Notaire-Conseil, diplômé supérieur de notariat (DSN), à Paris, Me Bertin Zehouri est une valeur montante du notariat, en Côte d’Ivoire, et dans les pays membres de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). Enseignant dans les universités ivoirienne et française, et pratiquant du droit notarial, en France et en Afrique, il explique la fonction de notaire et son caractère incontournable, dans des pays, comme la Côte d’Ivoire, où le maître-mot des dirigeants, est la marche vers l’émergence.
AFRIQUEDUCATION : Au moment où les dirigeants africains parlent de plus en plus de faire de leurs pays des pays émergents, qu’en est-il d’un secteur comme celui du notariat où, logiquement, il devrait jouer une place centrale ?
Dans quel état général évolue cette profession dans les Etats membres de l’OHADA ?
Me Bertin Zehouri : La profession notariale connait dans l’ensemble des pays membres de l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires), un dynamisme inspiré par l’assainissement de l’environnement des affaires, du moins, dans les textes. En pratique, les notaires des pays comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad, le Togo, etc. sont sollicités pour leurs compétences à géométrie variable en fonction de la spécificité culturelle et politique de chaque pays membre.
Ces différents notariats évoluent dans un environnement où les Etats ignorent en partie ou totalement les missions des notaires qu’ils ont eux-mêmes nommés en qualité d’officiers publics. La méconnaissance générale du notaire est malheureusement à l’origine de profonds dysfonctionnements au sein des appareils judiciaires respectifs. L’engorgement des tribunaux par des conflits induits des déficits chroniques de preuves fiables ou authentiques, menace une paix sociale déjà fragile dans chacun des pays sans exclusive.
Face au constat ci-dessus, il est permis de s’interroger sur l’authenticité des politiques économiques sensées conduire lesdits pays au port de l’émergence. En effet, si la mission du notaire est sans nul doute « d’incarner l’Etat, la puissance souveraine, l’équité et la justice », force est de constater que la quasi-majorité des contrats qui se nouent entre les investisseurs et les Etats concernés, entre ceux-ci et les particuliers, le sont sans l’intervention du notaire. Or la fonction économique du notariat exige que le notaire soit un professionnel du contrat qui conseille les parties, en capte la volonté, ajuste l’acte à la légalité, le rédige et l’authentifie avant de le répertorier et le conserver. Ainsi donc, les contrats portant mutations au niveau des infrastructures (eau, électricité, ports et transports, canaux de communication, etc.) et de la superstructure (administration, sécurité, justice, etc.), ne sont malheureusement pas frappés du sceau de l’authenticité, non plus qu’ils sont conservés ou répertoriés durablement comme l’aurait fait le notaire en application de sa mission régalienne.
Le non-recours au notaire présente donc un risque de voir les contrats conclus par les parties reniés par la plus puissante d’entre elles. L’Etat étant généralement en position de force, il est fortement conseillé aux parties (investisseurs et autres) qui traitent avec l’Etat, de recourir au notaire qui pourra, le cas échéant, dresser des actes authentiques infalsifiables que les parties pourront, en cas de besoins, produire devant n’importe quel tribunal au monde pour se faire justice.
Nous rappelons à toutes fins utiles que le notaire, tout en détenant l’autorité publique, exerce sa fonction de manière impartiale et indépendante, en dehors de toute hiérarchie étatique. N’est-ce pas là, la super garantie offerte aux cocontractants ? La mission du notaire transcende les régimes, les souverains, les gouvernements de manière à ce que la continuité de l’Etat est toujours assurée grâce à la mission du notaire.
Prenons un cas concret. Vous êtes notaire en Côte d’Ivoire où on en compte à peu près 200. Que fait concrètement l’Etat pour que vous soyez le plus efficace possible dans sa politique de promotion de l’émergence ?
L’Etat de Côte d’Ivoire entretient depuis toujours avec ses notaires, une relation empreinte de courtoisie mutuelle qui a gagné quelques galons de plus ces dernières années. En effet, les notaires ivoiriens bénéficient depuis 1964 de dispositions légales protectrices de leurs champs d’activité traditionnels que sont les transactions immobilières, les règlements de successions, l’authentification d’actes comme c’est le cas en France. A la différence de leurs confrères français mais à l’instar de certains notaires allemands, les notaires ivoiriens bénéficient d’une compétence accrue en matière de création d’entreprises, de formation de sociétés et de tous les actes accessoires ou périphériques auxdits actes.
