Nathalie ZOROME
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CONTRAT DE TRAVAIL INTERNATIONAL : Quels sont les pièges à éviter ?
Quelles sont les problématiques liées au contrat de travail international ?
D’une manière générale, il est bien beau d’affirmer que le contrat de travail est un accord de volontés entre les deux parties, mais force est de constater qu’en réalité les choses sont beaucoup moins équilibrées que cela puisque, par définition, l’entreprise est en position de force lors du recrutement, tant le marché du travail est actuellement tendu pour les salariés.
S’il est vrai qu’un cadre supérieur très spécialisé et donc recherché pour ses compétences rares aura une marge de négociation appréciable au moment de la signature du contrat, la plupart des travailleurs n’auront pas cette chance et souscriront sans sourcilier à des dispositions imposées dans un document standard, pré-rédigé par l’employeur.
En tous les cas, il y a quand même un minimum pour éviter les mauvaises surprises ultérieures et vous avez tout intérêt à surveiller de près le contenu de l’avenant ou du contrat de travail.
Bien souvent, l’absence de clauses écrites équivaut à une absence de droits, ce qui peut être d’autant plus dommageable à découvrir a posteriori en cas d’expatriation, que l’on se trouve côté salarié ou côté employeur.
Comment les entreprises préparent-elles l’affectation d’un collaborateur dans un pays étranger ?
Lorsqu’un employeur veut expatrier, c’est au service des ressources humaines, généralement appuyé par un cabinet spécialisé, d’appréhender les différents paramètres afin de proposer le type de contrat sur-mesure.
Par principe, il faut veiller à toujours demeurer conforme au droit du pays dans lequel on expatrie, ainsi qu’au droit du pays d’origine et naturellement, il faut encore respecter les accords d’entreprise de la société et du groupe auquel elle appartient le cas échéant.
En tous les cas, de la nature du contrat choisi, découleront des contraintes et des avantages différents. Il faut donc que l’employeur décide s’il veut expatrier, ou bien détacher, ou encorefaire un split (ce qui consiste à mettre en place deux contrats, un avec chaque société de chaque pays).
Le seul point commun à ces différents types d’organisations contractuelles, c’est qu’il faut que la rédaction soit la plus détaillée possible.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces différents types de contrats envisageables ?
Tout d’abord, il faut donner une précision terminologique car, dans le langage courant, on parle toujours d’ « expatriation » mais, juridiquement, cette notion peut désigner des réalités bien différentes.
En premier lieu, il faut bien distinguer l’expatriation du « détachement » qui désigne un cas dans lequel le contrat d’origine reste en vigueur. La différence fondamentale avec l’expatriation se trouve au niveau de la protection sociale car le salarié détaché demeure alors soumis au régime de protection sociale de son pays d’origine. Il appartient aux juristes de vérifier les conventions bilatérales de sécurité sociale.
Dans le cas d’une véritable « expatriation », le contrat d’origine peut aussi rester en vigueur mais il est conseillé de le suspendre pendant l’affectation à l’étranger. On rédige alors un avenant au contrat de travail avec la société d’origine, mais également un contrat de travail local avec la société d’accueil.
On peut aussi parler d’un troisième type d’aménagement contractuel quand le salarié travaille sous le régime du détachement à la fois dans deux pays : comme je l’évoquais précédemment, on parle alors de contrats « en split », c’est à dire un avec chaque société de chaque pays. Dans cette configuration, l’un des contrats sera qualifié de « contrat principal », même s’il est à temps partiel, et c’est ce contrat qui règlerale régime protection sociale, l’autre temps partiel étant réalisé dans le second pays.
Pouvez-vous nous donner des précisions sur les précautions à prendre avant toute affectation pour une mission à l‘étranger et les principales clauses à vérifier, qu’on soit salarié ou employeur ?
Tout d’abord, il est évidemment indispensable de formaliser les détails de l’accord dans un document écrit (contrat de travail ou un avenant de mutation) comprenant les informations essentielles comme le lieu de travail, l’intitulé du poste, le montant et la composition de la rémunération, ainsi que sa périodicité et la devise de paiement; la durée de travail, la date de début d’affectation à l’étranger et sa durée (déterminée ou indéterminée).
Idéalement, on ajoutera au minimum les délais de préavis et la durée des congés payés mais il est préférable de prévoir aussiexpressément tous ce qui touche aux avantages en nature et les éventuelles primes d’expatriation.
