De plus en plus investis au cours des dix dernières années, les grands donateurs – les 1 % des donateurs les plus généreux – ont grandement participé à la progression générale de la collecte des organismes qu’ils soutiennent. Pour les attirer, les fondations utilisent à la fois des méthodes classiques, comme le recours à des ambassadeurs ou des prescripteurs, et des solutions plus innovantes permises par Internet et les réseaux sociaux. La clé de leur fidélisation repose sur la mise en place d’une relation de confiance personnalisée. Une tâche devenue d’autant plus primordiale que l’incitation fiscale est réduite avec le passage à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
par Jessica Berthereau
Ces grands donateurs, qui sont-ils ? Dans une étude récente réalisée sur la base des données anonymisées de quinze associations et fondations, France générosités les définit comme les 1 % de donateurs les plus généreux. Ils ont pris ces dernières années une part grandissante dans la collecte, jusqu’à en représenter près d’un quart (23 %). “Cette analyse révèle que depuis 2004, la progression générale de la collecte est tirée par les grands donateurs. À la Fondation des Monastères, nous observons la même tendance. Ainsi, le poids des dons supérieurs à 1 500 euros a doublé dans notre collecte entre 2004 et 2016, et dépasse maintenant les 30 %”, souligne Madeleine Tantardini, directrice de cette fondation qui soutient les collectivités religieuses de toutes confessions chrétiennes.
“Leur profil rajeunit d’années en années. On voit apparaître de plus de plus de jeunes entrepreneurs qui sont en quête de sens”
Très localisés dans les zones les plus riches du pays, âgés comme le sont tous les donateurs, les grands donateurs sont plus souvent des hommes que des femmes, indique l’étude de France générosités. “Le portrait-robot du grand donateur est le suivant : un homme de moins de 65 ans, père de famille et qui a constitué sa fortune. Beaucoup ont entre 50 et 65 ans parce que c’est souvent le moment de leur vie où ils disposent le plus librement de leur argent, note Frédéric Théret, directeur du développement de la Fondation de France. Mais leur profil rajeunit d’années en années. On voit apparaître de plus de plus de jeunes entrepreneurs qui sont en quête de sens.” Même constat à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), où Jean-Louis Da Costa, directeur de la communication et du développement, observe “l’arrivée depuis quelques années d’une nouvelle génération de personnes qui ont réussi dans les affaires”.
Des comités d’ambassadeurs
Cet institut de recherche, créé en 2010, s’y connaît en matière de grands donateurs : c’est grâce à une contribution de 60 millions d’euros apportée par plus de 300 d’entre eux que l’ICM a pu voir le jour. “L’ADN de notre institut repose sur la mobilisation de grands donateurs, assure ainsi Jean-Louis Da Costa. Aujourd’hui, nous en avons 600 à nos côtés.” Pour en atteindre de nouveaux, cet institut a “constitué un comité d’ambassadeurs, appelé le comité des amis de l’ICM, qui est aujourd’hui présidé par Maurice Lévy et David de Rothschild. Il est composé d’une quinzaine de membres qui sollicitent leur propre réseau pour leur proposer de participer à nos projets”, détaille le directeur de la communication et du développement de l’ICM.
À la Fondation Terre Solidaire, constituée il y a un an et demi, “nous démarrons un travail d’approche de philanthropes en sollicitant des prescripteurs comme des notaires, des banquiers ou encore des personnes dotées de carnets d’adresses et qui acceptent d’être nos ambassadeurs”, indique Philippe Mayol, son directeur général. Jusqu’à présent, cette jeune fondation s’était surtout appuyée sur la notoriété de l’association CCFD-Terre solidaire auprès de son public de donateurs, ainsi que sur sa présence sur Internet et sur les réseaux sociaux. Avec succès : “lors de notre campagne ISF de 2017, 30 % des dons ont été apportés par 8 % des donateurs, qui ne connaissaient pas l’association auparavant et qui ont entendu parler de nous grâce à notre présence digitale”, souligne Philippe Mayol.
Engager et faire vivre la communauté philanthropique
Pour fidéliser ces grands donateurs, “le principe de base est de créer une relation de confiance, appuie le directeur général de la Fondation Terre Solidaire. Cela passe par du relationnel, c’est pourquoi nous entrons systématiquement en contact avec ceux qui nous font des dons importants.” Les organismes entretiennent ainsi des contacts réguliers avec leurs grands donateurs, ce qui leur permet à la fois de rendre compte des actions menées avec leur argent et de développer une relation personnalisée avec eux. “Nous leur envoyons des bilans très précis de l’utilisation de leurs fonds, nous leur faisons visiter sur le terrain les projets mis en œuvre grâce à eux, nous les accompagnons parfois dans le choix d’un programme à financer selon les causes qui leur tiennent à cœur”, liste Frédéric Théret. “Nous leur faisons vivre le plaisir du don”, résume-t-il.