Il s’ensuit que dans les matières citées ci-avant, les actes établis sans l’intervention du notaire sont nuls à moins qu’ils n’aient été déposés aux rangs des minutes du notaire. Etant bien précisé que le dépôt au rang des minutes est interdit pour les actes portant mutation de droits et biens immobiliers. En effet, le décret n° 71674 du 16 février 1971, relatif aux procédures domaniales et foncières pris en ses articles 5 et 6, fait interdiction au notaire d’authentifier de tels actes sous peine de sanctions graves.
Sous la pression de la Banque mondiale et de son institution satellite, Doing Business, les pays de l’OHADA, ont été invités à supprimer dans les dispositions légales, l’intervention du notaire au niveau des actes en matière d’actes de création de sociétés. Il était clairement question par exemple de supprimer la Déclaration notariée de souscription et de versement (DNSV) du capital des sociétés en cours de création. Pour qui sait que la DNSV est d’ordre public (articles 73 et 74 de l’Acte uniforme portant droit des sociétés commerciales et du GIE) rendant le passage obligé chez le notaire, sa disparition serait un coup dur porté à la profession qui verrait ainsi s’accroître la concurrence des avocats et autres fiduciaires qui n’ont que peu de savoir-faire en matière de rédaction appropriée d’actes juridiques de sociétés, outre le fait que leurs domaines de monopole, celui des avocats par exemple, la postulation (la plaidoirie) ne serait pas ouverte aux notaires.
La réaction de l’Etat de Côte d’Ivoire a consisté à imposer l’acte authentique notarié en matière de société respectant ainsi l’article 10 de l’Acte uniforme portant droit des sociétés commerciales et du GIE. En contrepartie, les notaires ont été invités à baisser leur tarif de manière drastique passant de 601.038 F CFA à 187.400 F CFA pour une SARL au capital social de 1.000.000 de F CFA, soit une baisse de 68%. En outre, les notaires ont dû s’engager à rédiger, puis, à formaliser les actes de société en 48 heures.
Ce sacrifice à l’effort économique consenti par les notaires en matière de création des entreprises, d’obtention des permis de construire, de transfert des propriétés et d’exécution des contrats a permis à la Côte d’Ivoire de créer plus de 2 535 entreprises en 2013, contre 126, en 2012, passant dans le classement de Doing Business 2013, de la 177e place à la 167eplace, gagnant ainsi, 10 points et devenant l’un des 10 pays au monde ayant affiché les réformes structurelles les plus efficaces selon Doing Business. Selon le directeur général du CEPICI, M. Emmanuel Essis, l’institution qu’il dirige, a généré 506 milliards de F CFA de recettes en 2013 contre 219 milliards en 2012.
A cet effort de l’Etat de Côte d’Ivoire pour rendre ses notaires visibles, s’ajoute la réforme en matière foncière. En effet, depuis juillet 2013, il est strictement interdit en Côte d’Ivoire d’effectuer des mutations en matière immobilière entre particuliers, du reste, sans passer par la case notaire. En théorie, c’est une avancée qui peut paraître curieuse tant la mission traditionnelle du notaire s’exerce dans ce secteur clé de l’économie. Mais si la réforme insiste, c’est parce que par le passé, nombre de transactions concernant le foncier rural comme urbain se traitaient en dehors des offices de notaires, parfois, par devant les sous-préfets, préfets et autres, maires, avec toutes les difficultés que cela a drainé pour la création des titres finaux.
Toutefois, l’Etat ne devrait pas se contenter de ces quelques coups de pouces. Au contraire, il convient d’impliquer le notaire dans toutes les transactions sans exclusives. Car, si dans des pays comme la France, il est possible de penser que les populations savent écrire, lire, et plus ou moins défendre leurs droits, en revanche, en Côte d’Ivoire, et plus généralement, en Afrique, les populations ne sont que moyennement alphabétisées. Et quand bien même elles le seraient devenues de plus en plus, il est encore trop tôt pour les laisser conclure des marchés si importants pour la constitution de leurs patrimoines sans prendre les précautions les plus urgentes et les plus sûres en matière de conseil et au-delà, en matière de conservation de preuves. Il n’est sans doute pas de trop de reconnaître que les progrès de la science n’ont pas encore totalement pris effet en Afrique et la durée de vie y est relativement courte. Il devient donc urgent d’impliquer davantage les notaires aux côtés de chaque créateur de richesse pour garantir la constitution des preuves, la conservation des données fiables et leurs transmissions corrélatives aux générations futures. Ainsi, le notaire devrait être appelé à incarner l’autorité qui crée le titre de propriété en matière immobilière et foncière. En effet, qui mieux que le notaire est proche des personnes et des biens pour ne pas le laisser les identifier dans un titre sérieux. En plus, il le ferait au péril de sa responsabilité civile délictuelle et contractuelle voire pénale. Ainsi, le fichier immobilier de l’Etat serait plus fiable. Le crédit bancaire en dépend évidemment, la réduction de la pauvreté également.