Lorsque je conseille un salarié, je l’invite toujours à s’enquérir aussi des conditions de rapatriement dans son pays d’origine et de la couverture sociale applicable en cas d’accident ou problème de santé.
Ce dernier point doit également être une zone de grande prudence pour l’employeur qui est tenu d’une obligation de sécurité au travail.
Pour le cas où il s’agirait d’une mutation, pouvez-vous nous indiquer comment éviter de perdre les acquis du précédent contrat lors de la signature de l’avenant contractuel ?
Tout dépend si l’on se place du côté de l’employeur ou du côté du salarié.
De même, chaque cas mérite une attention particulière et les points de vigilance seront différents d’un contrat à un autre mais on peut cependant répertorier quelques questions clés qui méritent toujours grande attention.
Par exemple, concernant la convention collective : même si le contrat d’origine lui était soumis, il ne va pas de soi que cette dernière continuera à s’appliquer après la signature de l’avenant de mission à l’étranger. En effet, chaque convention définit son champ d’application territorial qui dépasse rarement le cadre national.
Cependant, il faut savoir que certaines conventions collectives prévoient des dispositions propres aux salariés envoyés à l’étranger. Il convient donc de vérifier cela avant la négociation du contrat car même si rien n’est prévu en ce sens dans le texte conventionnel, il est toujours possible d’essayer de négocier que telle ou telle disposition reste (ou pas) applicable.
Autre exemple, il est également utile de faire préciser dans le contrat si la période de travail à l’étranger sera prise en compte dans le calcul l’ancienneté, en particulier si l’expatrié devient provisoirement salarié d’une autre entreprise (par exemple une filiale).
Comment règle-t-on la question de la loi applicable au contrat international ?
S’agissant de tout contrat, qu’il soit de travail, civil ou commercial, la règle de principe internationale veut que l’on applique la loi choisie par les parties.
Par exemple, si un salarié ivoirien est recruté par une société marocaine pour travailler au Maroc, les parties peuvent convenir que la loi applicable au contrat de travail sera la législation du travail marocaine ou ivoirienne.
Que se passe-t-il si les parties ont omis de stipuler la loi choisie ?
Rien n’est plus hasardeux que de rester muet sur ce point capital.
Lorsque le contrat ne le précise pas, c’est celle du lieu de travail qui s’applique, sauf exceptions (conventions internationales ou loi impératives d’ordre public locales). Il en va de même si les circonstances démontrent que le contrat présente des “liens plus étroits” avec un autre pays dont la loi est plus favorable.
Pour donner un exemple, citons le cas d’un Congolais recruté par une filiale belge d’une société américaine pour évoluer à la fois en Belgique et en France ; il sera qualifié juridiquement de « salarié mobile » et dans ce cas, la loi applicable par défaut sera la loi belge.
Quels sont les critères à étudier pour déterminer globalement la loi la plus favorable ?
S’agissant d’un point assez subtil, je dirais que par précaution, il est toujours utile de se faire conseiller par un professionnel compétent qui vous aidera à déterminer le système juridique le plus intéressant au regard de vos propres attentes.
Ce conseil reste valable même si vous pensez que vous n’avez pas beaucoup de marge de négociation avec votre interlocuteur car, au delà de la loi applicable au contrat, un juriste pourra quand même toujours vous guider au moins pour valider utilement la rédaction de certaines clauses sur-mesure afin de sauvegarder vos intérêts.
Les points les plus sensibles tournent notamment autour des questions entourant la rupture de la relation de travail à l’initiative de l’autre partie (clauses « parachutes », clause de dédit-formation, obligations de non-concurrence et confidentialité post-contractuelle….).
Evidemment, la question de la protection sociale et celle des charges sociales et fiscales imputables à la rémunération brute sont aussi essentielles pour pouvoir apprécier quel est globalement le système le plus favorable.
Au sujet de la protection sociale, que se passe-t-il si le recrutement se fait directement à l’étranger avec un contrat local ou même un split ?
Si le recrutement s’effectue directement par le biais de la société locale (même si c’est une filiale d’une société étrangère du pays d’origine), c’est généralement la loi du pays d’accueil où s’effectue le travail qui est appliquée.
Dans ce cas, en ce qui concerne la protection sociale, le contrat est automatiquement soumis aux cotisations sociales du pays d’accueil.
