvoir puisqu’il nomme notamment le procureur général, explique Vincent Foucher. Mais, depuis la mise en place des institutions démocratiques dans les années 1990, c’est le premier ministre qui contrôle l’Etat, le budget ou les dépenses publiques. Ceux qui se sentent menacés ou exclus par ce dernier vont alors systématiquement chercher du réconfort auprès du président pour se venger. » La Constitution prévoit que, dans une telle situation, le président consulte les différents partis, ce que José Mario Vaz a fait le 13 mai. « Le président de la République nous a informés qu’il a débuté les concertations, a déclaré le chef du PAIGC, l’ex-premier ministre Domingos Simoes Pereira, à sa sortie de la présidence. Nous n’avons proposé aucun nom. »
Si le niveau d’antagonismes entre les deux hommes est élevé, les raisons de leur désaccord restent obscures. Pour justifier l’évincement de Domingos Simoes Pereira, José Mario Vaz avait porté contre lui des accusations lourdes, dénonçant « un manque de transparence dans l’attribution des marchés publics, la corruption et des obstructions à la justice ».
Infiltrer le milieu politique
Sur son site internet, RFI explique que de forts soupçons de corruption pèsent sur le ministère des finances, et que 41 millions d’euros auraient été retirés des caisses de l’Etat début mai. Huit membres du gouvernement dissous, dont le premier ministre Carlos Correia, ont interdiction de quitter le pays.
L’autre fléau qui gangrène la Guinée-Bissau est le trafic de drogues. Dans un rapport d’International Narcotics Control publié en mars 2015, le pays est clairement décrit comme un centre de transit pour le trafic de cocaïne. Sa situation géographique avec sa façade atlantique, ses frontières poreuses avec le Sénégal au nord et la Guinée au sud, ainsi que sa centaine d’îles désertes disséminées dans l’archipel protégé des Bijagos, a permis aux narcotrafiquants d’Amérique du Sud, notamment, de prospérer, et d’infiltrer le milieu politique comme celui des hauts fonctionnaires. Dans son rapport, le département d’Etat accuse le système politique d’être « sous l’influence des trafiquants de drogues », soulignant que « la complicité de gouvernants responsables interdisait à tous les niveaux une évaluation complète de la résolution du problème de trafic de drogues. »
En avril 2015, les agents du Drug Enforcement Agency (DEA) ont arrêté en haute mer José Americo Na Tchuto, dit « Bubo », chef de la marine bissau-guinéenne, après lui avoir fait croire qu’ils disposaient d’une importante quantité de cocaïne à écouler. Les hommes du service anti-drogue de la police américaine visaient aussi le lieutenant général Antonio Indjai, chef d’état-major de l’armée et auteur de plusieurs coups d’Etat. Celui qui aurait « senti » le piège est aujourd’hui recherché par la justice américaine pour complicité de narcotrafic.
La poudre blanche a déjà touché les plus hautes sphères de l’Etat, comme tend à le prouver l’assassinat, le 2 mars 2009, de Joao Bernardo Vieira, président de la République. Soupçonné de participer aux trafics, il a été tué chez lui par des militaires au lendemain d’un attentat à la bombe qui avait causé la mort du général en chef du pays, Batista Tagme Na Waie.
Avec Dakar Direct