“Un autre moteur de fidélisation consiste à “faire vivre sa communauté philanthropique””
Un autre moteur de fidélisation consiste à “faire vivre sa communauté philanthropique”, ajoute Philippe Mayol, notamment via des événements. “Cette année, nous envisageons d’organiser quatre ou cinq rencontres avec des porteurs de projets ou des grands témoins, détaille-t-il. Ce sont des temps d’échanges et de ressourcement qui encouragent nos grands donateurs à rester à nos côtés.” Chez Médecins du Monde, les “grands donateurs s’intéressent au caractère militant de notre action. Plus ils s’investissent auprès de nous, plus ils sont intéressés par nos positions et le fait d’en discuter, d’où l’importance de les associer à nos événements et à nos prises de parole”, indique Hélène Berger, responsable des financements privés et déléguée de la Fondation des amis de Médecins du monde.
Quid des bouleversements fiscaux ?
Ce travail d’attraction et de fidélisation des grands donateurs devient d’autant plus primordial que l’incitation fiscale est réduite avec le passage de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les projections établies par France générosités laissent envisager une chute de 70 % à 80 % des dons réalisés dans ce cadre. “Les projections mathématiques sont assez alarmistes. Je suis un peu plus optimiste, car pour nos donateurs, l’incitation fiscale n’est pas la raison première de l’acte de don mais plutôt un amplificateur du don, estime Jean-Louis Da Costa. Ce sont nos projets, leurs impacts et leur capacité à changer le monde qui attirent nos grands donateurs. À nous de les intéresser encore plus et d’inciter ceux qui ne sont pas encore à nos côtés à nous rejoindre autour de ces projets de qualité.” Face aux changements fiscaux, “nous sommes prêts à redoubler d’attention pour atteindre de nouveaux grands donateurs et les fidéliser, assure de son côté Madeleine Tantardini. Jusqu’à présent, nous nous sommes plutôt fait remarquer par notre discrétion dans notre approche marketing mais nous sommes conscients que nous allons devoir évoluer dans ce domaine, tout en restant fidèles à notre image bien sûr”.
“Certains veulent croire que l’essor de la philanthropie suscité par la déduction ISF depuis la loi Tepa de 2007 perdurera, indépendamment de l’évolution de la fiscalité”
Chez Médecins du Monde, une réflexion est également engagée pour “repenser la dynamique de développement des grands donateurs via la fondation”, explique Hélène Berger. Au-delà des techniques d’acquisition classiques – comité de campagne, appel à des ambassadeurs, etc. – cette fondation créée il y a trois ans sous l’égide de la Fondation de France compte s’appuyer sur les outils numériques (Internet, réseaux sociaux). “Nous allons mettre en place des choses plus concrètes et plus avancées dans les mois qui viennent”, assure la déléguée de cette fondation. In fine, certains veulent croire que l’essor de la philanthropie suscité par la déduction ISF depuis la loi Tepa de 2007 perdurera, indépendamment de l’évolution de la fiscalité. “La déduction lSF a posé la question de la générosité, souligne Frédéric Théret. Il y a des gens qui sont entrés en générosité grâce à cette déduction. Ce fut formidable.”
Actuellement, les deux tiers des fondations abritées du pays le sont à la Fondation de France, qui en compte près de 850. Sur ce total, 750 ont été créées par des personnes physiques : seules, en famille, ou même entre amis. “C’est quelque chose de naissant. Historiquement, la fondation abritée est individuelle ou familiale”, souligne Frédéric Théret. Pour lancer une fondation abritée à la Fondation de France, il faut un engagement de 40 000 euros par an pendant cinq ans, soit 200 000 euros au total, et que l’objet de la fondation soit d’intérêt général. “Nous prenons en charge toutes les diligences, l’accompagnement juridique et fiscal et la formation des fondateurs. Nous sommes là pour les accompagner pas à pas pendant la phase de découverte et même après s’ils le souhaitent”, indique le directeur du développement de la Fondation de France. Une quarantaine de fondations abritées sont créées chaque année sous l’égide de cette organisation.