Par ailleurs, face à un état civil désuet, chroniquement instable, il serait de bon aloi de prendre une loi, autorisant les notaires ivoiriens à établir les actes d’état civil sous leurs responsabilités. Ainsi, ils dresseraient actes de naissance, acte de mariage, acte d’adoption, acte de divorce et autres actes dont ils offriraient ainsi la garantie de la fiabilité étant donné qu’ils sont très proches des familles au service desquelles ils instrumentent pour le compte de la collectivité nationale pérenne. Une telle mesure permettrait de créer le lien entre les actes d’état civil et les actes patrimoniaux qui seraient ainsi dans une authentique harmonie toujours sous le sceau et la responsabilité de l’officier public assermenté et non élu, libre et absolument sans hiérarchie légale constituée autre que la nation ivoirienne et sa justice devant lesquels il serait indéfiniment responsable de ses actes authentiques. Nous rappelons que le notaire est régulièrement induit en erreur par des actes d’état civil fragiles et instables dont il n’est pas responsable tout comme il est souvent pris pour cible lorsque, dus à des lourdeurs administratives, les titres de propriété peinent à se créer alors que c’est une autorité extérieure à lui qui s’en occupe.
Enfin, les autorités ivoiriennes seraient utiles aux notaires s’ils prenaient la peine d’admettre que les charges de notaires ont une valeur patrimoniale transmissible. Ainsi, le notaire sortant aurait la chance de céder sa charge à un notaire entrant moyennant une contrepartie financière. En attendant, les notaires qui souhaitent faire valoir leurs droits à la retraite perdent leur office, c’est-à-dire, le fruit de plusieurs années de labeur. Il en va pire des notaires qui deviennent incapables majeurs ou qui décèdent. C’est la détresse la plus absolue car il n’y aura aucun moyen pour les ayants droit de tirer des revenus de la transmission de la charge. L’Etat la reprend gratuitement pour y nommer un nouveau notaire. Cette situation doit être corrigée pour permettre aux notaires d’être moins inquiets face à un avenir incertain et garder la sérénité attachée à leur profession magistrale.
Quelle différence y a-t-il entre la pratique du métier de notaire en Afrique et en France ? Pourquoi l’Union européenne a-t- elle mis cette profession dans son collimateur en France ?
La pratique de la profession de notaire en Afrique Francophone est similaire à celle connue en France dans la majeure partie des cas. Il s’agit pour le notaire africain comme pour le notaire français, des mêmes services d’accueil, de formalités, de comptabilité, d’archives, de rédaction d’actes, de négociation, etc. Le cabinet du notaire est composé de la même manière avec la même configuration. Les clients qui sollicitent le notaire le font pour quasiment les mêmes raisons. Les actes authentiques notariés sont présentés de la même façon avec des entêtes similaires et des clôtures identiques. Et lorsque la langue pratiquée est le français comme c’est le cas en côte d’ivoire, le fond des actes est généralement le même étant bien compris que le législateur ivoirien n’a pas particulièrement innové par rapport à son homologue français. La base de la loi fondant le notariat demeure dans les deux pays, la loi du 25 Ventôse an XI. En Afrique latine comme en France, le notaire se désigne traditionnellement « Maître » et les notaires s’appellent entre eux cordialement, « Confrères » que l’officier soit du sexe masculin ou du sexe féminin, allusion faite bien sûre, à la Confrérie à laquelle les notaires appartiennent tous et qui n’a fait qu’essaimer dans 60 % des pays du monde.
