Pendant 4 jours, 15.000 bikers de toute l’Europe se sont rendus sur la Côte d’Azur pour assister à l’Euro Festival. Loin des clichés, ces blousons noirs sont pour la plupart des pères et des mères de famille qui le temps d’un week-end réalisent un rêve de gosse.
Le monde Harley est une grande famille qui pour durer, doit se recomposer sans cesse. Depuis sa création en 1903, le constructeur de Milwaukee (Wisconsin) a été le symbole d’une génération qui a survécu à la Seconde guerre mondiale, puis d’une jeunesse révoltée, mais aussi des stars du rock’n roll et de leurs fans. Depuis les années 90, l’enjeu d’Harley-Davidson est de séduire au-delà de sa clientèle traditionnelle sans pour autant perdre son âme, et pour y parvenir, la marque a déroulé un véritable rouleau compresseur marketing. Et le pari semble gagné, comme nous l’avons constaté sur l’Euro Festival qui s’est tenu du 11 au 14 mai à Port Grimaud (Var). Ce rendez-vous a rassemblé plus de 6.000 motos et 15.000 personnes venues vivre en bikers pendant quelques jours.
Aujourd’hui, Harley-Davidson symbolise la liberté pour des quinquagénaires plutôt aisés. Ayant passé leur vie à s’investir dans leur carrière, ils trouvent dans la moto un moyen de retrouver une nouvelle jeunesse en refaisant leur propre version de “Easy Rider”. “Je prends ma Harley tous les jours pour aller au travail et le week-end pour me balader avec mes potes et c’est à chaque fois la même émotion, je me sens libre”, nous a raconté Stéphane. Au départ, cet architecte cherchait un deux-roues pour échapper aux bouchons. “Je suis allé au Mondial du Deux Roues pour choisir un scooter, mais quand j’ai vu les Harley, j’ai craqué. En quelques semaines, j’ai passé mon permis et j’ai acheté ma bécane et depuis, c’est que du bonheur!”
Un “Disneyland” pour les bikers
“Arrivés à 50 ans, certains rêvent de s’offrir une Rolex, mais pour d’autres, c’est l’âge de réaliser un rêve de gosse”, indique Gérard Staedelin, directeur de Harley-Davidson France qui confirme que les clients de milieux plutôt aisés sont de plus en plus nombreux. Si dans la vie de tous les jours, ils sont repérables à leur code vestimentaire, sur l’Euro Festival, on ne les distingue pas des autres communautés de bikers. Vêtus de bottes et de cuirs avec un aigle dans le dos, ce sont des avocats, des architectes, des hôteliers ou des banquiers qui, sur l’Euro Festival, sont de véritables bikers qui viennent entre amis ou en famille, comme d’autres vont à Disneyland.
Mais ces CSP+, comme on les appelle dans le jargon économique, ne sont pas les seuls nouveaux venus dans cette communauté de motards. Pour développer son business, Harley Davidson a ouvert en grand les portes de son royaume aux femmes. Harley n’a pas hésité à créer pour elles de nouveaux modèles plus légers et donc plus maniables que les monstres de 400 kilos qui restent les plus prisés des hommes.
Harley ne s’est pas arrêté à cela. La marque a développé des motos clubs exclusivement féminins où les membres se retrouvent entre elles chaque week-end pour “rider” entre copines. Et pour qu’elles puissent personnaliser leur engin à leurs goûts, un catalogue d’accessoires a été développé sur le site du constructeur sous un onglet explicite: “Pour elle”.
L’arrivée de ces nouveaux clients a eu son effet positif sur l’accueil que la région Paca fait désormais à l’Euro Festival. Lors de sa création, il y a plus de dix ans, l’événement inquiétait les autorités locales qui craignaient de voir des bagarres entre bandes rivales. Aujourd’hui, il est accueilli avec le sourire. Et pour cause, en pleine période creuse, il donne un véritable coup de fouet à l’économie locale. La région Paca y contribue financièrement pour environ 50.000 euros selon nos sources, et cette année, la grande parade qui a réuni 2.000 motos est passée sur le port de Saint-Tropez avec à sa tête, non pas Johnny Hallyday, mais Renaud Muselier, le nouveau président de la région Paca. Est-il venu tenter de dissuader le constructeur de délocaliser l’Euro Festival à Barcelone, comme la rumeur court chez les commerçants varois? Plus que probable.