C’est éventuellement alors aux juristes et aux avocats de proposer des aménagements contractuels dans l’intérêt des parties. Tout est affaire de négociation.
Que pourriez-vous conseiller à un travailleur étranger qui serait recruté pour partir dans un pays de l’Union européenne ?
Certaines législations sont notoirement connues pour être très protectrices, soit des intérêts des salariés, soit de ceux des entreprises.
Ainsi par exemple, si vous partez travailler en France, quelle que soit votre nationalité d’origine, il est très probable que vous aurez grand intérêt – en tant que salarié- à faire préciser que votre contrat de travail sera régi par la loi française car elle est en général connue pour être favorable aux employés.
A l’inverse, si on se place du point de vue de l’employeur qui souhaiterait recruter un salarié français pour venir travailler en Afrique, je lui conseillerai – dans son intérêt – d’opter pour un contrat local ou un contrat en split, ce qui consiste à mettre en place deux contrats, un avec chaque société de chaque pays. Un contrat en split peut uniquement s’appliquer quand le salarié travaille dans deux pays.
J’invite aussi toujours mes clients à prévoir une clause suspensive pour se prémunir par exemple de la non-obtention d’un permis de travail, ce qui peut arriver.
A ce sujet, on peut d’ailleurs souligner qu’un contrat de travail local est souvent requis pour avoir un permis de travail (comme au Maroc ou en Australie), même si ce n’est pas toujours le cas (par exemple dans certains pays anglo-saxons comme les Etats-Unis ou le Royaume Unis).
Et si les parties travaillaient déjà ensemble avant l’expatriation, peut-il y avoir une nouvelle période d’essai ?
Du point de vue de l’employeur, que l’on ait mis en place un contrat local ou que l’on se trouve dans le cadre d’une mutation interne dans un groupe international, il est possible de prévoir des aménagements contractuels pour éviter de devoir verser des indemnités de sortie si l’expatriation ne fonctionne pas.
Quand la législation du pays d’accueil impose la souscription d’un contrat de travail local, il faut analyser toutes les possibilités contractuelles proposées par la loiapplicable dans le pays en question, mais dans tous les cas, s’agissant ici d’un nouveau contrat, l’insertion d’une clause de période d’essai est conseillée.
La situation est légèrement différentesi la configuration contractuelle choisie par les parties est celled’un simple avenant de détachement et si,au moment du départ à l’étranger, le salarié appartenait déjà à l’entreprise en ayant accompli une période d’essai. Dans cette hypothèse, l’affectation à l’étranger sur un nouveau poste justifie bien un nouvel essai, mais ce ne sera pas -à proprement parler- une « période d’essai »,cette transition se qualifiant juridiquementplutôt de « période probatoire ».
Dans tous les cas, il convient de prévoir ce qu’il advient si cette période probatoire du salarié se termine par un échec : réintégration dans l’ancien poste ou licenciement avec préavis et indemnités.
Et que pouvez-vous nous dire sur la négociation de la rémunération ?
Il existe essentiellement deux schémas de contrats, chacun avec leurs avantages, négociables au cas par cas.
On parle de « home based », si l’expatrié conserve un ancrage contractuel fort avec sa société d’origine et une rémunération de référence identique à celle qu’il avait avant le départ. C’est elle qui servira de base au calcul pour l’ensemble du package d’expatriation, ainsi que d’assiette pour les cotisations sociales. On peut souligner que cette rémunération de référence demeure toujours le minimum de base que l’expatrié reçoit lors de son retour.
A l’inverse, il peut y avoir un ancrage plus fort (ou même exclusif) dans le pays d’accueil si l’expatrié n’a plus de lien contractuel avec son pays d’origine, ou alors, s’il en conserve un mais que son contrat de travail d’origine est suspendu (avec une clause de retour). Dans cette configuration, on dit alors que le contrat est de type « host based » et l’expatrié a l’équivalent d’une rémunération locale usuelle pour ce poste auquel on y ajoute les éléments d’un package expatriation.
D’une manière générale, pour parler des primes d’expatriation, sachez qu’elle correspondent généralement à un coefficient appliqué au salaire de base en fonction de différents paramètres : conditions de vie, état sanitaire, éloignement, risques sécuritairesetc
On peut également discuter d’une éventuelle prime différentielle de coût de vie dont le but est de compenser une éventuelle différence du coût de vie entre le pays d’origine et le pays d’accueil de l’expatrié.