Là s’arrêtent les similitudes, mais vous remarquerez que c’est déjà presque 90 % de ressemblance et c’est tant mieux pour l’entente cordiale entre des hommes et des femmes qui ont décidé d’exercer le même métier mais aussi pour la traçabilité de l’activité patrimoniale et extra-patrimoniale des habitants des pays connaissant la pratique de l’une des plus nobles et anciennes professions qu’est le notariat.
De l’autre côté de la médaille, les réflexes des notaires seront dictés par la culture et les traditions sociales sachant que la tradition juridique de référence est en partage et bien comprise dans ses grandes lignes partout, grâce notamment, au code civil napoléonien. Ainsi, les notaires français prendront en grande considération, des questions liées aux dangers environnementaux. Il s’ensuit que les autorités françaises imposent aux notaires de vérifier que l’immeuble vendu est conforme aux lois et règlements liés à la présence ou non des termites, de l’amiante, du plomb. Ils préciseront dans leurs actes que le gaz de ville présente ou pas des risques, que l’installation électrique est ou pas conforme. Ils veilleront à ce que le mesurage soit fait par des professionnels agréés, etc.
Par ailleurs, compte tenu de l’instabilité chronique des règles en matière de liquidation de l’impôt sur la plus-value, les notaires sont obligés de s’adapter chaque jour et procéder aux calculs, parfois, sophistiqués pour tenir compte des différents abattements et des réductions d’origine légale.
Si les notaires africains et notamment ceux de la Côte d’ivoire sont tenus de liquider et prélever les fonds en vue du paiement de la plus-value, c’est au prix d’un travail un peu plus léger. Ensuite, le code de la consommation n’est pas encore ancré dans les mentalités à tel point que les questions liées à la santé d’un bien immobilier paraissent secondaires comparées à la santé humaine. En somme, le notaire ivoirien rédigera un acte très allégé des détails qui ne sont pas prévus par le législateur. Nous pouvons aussi préciser le cas des successions issues des familles nombreuses faites de combinaisons matrimoniales insolites et d’une surpopulation d’ayants droit. Un réflexe spécial est attendu du notaire africain qui doit apporter une réponse constructive à travers sa pratique.
Vous me demandez pourquoi l’Union européenne a-t-elle mis cette profession dans son collimateur en France ?
Je ne pense pas connaître la raison précise pour laquelle l’union européenne doute de l’efficacité économique à long terme de notre profession en France. Et ce serait hasardeux de me lancer dans une explication cartésienne.
Toutefois, il est des évidences qu’on ne peut pas ignorer. En effet, selon le dernier rapport du Fonds Monétaire International (FMI), « La capacité de la France à rebondir est (…) contrainte par un problème de compétitivité ». D’après ledit rapport, la compétitivité économique de la France s’effrite, ou plus exactement, ne cesse de s’effriter, ainsi qu’en attestent, année après année, les rapports de l’Institute for Management Développement de Lausanne. La France occupe la 28 e place en 2013. En 1997, elle était 22e .
Dans le même temps, les institutions communautaires font le constat que la France ne parviendra pas à corriger son déficit excessif en 2013, et donc ne sera pas en mesure de respecter ses engagements internationaux. Elles soutiennent que la France doit améliorer sa compétitivité prix et sa compétitivité hors prix. D’après les détracteurs du notariat en France, il est un fait que depuis le début des années 1960, le statut du notariat pèse négativement sur la compétitivité économique hors prix de la France. Or, nous savons que le système juridique constitue un facteur déterminant de la compétitivité économique d’un pays. Ainsi, l’incidence négative de l’absence de réforme du statut des notaires français est d’autant plus importante que le notariat, selon les chiffres officiels de la profession, reçoit annuellement le tiers de la population française et traite 600 milliards d’euros de capitaux.
Au plan microéconomique, une étude de 2007 avait confirmé que le coût de rédaction et les transactions immobilières dans les pays dans lesquels il existe un notariat, est significativement plus élevé que dans les autres pays. Ainsi, pour une transaction de 250 000 €, la rémunération d’un juriste anglais est de 1 170 € et celle du notaire français de 2 391 € et pour une transaction de 500 000 € en Angleterre : 1 350 € et en France : 4 453 €. Ce surcoût aurait évidemment une incidence négative directe au plan macroéconomique, pointée par l’ensemble des rapports.