Des légendes à défendre, d’autres à casser
Les Harley sont-elles devenues un signe extérieur de richesse comme une montre ou une voiture de luxe? Gérard Staedelin s’en défend. “Il faut casser cette légende. Oui, nous avons une clientèle aisée, mais nos motos ne sont pas aussi chères qu’on le laisse entendre et surtout, elles ne sont pas réservées à une élite”. La plus chère de la gamme coûte 41.000 euros. “Dans une certaine catégorie de loisir, nous sommes moins chers que des montres, des voyages, des voitures ou des bateaux que l’on peut admirer dans le port de Saint-Tropez…”
L’enjeu est donc de ne pas perdre les clients moins fortunés qui désirent aussi vivre “leur rêve de gosse”. Pour cela, le constructeur a créé Harley-Davidson Financial Services qui propose des formules de crédit en partenariat avec Financo en France. “Chacun peut financer sa moto à son rythme avec de la LOA ou un crédit” explique Gérard Staedelin. Un modèle à moins de 8.000 euros a même été lancé cette année pour tenter de séduire les 18/35 ans.
Reste que le prix de la moto n’est qu’un ticket d’entrée pour pénétrer le monde de la Harley. On s’en rend compte sur l’Euro Festival où aucune moto ne ressemble à une autre: elles sont toutes personnalisées pour refléter l’esprit de son propriétaire. Et personne n’aurait l’idée de s’équiper de pièces asiatiques “compatibles” ou pire, de contrefaçons. Si elles ne proviennent pas du constructeur, elles sont réalisées par des spécialistes qui facturent au prix fort.
Car après avoir acheté leur machine, les clients dépensent presque autant pour la personnaliser en choisissant les éléments dans un catalogue aussi épais qu’un annuaire téléphonique. C’est aussi ce qui fait la puissance de l’écosystème de Harley-Davidson. “Nous ne sommes pas juste un vendeur de motos, mais une société globale de cet univers. La moto représente environ 65% du chiffre d’affaires mondial, le reste est réalisé avec les ventes de pièces et d’accessoires pour les modifications esthétiques ou techniques, les vêtements et les services financiers (achat, assurance et extension de garantie)”. C’est presque un modèle à la Apple où l’iPhone est au cœur du système, à une différence près: chez Harley, tout est fait en interne et siglé HD.
Après la Côte d’Azur, la vallée de Morzine et un lac autrichien
En 2016, la marque a réalisé un chiffre d’affaires de 6,3 milliards de dollars (65% aux États-Unis), en hausse de 5,6% par rapport à 2015. Elle a distribué 268.000 motos et espère doubler ce chiffre en 2025. “Par rapport à l’automobile, ce n’est pas grand-chose, mais dans la moto, nous sommes en tête dans la catégorie des grosses cylindrées”, affirme Gérard Staedelin.
Une place convoitée: aujourd’hui, les concurrents sont de plus en plus nombreux à vouloir séduire les clients qui cherchent à vivre un mythe et qui ont les moyens de le faire. Il y a le britannique Triumph, les italiens Moto Guzzi et Ducati, l’indien Royal Enfield et aussi, bien sûr, deux américains: Indian et Victory. En revanche, plus aucun français. Ils ont tous disparu depuis déjà plusieurs décennies.
Pour se démarquer de ses rivales, Harley-Davidson crée des événements entièrement dédiés à sa marque. L’Euro Festival est l’un des cinquante qui se déroulent chaque année en France. C’est le plus important du pays, suivi par le Morzine Avoriaz Harley Day, qui se tiendra en juillet. Mais il est encore loin d’atteindre le Faaker See qui a lieu en Autriche en septembre. Le temps d’un week-end, ce sont 120.000 motards européens qui viennent y faire la fête. À notre connaissance, aucune marque, tous secteurs confondus, n’a jamais organisé de tels rassemblements de clients.
Avec bfmbusiness