Des chercheurs de l’université d’Oxford ont réussi à produire le premier module de mémoire fonctionnant grâce à la lumière et capable de stocker des informations de manière non volatile. Une révolution au potentiel considérable !
A vos pieds ou entre votre main, votre PC ou votre smartphone ronronne tranquillement. Il travaille, sue sang et eau pour ne pas ralentir, mais parfois l’inévitable arrive un lag survient… La faute à qui ? A John. John von Neumann et à son goulet d’étranglement. C’est ainsi que s’appelle ce point de passage rétréci obligé des informations entre le processeur et la mémoire. Les CPU auront beau être de plus en plus rapides, la mémoire doit suivre si on ne veut pas qu’à un moment les données s’empilent à la queue leu leu, en attendant que la mémoire puisse les traiter.
Les limites de la lumière…
Pour résoudre ces petits bouchons, Harish Bhaskaran, professeur à l’université d’Oxford, et des scientifiques d’un peu partout dans le monde ont eu l’idée de recourir à la lumière – les photons étant de bons petits soldats qui vont dans la même direction s’en s’entrechoquer et se ralentir, contrairement, aux électrons… Les chercheurs britanniques ne sont évidemment pas les premiers à se tourner vers cette solution, qui connaît quelques limites. D’une part, la nécessité de construire un ensemble complet (puce logique, mémoire, interconnecteur) utilisant la lumière et non des signaux électroniques, pour donner son plein potentiel et éviter une perte de temps dans la conversion des impulsions lumineuses en signaux classiques. D’autre part, les mémoires photoniques souffraient d’un grave défaut, elles étaient volatiles. Autrement dit, elles ne conservaient pas les données quand elles n’étaient plus alimentées en électricité.
Deux états, des décennies de conservation
C’est ce dernier point que le professeur Harish Bhaskaran et ses équipes ont réussi à résoudre en produisant la première puce mémoire photonique non volatile. Pour arriver à leur fin, ils ont recouru à un matériau, utilisé dans les CD et DVD réinscriptibles : le Ge2Sb2Te5 ou GST. Grâce à des impulsions électriques ou lumineuses, il est en effet possible de faire en sorte que le GST assume plusieurs états : amorphe, comme le verre, ou cristallin, comme le métal.
Pour arriver à ce résultat, les chercheurs ont donc créé un appareil, qui utilise une couche de GST superposée à du nitrure de silicium, destiné à conduire la lumière, à la guider. Quand les chercheurs envoient une puissante pulsation lumineuse au travers de ce dispositif, le GST fond et refroidit rapidement, devenant amorphe. Une pulsation un peu moins forte lui fait adopter un état cristallin.
Dès lors, ces états auront un impact sur la façon dont le GST va transmettre la lumière, surtout quand l’impulsion lumineuse est d’une intensité encore moindre. Il suffit alors de faire passer de la lumière dans le GST pour noter cette différence de transmission, établir quel est l’état du support et donc lire une information, les fameux 0 ou 1. Une première qui a un autre avantage, le GST est capable de conserver son état pendant des décennies.
Un potentiel énorme, des applications folles
Mieux encore, en envoyant différentes longueurs d’ondes de lumière simultanément au travers du guide en GST – ce que les chercheurs appellent du multiplexage de longueurs d’ondes – les équipes de Harish Bhaskaran ont réussi à lire et écrire sur la mémoire en même temps. « En théorie, cela signifie que nous pouvons lire et écrire des milliers de bits à la fois, en fournissant une bande passante virtuellement illimitée », explique Wolfram Pernice, un autre professeur associé à la recherche.
Les scientifiques ont également découvert qu’en faisant varier l’intensité des impulsions ils peuvent créer des variations intermédiaires entre les états cristallin et amorphe. Dès lors, on aboutit à une capacité d’états multiples (pour huit combinaisons, en tout) qui pourraient permettre aux unités de mémoire de dépasser l’information binaire, 0 ou 1. Un simple bit de mémoire pourrait stocker plusieurs états ou même réaliser des calculs en lieu et place du processeur. « C’est une fonctionnalité complètement nouvelle obtenue en utilisant un matériau existant et éprouvé », explique le professeur Harish Bhaskaran qui s’enthousiasme :« Ces bits optiques peuvent être écrits à des fréquences allant jusqu’à 1 GHz et peuvent fournir d’énormes bandes passantes, avance-t-il, avant de rappeler, c’est exactement le genre de stockages ultrapides dont les ordinateurs ont besoin ».
L’avenir proche et lointain…
Se posent évidemment toujours la question de l’interconnexion entre ce stockage et les composants de la machine qui utilisent des signaux électriques. C’est le nouveau défi auquel se sont attelés les équipes de Harish Bhaskaran. Elles souhaitent développer une interconnexion électro-optique qui permettrait à cette mémoire de se connecter directement à d’autres composants en utilisant la lumière. A termes, pour Harish Bhaskaran, si une mémoire photonique plus évoluée (dont la densité de stockage serait plus importante, par exemple) pouvait être intégrée et interconnectée à un ensemble logique photonique également, la puce obtenue pourrait être de 50 à 100 plus rapide qu’un processeur actuel. Au temps pour John von Neumann.
Source :
Université d’Oxford