Chargée par le général de Gaulle de supprimer les obstacles à l’expansion économique, la Commission Armand-Rueff avait purement et simplement préconisé en 1960, la disparition de la profession de notaire en France. Le Rapport Attali a tiré en 2008 à peu près les mêmes conclusions. Les experts internationaux aboutissent sans surprise à la même conclusion, qu’il s’agisse du Rapport Zerp ou le rapport annuel Doing Business (dans l’édition 2011, la France est classée au 142e rang sur 183 pays), ou encore, de la Commission européenne.
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans son arrêt du 24 mai 2011 a affirmé que la fonction exercée par le notaire relève du champ de la libre concurrence, ce qui implique nécessairement la suppression du statut du notariat. Après une année à attendre vainement de la France qu’elle applique cette décision de justice et procède à une profonde réforme du statut des notaires, le 30 mai 2012, la Commission européenne a adressé une première recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2012 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour la période 2012-2016.
Le point 15 vise expressément « les barrières à l’entrée et les comportements restrictifs existant dans de nombreux autres secteurs (par exemple, (…) professions juridiques, y compris les notaires) ». Ainsi, le 29 mai 2013, la Commission européenne aurait adressé à la France, une nouvelle recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2013 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour la période 2012- 2017.
Cette position serait, selon Monsieur Vincent Lecoq, Maître de Conférences des Facultés françaises de droit, partagée par le Rapport du FMI du 3 juin 2013, qui conditionne le rétablissement de la compétitivité hors prix de la France à « la suppression des obstacles réglementaires et administratifs et à la concurrence dans le secteur des services (professions réglementées) ».
En somme, il nous semble que la position du notariat français se trouve fragilisée face au lobby des cabinets d’avocats anglais et anglo-saxons évoluant dans une tradition juridique différente. En effet, la Common Law a ceci de différent de nos systèmes de Civil Law que la liberté d’exercice et d’installation est la règle. Par ailleurs, la création des preuves en droit de la Common Law n’obéît pas à un système écrit. Toutes sortes de preuves étant admises. Or ce que les institutions de l’Union européenne ne disent pas et que, heureusement, l’exécutif français soutient assez régulièrement en appui aux notaires, c’est que l’acte notarié réduit fortement le contentieux post-contractuel qui est très élevé dans les pays de Common Law, notamment aux Etats-Unis, où le coût de l’administration de la justice, selon un rapport de la même banque mondiale, représenterait 2,5% du PNB alors que dans les pays de droit civil il serait de 0,5 % du PNB (Japon) à un maximum de 1,4% (Belgique).
Pour le notariat français, l’enjeu du titrément et de la pauvreté galopante en Afrique du fait de l’absence du crédit hypothécaire rend les notaires particulièrement incontournables dans cette partie du monde. A ce titre, supprimer la profession de notaire ou l’anéantir en France reviendrait à fragiliser les notariats y arrimés et à priver les pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine d’un notariat qui leur est tellement vital pour amorcer un développement économique. Pour qui sait que la France notariale exerce une grande influence à l’émergence de ces notariats, la communauté Common Law risquerait, en s’attaquant à l’empire notariale française de ruiner une économie mondiale bipolaire et balbutiante. La réduction de la pauvreté par la création des titres de propriété fiables authentiques et donc par le service du crédit bancaire permettrait alors au monde occidental, jaloux de sa tranquillité et de sa liberté de cantonner les africains et autres, chez eux. Le notariat a un rôle politique majeur à jouer de ce point de vue, et joue la carte de la solidarité notariale à fond pour se tirer d’affaire face à l’ogre de la Common Law, chantre de la libre concurrence. Ce qu’on ignore pour l’instant, c’est le poids réel de la solidarité notariale qui est une vraie bouée de sauvetage d’une profession en France, en peine avec ses propres démons.
Respecte-t-on les équivalences et les conventions en matière de droit notarial qui existent entre les pays africains et la France ?
Nous ne pensons pas qu’il existe des conventions spécifiques en matière de coopération notariale au niveau étatique. Il faut noter cependant qu’aux lendemains des indépendances, plusieurs Etats ont obtenu de la France, une coopération en matière judiciaire de manière générale.
Cela s’était soldé par la signature de différentes conventions à l’instar de celle du Sénégal datée du 29 mars 1974, Togo, 23 mars 1976, Niger, 19 février 1977, Benin, 27 février 1975, Tchad, 6 mars 1976, Algérie, 21 juin 1988, Congo-Brazzaville, 1er janvier 1974, Côte d’Ivoire, 24 avril 1961.
