Demain, le 16 juin 2017, Ecobank va solliciter une approbation de ses actionnaires pour l’émission d’obligations convertibles d’un montant de 400 millions $. Le groupe explique qu’une partie de l’argent mobilisé (200 millions $) lui permettra de rembourser le crédit relais qu’il a accordé à l’entité de défaisance créée pour reprendre et recouvrer de manière agressive, les créances douteuses de sa filiale au Nigéria qui plombent ses performances financières.
Dans son rapport annuel de l’exercice 2016, le groupe rappelle que les pertes financières occasionnées par ces créances douteuses, ont négativement impacté ses performances. Au 31 décembre 2016, ces pertes se sont situées à 864 millions $, en hausse de 62%, comparées à 2015. Même si les crises qui ont secoué le groupe ces dernières années semblent calmées, notamment sur le plan judiciaire, on réalise que l’origine et l’ampleur de ces créances douteuses n’ont jamais été vraiment clarifiées.
Des créances douteuses solubles dans le capital
Au total, 780 millions $ de créances brutes ont été transférées à cette entité de défaisance, appelée Resolution Vehicule, dont 400 millions $ déjà provisionnés parce que considérés comme perdus. Sur les 380 millions $ restants, 117 millions ont été également provisionnés, portant la valeur nette comptable des créances douteuses à 263 millions $. En contrepartie de ce montant, Resolution Vehicule a remis à Ecobank Nigeria 200 millions $ en cash (prêtés par ETI). Elle lui a aussi transféré un immeuble de placement, détenu par ETI, et évalué par des experts à 63 millions $.
La question, concernant cette initiative, est de savoir pourquoi le groupe bancaire consacre une part si importante de ses ressources, pour renflouer les caisses de sa filiale nigériane, et souhaite impliquer ses investisseurs dans une opération qui, à terme, diluera le placement des petits actionnaires. Sur le volume global des pertes provoquées par les créances douteuses Ecobank Nigeria ne cumulait que 322 millions $, au 31 décembre 2016. On ignore qui a bénéficié des crédits accordés par cette filiale, qui ne sont pas encore remboursés. Rien n’indique non plus si ces prêts étaient, ou pas, accompagnés de garanties. De même, on ignore ce à quoi a servi l’argent prêté et quelles ressources (bilan ou hors bilan ?) ont été utilisées pour accorder ces prêts. Pareillement, les actionnaires ignorent à quelles conditions la structure de défaisance a obtenu son avance de la part d’ETI.
Ces questions sont fondamentales, car en invitant ses actionnaires à mettre la main à la poche pour 300 millions $, le groupe bancaire semblent vouloir enterrer le problème. En effet, si la structure de défaisance ne parvient pas à recouvrer les créances douteuses, il suffira d’activer l’option de conversion des obligations pour combler le gouffre. Une fois que la filiale nigériane aura dilué ses problèmes dans l’actionnariat du groupe, elle ne sera plus un poids pour les performances d’ETI qui pourra afficher à nouveau un bénéfice net consolidé à la hausse.
Ecarter à tout prix le péril russe
On se demande aussi pourquoi et comment cela a pu arriver. Dans son rapport annuel de 2016, ETI parlant de sa gestion des risques, affirme prendre en compte les risques de manière ciblée et les gérer de manière professionnelle. « Les principales fonctions de la gestion des risques du groupe sont d’identifier tous les principaux risques, de mesurer ces risques, de gérer les positions de risque et de déterminer les allocations capitales », explique le groupe. On en est à se demander comment, dans un tel contexte de rigueur, un tel trou noir a pu se former dans la nébuleuse Ecobank Nigéria.
Une analyse de faits passés, des éléments contenus dans le rapport d’audit du cabinet Ernst & Young, et les termes d’une lettre écrite par un ancien président du conseil d’administration, apportent un début de réponse assez plausible. Elles permettent d’avancer l’hypothèse selon laquelle ETI renvoie, d’une certaine manière, l’ascenseur à sa filiale nigériane, qui est de loin la plus dynamique.
Selon la lettre de l’ex-président du conseil d’administration aux autorités de régulation et judiciaires nigérianes, tout a commencé en 2007, lorsque Renaissance Capital, la banque d’investissement à capitaux russes, déjà actionnaire d’ETI à hauteur de 24,5%, affichait des ambitions d’offre publique d’achat hostile. L’initiative n’enchantait pas tout le monde au conseil d’administration du groupe panafricain, dont certains qui tenaient le pouvoir.
On peut aisément imaginer que cette ambition contrariait les plans du lobby anglo-saxon composé à l’époque de la Public Investment Corporation sud-africaine (PIC), alors actionnaire d’Ecobank à 19%, et de Nedbank, qui disposait d’une option sur 20% du capital de la banque panafricaine.