Il faut aussi penser à déterminer quels seront les lieux et monnaies de paiement du salaire. Il est ainsi possible de prévoir que celui-ci ne sera versé qu’en partie seulement, dans le pays d’accueil.
De même, l’existence d’une clause dite « de garantie contre le risque de change » est un bon moyen de préserver la rémunération d’éventuelles fluctuations du cours monétaire, tout comme les clauses de compensation fiscale si l’imposition est lourde dans le pays d’accueil.
Les autres points à négocier son évidemment aussi la prise en charge des frais de déménagement et des voyages de retour dans le pays d’origine au moment des congés.
Enfin il faut savoir que la question du maintien ou non de la participation aux bénéfices pour le salarié qui part travailler à l’étranger ne peut se concevoir que s’il est simplement détaché d’une société mère dans une filiale étrangère.
Et qu’en est-il des avantages en nature ?
La discussion autour des avantages en nature dans le pays d’accueil est un enjeu important mais là aussi, il faut bien réfléchir ou se faire conseilleravant d’opter pour un avantage plutôt qu’un autre car si le salarié est domicilié fiscalement dans le pays d’accueil, certains avantages comme le véhicule ou le logement de fonction peuvent être soumis à une fiscalité plus ou moins lourde selon les pays.
Et pour la fin de la mission à l’étranger, comment faut-il organiser le retour?
Pour être claire, disons qu’il faut parler du retour dès le départ.
C’est un point essentiel car le rapatriement (mis à part en cas de problème sanitaire ou sécuritaires exceptionnels évidemment) n’est jamais un droit pour l’expatrié. Par conséquent, si rien n’a été prévu ou négocié contractuellement, il est conseillé aux expatriés eux-mêmes de souscrire individuellement un contrat d’assistance auprès d’une compagnie d’assurances.
Enfin, concernant une éventuelle réintégration dans l’entreprise d’origine, il faut impérativement, pour en bénéficier, y avoir d’abord travaillé avant d’être détaché à l’étranger.
L’année dernière en France, la plus haute juridiction a statué sur un cas qui a fait grand bruit : les magistrats ont considéré qu’un salarié expatrié qui avait fait l’objet d’une mesure de rapatriement sans bénéficier d’une offre de réintégration sérieuse, précise et compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions au sein de la société mère pouvait prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.
Tout est affaire de point de vue mais il est certain, si l’on considère les indemnités obtenues, que l’employeur aurait dû réfléchir à deux fois au lieu de balayer d’un revers de main la question du retour de l’expatrié dans son pays d’origine.
Certains grands groupes internationaux offrent des services sur-mesure à l’expatrié qui réintègre le siège dans son pays d’origine, notamment en proposant les services d’un prestataire en charge de trouver un appartement d’attente pour la famille ou une école pour les enfants.
Auriez-vous des conseils pour un employeur en cas de licenciement d’un salarié expatrié?
Si l’employeur opte pour un détachement ou un split, je lui donne toujours un conseil de prudence, justement au cas où l’expatriation du collaborateur se révèlerait finalement être moins intéressante que prévue.
Une astuce consiste à conclure d’abord un contrat à durée déterminée (avec une période d’essai)correspondant à la même durée que l’avenant d’expatriation du contrat d’origine. Si ensuite les choses se passent bien sur le terrain, il sera toujours possible de renouveler l’opération, cette fois-ci en contrat à durée indéterminée.
Par contre, lorsqu’un employeur n’a pas pu organiser cet aménagement et que seul le licenciement est possible, je lui recommande toujours de rapatrier d’abord son salarié pour ainsi rompre tout lien avec la société d’accueil, avant de commencer la procédure dans le pays d’origine car cela permet d’éviter les difficultés liées à la rupture sur deux pays ayant des législations différentes.
En effet dans la plupart des systèmes juridiques, il y a un grand paradoxe dans la jurisprudence applicable en matière d’expatriation : si l’on reconnaît volontiers la notion de groupe international ou celle de « mobilité intra-groupe » au moment de l’affectation à l’étranger, à l’inverse, lorsqu’on en vient à la phase de rupture contractuelle, cette notion d’unité disparaît et les salariés peuvent bénéficier des indemnités de deux sociétés différentes du même groupe dans des pays différents.
Interview rélisée par PME PMI MAGAZINE