Les conventions ci-dessus répondaient à un seul objectif : permettre aux pays nouvellement indépendants de compter sur la France pour construire leurs appareils judiciaires sur le modèle de la France, luttant pour son hégémonie culturelle. La convention liant la Côte d’Ivoire à la France n’a jamais été dénoncée et reste donc applicable.
En son article 43, elle prévoit « les actes authentiques, notamment, les actes notariés exécutoires dans l’un des deux Etats, sont déclarés exécutoires dans l’autre par le président de la juridiction visé à l’alinéa I de l’article 38, d’après la loi de l’Etat où l’exécution doit être poursuivie. Cette autorité vérifie seulement si les actes réunissent les conditions nécessaires à leur authenticité dans l’Etat où ils ont été reçus, et si les dispositions dont l’exécution est poursuivie n’ont rien de contraire à l’ordre public de l’Etat où l’exéquatur est requis ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat. ».
Quant à l’article 44, il pose que « les hypothèques terrestres conventionnelles, consenties dans l’un des deux pays, seront inscrites et produiront effet dans l’autre seulement lorsque les actes qui en contiennent la stipulation auront été rendus exécutoires par l’autorité compétente, d’après la loi du pays où l’interdiction est demandée. Cette autorité vérifie seulement si les actes et les procurations qui en sont le complément réunissent toutes les conditions nécessaires pour leur validité dans le pays où ils ont été reçus. Les dispositions qui précèdent sont également applicables aux actes de consentement à radiation ou à réduction passés dans l’un des deux pays ».
Les dispositions ci-dessus ont trait à l’exéquatur en matière civile, et suppose donc que l’acte dressé par un notaire des pays concernés ait pleine force d’exécution en France sur déclaration du président du tribunal du lieu de situation des personnes ou des biens. Les textes expliquent ensuite très clairement la procédure suivant laquelle le président du tribunal effectue les vérifications qui se limitent à confirmer que le signataire est bel et bien notaire inscrit dans le pays membre et que l’acte ne comporte pas de dispositions contraires à l’ordre public français. En outre, si c’est un pays qui pratique une langue différente du français, une traduction assermentée s’impose.
Dans le cadre des relations de coopération entre la Côte d’ivoire et la France, l’exéquatur a été supprimé de même que la légalisation. En raison sans doute de la proximité linguistique, induisant une pratique des actes juridiques similaires, il ne sera donc plus nécessaire pour un acte juridique notarié émanant d’un officier public ivoirien, de passer par la légalisation ou l’exéquatur pour être exécutoire. De fait, il le serait de plein droit par son dépôt auprès du président du tribunal qui exercerait alors le contrôle lié à l’effectivité de l’existence du notaire et la non contrariété à l’ordre public. La question de la langue ne se posant pas entre la Côte d’Ivoire et la France, la circulation de l’acte notarié devrait s’en trouver fluidifiée aussi bien à Abidjan qu’à Paris.
Bien plus que la circulation de l’acte, l’Union internationale du notariat, dans l’une de ses revues d’information adressée aux notaires du monde indique, page 11, que « le notaire ne peut exercer ses fonctions que sur le domaine territorial que la loi lui assigne, mais il peut rédiger et authentifier des actes qui se réfèrent à des personnes ou à des biens, quel que soit le lieu ou celles-ci résident et où ceux-ci sont situés. Il est tenu de prêter sa compétence qu’il ne peut refuser, sauf au titre d’une juste cause. »
Il faut en déduire que le notaire a le droit de se transporter partout où se trouve une personne ou un bien concernés par ses actes. Cette précaution apparaît de bon aloi, si le notaire, conscient des risques liés à des informations approximatives ou erronées, résout d’aller sur place, pour faire les inventaires, les constats et dresser actes dans sa langue nationale tels que lesdits actes seraient frappés non pas du sceau des notaires de France, mais du sceau du pays l’ayant nommé. La réalisation des formalités fiscales et judiciaires pour rendre l’acte opposable erga omnès, étant encadrée dans les conditions et suivant la procédure décrite supra.
Vous dire que la réalité des relations entre notaires ou notariats est conforme à la lettre et à l’esprit des textes objet de mon propos, serait indigne. Au contraire, les usages et les pratiques des uns et des autres, en violation totale ou flagrante des conventions existantes, contribuent à isoler chaque notaire dans son office et à l’enfermer dans les limites territoriales. Impossible par exemple pour le notaire ivoirien que je suis, de dire à mon client français ou vivant en France que je suis notaire. L’évocation de mon seul titre de notaire en France est assimilée à un délit et punie comme une usurpation du titre de notaire par certains tribunaux français.