La lettre cite des discussions en conseil d’administration, où avaient été évoqués des projets existants entre Arnold Ekpe et la PIC. Leur objectif aurait alors été de faciliter la prise de contrôle de Nedbank par PIC, ce qui aurait permis au fond de pension sud-africain de contrôler également 40% d’Ecobank. « Des éléments nouveaux ont ultérieurement montré que le Directeur Général, M. Arnold Ekpe, avait des relations privées avec la PIC et qu’il a participé à un plan, pour la prise de contrôle par le fonds sud-africain du groupe Nedbank (aujourd’hui premier actionnaire d’ETI ndlr). Cela aurait créé une situation, où la PIC aurait contrôlé une participation combinée de 40% dans ETI. Ces révélations ont été faites lors d’une réunion du Conseil tenue le 30 août 2013 par M. Sipho Mseleku, un membre sud-africain au conseil d’administration et Daniel Majtila, le membre représentant le PIC au conseil d’administration et sont mentionnées dans le procès-verbal de la réunion » révèle la lettre sur ce point.
Le document suggère aussi que M. Ekpe aurait été nommé plus tard à la tête du conseil d’administration d’Atlas Mara, la holding bancaire cofondée par Bod Diamond (ancien DG de Barclays Plc), dans le but de racheter des parts significatives d’ETI. Dans un tel contexte, l’idée que des Russes puissent contrôler la banque active dans 37 pays africains ne séduisait guère. Toujours est-il qu’une stratégie de défense a été mise en place, avec pour objectif de diluer la présence de Renaissance Capital au capital d’ETI, via une augmentation de capital.
Le deuxième niveau du stratagème a été d’acheter un maximum d’actions émises en augmentation de capital. Les dirigeants de l’époque ont donc décidé d’une augmentation de capital pour laquelle la filiale nigériane prêterait de l’argent à des intermédiaires de bourse qui, à leurs tours, achèteraient les actions d’ETI. Ainsi, indirectement, le groupe se renforçait dans le capital, via des actionnaires quasi-fictifs. La nébuleuse derrière cette opération est aussi longue que complexe. La lettre parle de la publication de « résultats erronés » sur l’issue de l’augmentation de capital finalement réalisée en 2008.
La crise imprévue de 2008
Le rapport d’Ernst & Young, dont l’Agence Ecofin avait obtenu copie, soulève un ensemble d’irrégularités relatives à ces prêts qui ont été accordés par la filiale nigériane à cette période, et sur la manière dont l’augmentation de capital a été menée. Au final, la fin a justifié les moyens, mais l’ancienne équipe n’avait pas prévu la crise financière de 2008. Les actions acquises indirectement par des crédits non assortis de garanties ont chuté, et la dette générée pour les acquérir ne pouvait être recouvrée car elle était intégrée à une stratégie interne.
« En 2008, la direction générale d’ETI a demandé au Conseil d’administration de lancer une émission d’actions pour lever 2,5 milliards de dollars du marché des capitaux, impliquant plus d’un milliard de nairas en dépenses. Malheureusement, avant que l’offre ne soit terminée, la crise financière mondiale s’est établie et il est devenu évident que les 2,5 milliards $ prévus ne pourraient pas être relevés. À la clôture de l’offre publique, la direction de l’ETI a informé le Conseil d’administration, que les souscriptions satisfaisaient au pourcentage minimum prescrit par la Commission. Il a maintenant été révélé que cela était faux et que la direction exécutive d’ETI a délibérément induit en erreur le Conseil d’administration, la bourse de Lagos et le régulateur », peut-on lire dans les extraits de la lettre.
Le rapport d’Ernst & Young apporte bien plus de détails, avec des opérations sur comptes bancaires empreintes d’opacité. Le rapport relève aussi que les structures attributaires des actions émises dans le cadre de l’augmentation de capital, n’ont pas toujours reversé de contreparties financières. Aussi, certains des versements obtenus dans le cadre de ces opérations, ont souvent été retournés à leurs expéditeurs.
Thierry Tanoh, ex-directeur général du groupe, aujourd’hui ministre en Côte d’Ivoire, avait été alerté par les autorités nigérianes et avait entrepris ses propres investigations. Sa curiosité lui aura sans doute coûté son poste et deux longues années de bataille judiciaire dont il sortira gagnant, à titre personnel.
Au-delà de l’objectif de mise à l’écart de Renaissance Capital qui a, malgré tout, été atteint, trois grandes questions s’imposent au final. A qui a profité la situation ? Cette affaire a-t-elle servi les intérêts du groupe plutôt que des objectifs individuels ? Il est enfin question de savoir dans quelle proportion seront finalement recouvrées les créances douteuses d’Ecobank Nigeria ? A suivre.
Avec agenceecofin