L’acharnement a fini par payer. Candidat pour la troisième fois, Nana Akufo-Addo s’est imposé dans les urnes, le 7 décembre. Réputé intègre et rigoureux, il a su exploiter le mécontentement anti-Mahama. Retour sur le parcours du nouveau président du Ghana.
Il prendra ses quartiers au palais Flagstaff House le 7 janvier. Vainqueur du scrutin présidentiel du 7 décembre dès le premier tour, avec 53,8 % des voix contre 44,7 % pour le président sortant, John Dramani Mahama, Nana Akufo-Addo, 72 ans, veut aller vite. Depuis la proclamation des résultats, le chef de file du New Patriotic Party (NPP) consulte et reçoit à tout-va. Visage poupin, éclats de rire faciles, il a déjà eu des dizaines d’entretiens dans la perspective de la formation de son gouvernement, que plusieurs sources annoncent resserré (il devrait passer de 24 à 19 membres).
Réminiscences de son passé de diplomate, Nana Akufo-Addo a aussi pris le temps d’écrire à certaines grandes figures de la scène politique ghanéenne, comme Jerry Rawlings, qu’il a tenu à rassurer. Dans son message de félicitations, l’ancien président s’était en effet inquiété d’une possible chasse aux sorcières contre les membres du bientôt ex-parti au pouvoir, le National Democratic Congress (NDC), des exactions ayant été signalées.
Relancer l’économie ghanéenne, son premier objectif
Pour autant, celui qui se plie de si bonne grâce aux amabilités n’oublie pas ses objectifs. Dans son premier discours après la proclamation des résultats, et comme il l’a fait tout au long de la campagne, Akufo-Addo a réitéré sa promesse de redonner au Ghana tout son lustre et de « [le] remettre sur la voie du progrès et de la prospérité ». Il veut stopper la chute vertigineuse de la croissance, passée de 14 % en 2011 à 3,3 % en 2016 selon le FMI, éliminer la corruption, créer des emplois, améliorer l’éducation, réduire la pauvreté…
Pour Christopher Fomunyoh, directeur Afrique du think tank américain National Democratic Institute (il a suivi le scrutin sur place, à Accra), Akufo-Addo a la chance de pouvoir se mettre rapidement au travail : « Tous les candidats ont vite reconnu les résultats de l’élection ; les Ghanéens ont confirmé leur attachement à la démocratie. »
À en croire ses proches, Nana Akufo-Addo, travailleur acharné et rigoureux, se sent tenu par une obligation de résultat, lui qui se présentait pour la troisième fois. En grand sportif, cet homme qui fut un champion de squash dans les années 1970 sait que l’acharnement paie. S’il ne boude pas son plaisir d’avoir été élu, il a aussi conscience d’avoir profité d’un vote anti-Mahama, « coupable » aux yeux de beaucoup de ses concitoyens d’avoir ramené le FMI au Ghana et d’avoir laissé se multiplier les scandales de corruption au sein de l’État.
Parcours politique
Les compétences de cet avocat réputé incorruptible, qui a exercé aussi bien en France qu’au Royaume-Uni, nul ne songerait à les remettre en question. Mais le succès a tardé. Biberonné à la politique, pouvant se targuer d’un pedigree a priori avantageux, il réunit de nombreux atouts. Son père, Edward, lui aussi juriste, a dirigé le pays de 1970 à 1972, et les Akufo-Addo sont apparentés à trois des « Big Six », les pères fondateurs de la nation ghanéenne. Nana Akufo-Addo se souvient avoir assisté, enfant, à la Betty House, leur résidence du vieil Accra, à d’interminables discussions politiques juché sur les genoux de Kwame Nkrumah.
Le virus de la politique, Akufo-Addo l’a donc attrapé très tôt. Jeune, il milite pour la restauration de la démocratie au Ghana. Devenu persona non grata sous le régime militaire, il s’exile brièvement en Grande-Bretagne à la fin des années 1970. Celui qui se rêvait réalisateur de cinéma se révèle alors défenseur acharné de l’État de droit, n’hésitant pas à prendre la parole régulièrement à l’antenne de la BBC. Élu député du NPP pour la première fois en 1996, plusieurs fois ministre, Akufo-Addo n’a jamais douté qu’il dirigerait un jour le Ghana.
Ses partisans estiment d’ailleurs qu’on lui a toujours volé la victoire, d’une manière ou d’une autre. Comme lors de la primaire de son parti en 1998, lorsque le ministre de la Justice qu’il est perd face au président John Kufuor. Ou en 2008, quand il s’incline de justesse face à John Atta Mills, candidat du NDC. Et davantage encore lors du scrutin de 2012, qui porte Mahama au pouvoir avec 50,7 % des voix (contre 47,7 %), malgré un recours devant la Cour suprême. Pour l’élection du 7 décembre, le NPP n’avait donc qu’un seul mot d’ordre : vigilance. Beaucoup d’électeurs se sont mués en observateurs, ne quittant les bureaux de vote qu’après le décompte des voix. Mieux, les cadres du NPP avaient leur propre système électronique de contrôle, ce qui leur a permis de connaître les résultats bien avant que la commission électorale ne les annonce.