Peut-on usurper un titre qu’on a acquis officiellement par la nomination et la prestation de serment ? Comment expliquer au notaire sénégalais, marocain, béninois, congolais, chinois, roumain, belge, allemand, mexicain, péruvien et j’en passe, qu’il perd son titre dès qu’il franchit les frontières françaises ? Pour les pays où les notaires sont désignés par des acronymes traditionnels de respectabilité « comme Maître », ils n’auraient plus le droit de se faire désigner comme tel, au risque de commettre en France, un délit pénal.
Si je devrais donner mon avis, voilà comment, par la création de verrous incompatibles avec la mondialisation et la globalisation des économies mondiales, le notariat de type latin s’exclut lui-même de la compétition.
A côté, les cabinets d’avocats de type anglo-saxons notamment, de toutes origines confondues, ont tendance à fédérer, à circuler dans le monde, à s’entraider dans la mesure du possible. En somme, un avocat ivoirien a le droit de se déplacer partout dans le monde pour accompagner ses clients, les assister et, moyennant un hébergement simplifié chez un confrère avocat français, de représenter son client devant les tribunaux français. Il reste néanmoins avocat et ses clients français lui servent poliment le “Mon Cher Maître’’ affectueux. On a encore en mémoire tous les avocats français (Maître Jacques Vergès, Maître Jean-Pierre Mignard, Maître Jean-Paul Benoît) qui viennent plaider et représenter leurs clients ivoiriens ou français devant les tribunaux ivoiriens. L’exemple peut être élargi à l’ensemble des pays de la zone d’influence OHADA.
Il en va de même des cabinets d’expertises comptables et d’audit qui se sont unis à divers horizons pour contrôler l’économie mondiale. En Afrique, on parle des « Big Five » ou encore « les cinq gros cabinets », Deloitte, Ernst & Young, etc.
Qu’en est-il du conflit de compétence qui existerait dans certains domaines entre le juge, le notaire, le maire, voire, même l’homme politique ?
Le juge est un magistrat, fonctionnaire soumis à une hiérarchie et astreint au départ à la retraite après un certain nombre d’années d’exercice requis par la fonction publique. Il peut être noté, sanctionné et muté par son supérieur hiérarchique lorsqu’il appartient au parquet et dans une certaine mesure au siège. Il juge les différends, rend des décisions susceptibles de nombreux et divers recours ordinaires ou extraordinaires dans des affaires de toutes valeurs.
Le maire est un officier d’état civil élu par le conseil municipal. C’est un magistrat qui exerce son office sous le contrôle de ses électeurs devant lesquels il est responsable. Son mandat n’est pas illimité. Il officie les mariages, dresse les actes d’état civil, exécute un programme de développement sur le plan social, économique et politique.
L’homme politique est une personnalité issue de n’importe quelle couche professionnelle de la société. Il est promoteur d’idées par lesquelles il propose une orientation politique, économique et sociale. Il ne deviendra donc magistrat que lorsqu’il sera élu maire, président du Conseil général ou président de la République. Si les idées qu’il propose ne séduisent pas la majorité, il n’occupera pas un rôle de premier plan.
Le notaire est un officier public investi par l’Etat (président de la République ou par délégation, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice). C’est un professionnel du droit nommé pour conférer l’authenticité aux actes juridiques et contrats contenus dans les documents qu’il rédige et pour agir comme conseiller en faveur des personnes faisant appel à son ministère. Le notaire, tout en détenant l’autorité publique, exerce sa fonction de manière impartiale et indépendante, en dehors de toute hiérarchie étatique. Le ministère notarial, s’étendant à l’ensemble des activités juridiques du domaine non-contentieux, assure la sécurité juridique à l’usager du droit, prévient les litiges éventuels, qu’il peut résoudre par l’exercice de la médiation juridique et représente un instrument indispensable à l’administration d’une bonne justice.
