Il est parfois indispensable de montrer les muscles pour remettre un collègue ou un collaborateur sur les rails. Mais attention de ne pas vous laisser emporter par la mauvaise humeur !
Une engueulade intempestive peut en effet avoir des conséquences catastrophiques : briser l’élan de l’équipe, susciter une réprobation unanime, saper votre autorité, ternir votre image, voire déboucher sur une plainte pour harcèlement en cas d’injure! «Certains individus dits passifs-agressifs profitent du moindre faux pas», prévient Marwan Mery, co-auteur de Comment neutraliser les profils complexes (Eyrolles). Bref, avant d’attaquer au bazooka, gardez à l’esprit que le terrain est miné. Voici ce qu’il faut savoir avant de monter au créneau.
42% des salariés se disent victimes d’incivilités au travail (étude du cabinet Eleas, septembre 2015).
VEILLEZ À BIEN PESER VOS MOTS
«Pour ne pas choquer, vous devez en premier lieu choisir un vocabulaire modéré, conseille Etienne Madelin, coach pour le cabinet LHH. Hausser le ton suffit la plupart du temps. Mais, assortie à des mots durs, une voix puissante écrasera votre interlocuteur et vous fera passer pour un tyran… Il ne faut pas confondre colère et fermeté.» Autre écueil à éviter : les jugements à l’emporte-pièce. Ne vous précipitez pas sur la foi de rumeurs, prenez le temps de vérifier leur origine et ce qu’elles cachent. Ravalez aussi vos ardeurs combatives : les montées d’adrénaline à la machine à café sont rarement bonnes pour votre image.
Lorsqu’on recadre un employé, rappelle Isabelle Charvin, directrice du cabinet NeoCoach, «il faut toujours rester factuel, rappeler les délais, les objectifs fixés, atteints ou non. Déprécier un collaborateur en s’appuyant sur un jugement subjectif pourrait le faire douter de ses compétences et détruire sa motivation à long terme».
Un bon recadrage s’articule en quatre points : résumer les faits, indiquer les conséquences qui en découlent, offrir de l’aide si besoin et responsabiliser votre interlocuteur en l’impliquant dans la résolution du problème. En clair, évitez de dire : «Tu as fait un travail de sagouin et tu vas me réparer ça.» Essayez plutôt : «Je constate que le projet n’a pas été bouclé dans les délais. Cela nous met en porte-à-faux vis-à-vis du client. Que t’a-t-il manqué pour y arriver et que vas-tu faire pour corriger la situation ?»
ASSUMEZ UN CONFLIT JUSQU’AU BOUT
Vous pouvez aussi donner votre avis en affirmant «être déçu par tel comportement». «Si vous avez construit un lien empathique fort avec votre équipe, exprimer un reproche peut provoquer un choc chez votre subordonné, ce qui le poussera à corriger promptement son erreur», explique Marwan Mery. Toutefois, faites attention à ne pas manifester de mécontentement trop souvent. «La fermeté est efficace quand elle reste exceptionnelle, confirme Etienne Madelin. Si vous réprimandez sans cesse vos troupes, l’effet de contraste recherché tombera à l’eau et vous ne susciterez aucune prise de conscience chez vos interlocuteurs.»
Dernière recommandation: évitez de vous reposer sur quelqu’un d’autre pour passer un savon. «Si un manager délègue le problème à un N-1 ou, à l’inverse, se retranche derrière l’autorité de sa hiérarchie, ses salariés estimeront qu’il n’est pas capable de résoudre la difficulté par lui-même», analyse Marwan Mery. Votre ascendant risque d’en souffrir et les cas d’insubordination de se multiplier. Gérer vous-même le conflit jusqu’à son terme est l’unique moyen de rester seul maître à bord.
♠ Témoignage, Marc Lemaire, Yoocan : « Le premier qui s’énerve a perdu !»
Déficits, incompétence, manque de productivité… Voilà ce qui minait la SSII Yoocan. Aussi, quand il a rejoint cette entreprise, Marc Lemaire a dû commencer par sévir pour éviter la banqueroute.
Grosse pagaille. «En 2010, raconte-t-il, quand je suis devenu directeur du développement de Yoocan, mon équipe de dix personnes bouclait nombre de contrats avec plusieurs milliers d’euros de déficit.» Pour arrêter l’hémorragie, le nouveau dirigeant installe d’abord des outils de mesure. «Il fallait que je m’appuie sur des faits», explique-t-il.
Il annonce à ses collaborateurs qu’ils devront saisir leur emploi du temps sur une plateforme numérique. Objectif ? Vérifier que toutes les heures déclarées sont bien facturées aux clients. Quelques salariés dénoncent un «flicage» et un «travail supplémentaire». Mais Marc Lemaire, qui avait prévu ces remarques, décide de jouer la franchise : «Je comprends vos réticences, mais il s’agit de notre survie !» Bon gré, mal gré, tout le monde se plie aux nouvelles règles.
Grand ménage. Le reporting met à jour le flou des procédures. La productivité de certains est parfois dérisoire tandis que les chefs de projet «oublient» de facturer des heures ! «Sur un mois, j’ai récupéré 10.000 euros, soit 10% du chiffre d’affaires de la société. Un employé avait, par exemple, déclaré vingt heures de travail pour cinq payées par le client !» s’exclame le patron.
Un à un, il reçoit dans son bureau les distraits et les indolents pour les recadrer et leur laisser une chance de se reprendre. «Les uns rejetaient la faute sur leurs collègues, d’autres refusaient de voir le problème, d’autres encore n’écoutaient rien et claquaient la porte. Quand la tension devenait trop forte, je m’isolais pour reprendre mes esprits, se souvient le dirigeant. Dans ce genre d’entretien, le premier qui s’énerve a perdu.»
Au final, cinq employés quittent l’entreprise. «Ceux qui ne voulaient pas se former ou qui n’arrivaient pas à suivre le rythme.» Aujourd’hui, l’équipe, à nouveau compétitive, compte 12 salariés. Marc Lemaire, lui, a gagné dans l’épreuve ses galons de leader : il a accédé à la direction de la société en 2013.
Avec capital