Plébiscité à la campagne
Pour réussir, Akufo-Addo a aussi revu sa stratégie de campagne, multipliant les visites dans le Ghana profond dès 2014. Témoin privilégié de ce changement, la désormais première dame, Rebecca Griffiths-Randolph, qui s’est fortement impliquée dans la bataille, vantant à l’envi dans les médias l’abnégation et le sens de l’État de ce « merveilleux mari et père », contraint d’imposer à sa famille ses longues absences.
En mars 2016, invitée d’une chaîne de télévision locale, elle affirmait qu’il avait déjà effectué sept fois le tour du pays, ciblant en priorité les populations rurales, pour cette campagne que trois de leurs filles, Gyankroma, Edwina et Valerie, considèrent comme l’une des plus éprouvantes qu’il ait jamais menées. « Cela a payé : Nana Akufo-Addo a remporté la victoire dans six des dix régions, contre deux seulement lors des précédents scrutins, explique William Manful, de l’ambassade du Ghana à Cotonou (Bénin). Chacune de nos régions abrite d’importantes zones rurales accueillant le gros du corps électoral. Cela constitue autant de réservoirs de voix, pour peu que le candidat se fasse pédagogue. »
La main sur le cœur, William Manful jure que le NPP n’a pas eu besoin d’offrir le moindre cedi aux électeurs pour les pousser à voter pour son champion, une pratique répandue en revanche chez le grand rival NDC, assure-t-il. Sans remettre en question le rôle majeur qu’a pu jouer le brillant Mahamudu Bawumia, qui s’apprête à devenir le nouveau vice-président du Ghana, la journaliste Ama Nti-Osei estime, elle, que les principaux artisans de la victoire d’Akufo-Addo restent les jeunes, qui se sont fortement mobilisés sur les réseaux sociaux.
Bien entouré
Regard rassurant, ce mélomane de la génération Motown, qui dit admirer les Supremes et les Temptations, saura-t-il mettre en musique son programme ? On le dit bien entouré : par son vice-président donc, mais aussi par John Kufuor, l’ancien chef de l’État, qui l’a fortement soutenu pendant la campagne. Akufo-Addo peut aussi compter sur les conseils de l’ex-secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan.
Quant à Jerry Rawlings, dont l’épouse briguait pourtant elle aussi la magistrature suprême, il serait également bien disposé à son égard. Connu à l’international pour avoir détenu le portefeuille des Affaires étrangères mais aussi comme défenseur des droits de l’homme, Nana Akufo-Addo est apprécié aussi bien par la plupart des responsables politiques britanniques que par la chancelière allemande Angela Merkel, qu’il a rencontrée plusieurs fois.
Ama Nti-Osei craint toutefois que l’on attende finalement trop de ce nouveau président. « La crise est telle qu’il faudra au moins une décennie pour que le pays en sorte. Pas sûr que les Ghanéens le comprennent. Ceux qui espèrent une reprise spectaculaire de l’économie dans les deux prochaines années pourraient vite déchanter. » Pendant la campagne, Rebecca Griffiths-Randolph a imploré les Ghanéens de donner enfin à son mari l’occasion de « mettre sur la table tout ce qu’il est en mesure de leur apporter ». Désormais, elle va sans doute leur demander de lui donner un peu de temps.
Le nom ne fait pas tout
Ce sont incontestablement des guerrières, mais cela ne suffit pas : Samia Nkrumah et Nana Konadu Agyeman-Rawlings ont une nouvelle fois échoué dans les urnes. Fille du président Kwame Nkrumah, la première s’est inclinée à la primaire du Convention People’s Party (CPP) devant l’avocat handicapé moteur Ivor Kobina Greenstreet, qui n’a obtenu que 1 %. Son tort, selon ses détracteurs : avoir cru qu’elle pouvait faire main basse sur le parti créé par son père, d’autant qu’au moins trois autres formations se réclament de lui. Épouse de l’ex-président Jerry Rawlings, la seconde a recueilli moins de 0,5 % des voix, confirmant l’idée selon laquelle, pour accéder au plus haut sommet de l’État au Ghana, il faut nécessairement appartenir soit au National Democratic Congress (NDC), soit au New Patriotic Party (NPP). Petite consolation pour les Rawlings, leur fille Zanetor Agyeman-Rawlings fait son entrée au Parlement, sous la bannière du NDC. L’ex-première dame peut toujours essayer de négocier un portefeuille ministériel, puisque la moitié des maroquins sont traditionnellement pourvus hors du parti au pouvoir. Pas sûr qu’elle y consente.
Avec Jeune Afrique