Le notaire est donc un haut magistrat atypique, unique en son genre, détenant des pouvoirs (in)directement de la nation comme s’il avait un mandat d’élu. Sauf que son mandat a un parfum d’éternité. Car comme le prévoit, la loi du 25 Ventôse An XI, en son article 2, le notaire est nommé à vie. Il statue en premier et dernier ressort et ses décisions (actes notariés) portant parfois sur des intérêts et valeurs astronomiques, sont définitifs et sans recours possible sauf cas extrêmement encadrés que sont le faux en écriture publique. Les actes de notaire ont la même valeur qu’un arrêt de la cour de cassation ou un jugement du tribunal d’instance rendu en premier et dernier ressort eu égard aux intérêts en jeu.
Il ne devrait donc pas y avoir de conflits de compétence entre les professionnels que nous venons d’étudier. Leurs rapports sont complémentaires et chacun contribue à sa manière au développement de nos pays. Ce qui ne nous a pas empêchés de proposer que la mission du maire soit recentrée sur les objectifs de développement (routes, villes, marchés, logements, infrastructures rurales ou urbaines etc.). Les matières relevant du droit, et parfois du domaine très pointu des actes d’état civil en prise parfois avec le droit international privé, il vaut mieux les laisser gérées par les meilleurs Juristes que sont les notaires et pas seulement parce qu’ils détiennent le sceau de l’Etat, gage de la confiance publique (fidès publica) et de la main publique (manus publica).
Vous vous proposez de donner de la visibilité au métier de notaire, notamment, en Côte d’Ivoire, afin de le rendre compatible avec le vœu des autorités de votre pays qui annoncent l’émergence en 2020.
Qui êtes-vous ?
C’est une façon coquette de me demander de me présenter ? Alors, je suis notaire titulaire du 48e Office près la Cour d’Abidjan mais également et antérieurement, fondateur du Cabinet Conseil notarial sis à Paris en France. Les deux cabinets travaillent en synergie employant une vingtaine de salariés et stagiaires. Parallèlement, je suis enseignant des universités au profit des facultés de droit. D’abord en France dans divers universités et instituts puis, en Côte d’Ivoire à l’Université de Cocody et ailleurs, dans le privé. Je dispense des enseignements en droit privé axés sur le droit des affaires (juridique et fiscal). Pour en arriver là, j’ai dû obtenir le Diplôme supérieur de notariat (DSN) et (CSEN), soit BAC + 8, sachant que j’ai muté mon mémoire professionnel de notaire en recherche pour une thèse de doctorat de l’Université de Paris II Panthéon-Assas dans le domaine de l’anticipation successorale. Bien évidemment, j’ai dû travailler plusieurs années durant, dans divers offices notariaux de renom et cabinets d’avocats à Paris en tant que clerc, puis notaire stagiaire et notaire diplômé.
Et pour finir ?
Mon dernier mot va à l’endroit de votre magazine, Afrique Education, dont la ligne éditoriale est ainsi honorée par la présente interview. Car, l’éducation notariale fait tant défaut en Afrique qu’en France. Le notaire n’est pas suffisamment enseigné et reste méconnu sinon reclus dans la sphère des gens qu’on dit fortunés. Ce qui peut être rigoureusement erroné. Je vous rends personnellement hommage pour la patience dont vous avez fait preuve alors que je ne disposais pas de temps nécessaire à Paris pour m’entretenir avec vous. Votre pari, en rencontrant ma modeste personne pour cette interview était de livrer à vos lecteurs le message de l’acte authentique notarié précieux à tous égards, outre que vous ouvrez une lucarne sur une profession que les étudiants et les juristes regardent comme étant inaccessible parce que cernée par des valeurs antiques quasi-ecclésiales. J’adresse la même reconnaissance à vos lecteurs pour le respect de qui j’ai accepté de répondre à vos questions. Enfin, je prie mes confrères, de tous pays et de tous genres confondus, afin qu’ils trouvent dans vos questions et dans mes réponses, l’éclaircissement d’un point d’ombre notariale. Enfin, il sera temps de sortir des sentiers battus pour faire rayonner le notariat à l’abri de toutes les intempéries et turpitudes humaines.
1) Me Bertin Zehouri, notaire, rue Paris-Village (Plateau), 01 BP 4152 Abidjan 01. Tél. 00225 20 22 94 18/20 22 93 95, port. 00225 47 16 87 06.
2) Me Bertin Zehouri, 156, rue du Temple, 75003 Paris. Tél. 00331 01 42 02 74 54, Fax 00331 01 42 77 14 01.
www.zehouri-notaire-conseil.com
Mél. : maitrezehouri.notaire@orange.fr
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